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Mont-Blanc, Aiguilles Rouges, Buet et Cheval Blanc Vue prise du sommet du Bel Oiseau

Emosson. L'ancien chemin a dû passer là-bas, à gauche, sous les dernières pentes de Finive; mais il y a, à droite, directement après le col, une magnifique combe garnie de neige. Pourquoi faire tout ce tour par la gauche au lieu de se laisser glisser tout simplement?

C'est ce que nous nous décidons à faire et, en moins d'un quart d'heure, nous touchons le pâturage du Vieux Emosson.

C'est une plaine curieuse que celle du Vieux Emosson. Entourée de toutes parts de pentes rapides, rocheuses et herbeuses, elle n'offre comme dégagement qu'une gorge étroite où coule l'Eau Noire.

Il y a bien un chemin à moutons qui remonte vers le Nord pour redescendre ensuite sur Barberine, mais je ne connais pas le passage des gorges, et, à tout hasard, je pousse mes amis à essayer. On comprend que ce pâturage ait été quasi abandonné. D'une sauvagerie sévère, envahi peu à peu par les pierres et par l'eau, un seul habitant a eu le courage d'y rester, en été.

C'est un vieux, et personne ne lui contestera ses droits.

Col du Vieux, Gorges du Vieux, tout est au Vieux ici, et Zorn serait content d'y habiter. Il y a, à la sortie du pâturage et au début de la gorge étroite, des ruines de chalet, et nous ne nous doutions guère en passant devant, qu'il était habité.

Heureusement, le sentier est assez bien marqué pour commencer, car il court bientôt à travers d'immenses blocs de granit rose descendus du Perron et, de nuit, on doit se perdre en peu de temps.

Ce qui guide, c'est le torrent, mais on ne peut le suivre partout. Après avoir suivi l'eau pendant quel

ÉCHO DES ALPES.

1908.

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ques minutes, on descend par un semblant d'escalier naturel, dans une sorte de « Cañon » ; on voyage un moment entre deux murailles, puis on se rapproche de nouveau du torrent qu'on continue à longer. Mais voici que les parois à gauche et à droite se dressent à pic.

J'ai bien suivi les traces, et je ne vois plus que deux murs et l'eau bouillonnante à mes pieds.

Je m'approche pourtant, et je distingue vaguement dans la muraille, à quelques centimètres au-dessus de l'eau, de petites anfractuosités pour placer les pieds et les mains, des prises d'une finesse extrême. C'est le passage.

Plus loin, et peu à peu, la gorge s'élargit, et on peut discerner la plaine d'Emosson flanquée à droite des formidables murailles des Perron.

Avant d'atteindre les pentes herbeuses, il y a encore une descente, pas très longue, mais presque perpendiculaire, et comme nous hésitions, nous vîmes dans le lointain un bonhomme qui nous fit signe que notre direction devait être plus à gauche.

Nous ne devions pas tarder à le rejoindre, et à apprendre qu'il était gendarme valaisan, en tournée d'inspection dans cette région où toute chasse est interdite.

C'était un fort brave homme, mais connaissant peu la contrée, car au lieu de nous faire descendre sur les chalets d'Emosson, il nous fit obliquer à gauche, et nous dùmes traverser l'Eau Noire à pieds nus.

Je ne connais pas de sensation plus agréable, après une forte journée en montagne, que ces arrivées sur les gras pâturages, à la tombée de la nuit. Il se dégage du sol tapissé d'herbes vigoureuses, un parfum délicat et subtil.

Le souffle qui court sur la plaine, et qui vient d'effleurer les glaciers, nous donne le frisson. Il se fait en nous un grand apaisement. Toute notre machine. se détend. C'est le soir.

Là-bas, dans le fond, derrière nous, le Chardonnet et l'Aiguille Verte se dorent aux derniers rayons du soleil couchant.

Devant nous, plus haut, les dernières vaches attardées, broutant encore de ci de là quelques touffes d'herbe, rentrent paisiblement à l'étable. Ce bruit des cloches, cette solitude, ce calme profond que le bruit du torrent, dans sa marche fantastique et violente, trouble à peine, le silence du soir, voilà une de nos joies. Nous ne demandons rien d'extraordinaire; mais je ne suis pas certain que tous ceux qui viennent sur l'alpe éprouvent les sensations qu'elle donne à ceux qui la connaissent et l'aiment passionnément. Pour mon compte, c'est de grand matin et à la tombée de la nuit que je suis le plus impressionné.

C'est une des raisons pour lesquelles, à ces moments de la journée, je recherche un instant de solitude pour savourer, dans une intime communion avec la nature, ces multiples sensations de paix, de douce joie, de reconnaissance, et pour essayer de comprendre la vie dans sa simple beauté.

En arrivant à la cabane, il faut bien revenir à la réalité.

Il y avait là plus de 20 personnes, dont trois ou quatre alpinistes au plus.

Il s'en fallut de peu que nous ne trouvions pas de place, et pourtant nous avions assez trimé pour mériter un abri sous le toit de notre cher C. A. S.

Ceci montre que, de plus en plus, nous devrons placer nos cabanes à une distance plus grande des hôtels.

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