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Un des plus anciens membres du C. A. S., monsieur le professeur J. Piccard, nous écrivait au sujet de Philippe Marlétaz que le fond du caractère de ce guide émérite était l'extrême prudence unie à un parfait bon sens; ne se laissant jamais griser par la montagne, il évitait les tours de force, non qu'il n'en fùt capable, mais pour le bon exemple; il s'opposait aux grandes cordées, et interdisait les glissades sur les névés se terminant sur des ressauts ou des pierriers; il craignait le brouillard et par dessus tout les chutes de pierres. C'est ainsi qu'il est arrivé au bout de sa carrière sans avoir eu à enregistrer un seul accident aux touristes qui s'étaient confiés à lui.

L'oncle Philippe appartenait à la vieille école des alpinistes qui, en course et en général, préférait le vin au thé dans les ascensions, il échelonnait les bouteilles dans des cachettes pour les retrouver à la descente; ces « caches » étaient sacrées et malheur à qui eut osé les « déniotter! » Jamais il ne pardonna à M. J. Piccard d'avoir cassé un de ces précieux flacons à la cime de l'Est.

Lorsque l'âge et les rhumatismes obligèrent Philippe à renoncer aux ascensions, il se contenta de promenades et de petites courses, comme la Vire aux bœufs ou le Roc aux chasseurs ! Ce même roc, sur le chemin des vires de la Frête de Sailles, fut sa dernière grimpée, faite en compagnie de M. Leschaud de Genève! C'est alors qu'on le vit prendre ses quartiers sous le vieux platane, vivant de souvenirs, les yeux suivant le cours des nuées, retrouvant dans les parois du Muveran les vires et les prises où il s'était accroché à la recherche d'un passage! Son regard mélancolique et vague redevenait vif et pétil

lant lorsqu'un passant lui adressait la parole; souriant, accueillant, il avait, avec l'esprit d'à-propos, une histoire dròle à raconter ou un conseil marqué au coin du bons sens à donner.

Lorsque, dans les jours de pluie, on voulait passer une soirée originale à la pension Marlétaz, on invitait l'oncle Philippe et on le mettait sur la piste; alors, avec un verre qu'il emprisonnait dans sa grosse main calleuse, il plissait ses yeux malicieux et commençait à dévider son écheveau interrompu par les fusées de rires des dames et des demoiselles, avec lesquelles il restait toujours aimable et d'une galanterie rustique pleine de bonhomnie. Il chantait « Les deux Sœurs » et « Partout vous trouverez l'Amour avec des œillades et des expressions inimitables.

Depuis que l'oncle Philippe avait accroché au clou son piolet de guide, l'alpinisme a fait des progrès dans tous ses domaines; certaines idées, certains préjugés se sont modifiés, par le fait même de ceux qui, comme Rambert et son modeste compagnon, ont ouvert les voies; ce qui paraissait inadmissible, impraticable ou irréalisable à leur époque, est aujourd'hui la monnaie courante de l'alpiniste savant ou grimpeur.

En certains cas aussi l'alpinisme comme le pratiquaient les Rambert et les Javelle a dévié; c'est pour beaucoup un « Sport», c'est-à-dire l'occasion de faire du « Tant à l'heure », disons de l'acrobatie. La science, la poésie, l'étude, l'amour de la Montagne, les grands spectacles qu'elle offre à ses adeptes, la fleurette qu'elle fait croitre pour eux dans la fente du rocher, délicieusement découpée, merveilleusement colorée et parfumée, pour les arrêter un instant dans l'ascen

sion en leur disant « respire moi, » l'effort viril et énergique du véritable grimpeur qui veut conquérir le ro cher, lutter avec lui et jouir de sa victoire, tout cela est lettre close pour ces « Sportsmen» en mal de minutes, chronométrant au départ, chronométrant à l'arrivée! « Des dératés, disait l'oncle Philippe avec mépris, qui ont le feu au fond de leur « tiulotte >> mais pas des montagnards! »

Les alpinistes sérieux, comme ceux dont s'hono: rent les sections du C. A. S. et la plupart de nos sociétés montagnardes suisses, reconnaîtront toujours la valeur des anciens qui furent les précurseurs; ils les tiennent pour leurs maîtres, ayant consacré à l'Alpe leurs forces, leurs peines et le plus pur de leur cœur ; ils vénèrent leur mémoire, et saluent respectueusement les vétérans de l'école de Ph. Marlétaz. Celui-là était de la race des guides dont on fait ses amis, de ceux qu'on ne paye pas au tarif, mais auxquels on serre vigoureusement la main à la fin de la course en disant: «Eh! bien, cher ami, merci, au revoir, à bientôt. >>

<«< Salut donc à l'oncle Philippe!

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Nous aurions désiré qu'une autre plume que la nôtre rappelât les périodes intéressantes sans doute, pour l'histoire de l'alpinisme, de la vie de ce montagnard émérite; nous avons frappé à la porte de plusieurs de nos collègues, compatriotes de Marlétaz, qui nous paraissaient mieux documentés et plus qualifiés que nous pour cela, mais sans succès! C'est la raison du retard apporté à l'hommage que L'Echo des Alpes devait à la mémoire du guide expert, de l'honnête homme que fut l'oncle Philippe. C'est aussi l'excuse de l'écrivain qui a essayé de faire revivre,

bien imparfaitement, quelques souvenirs personnels qu'il associe à ceux très émus, que lui laissent le calme et tranquille vallon des Plans!

Georges HANTZ.

(Section genevoise.)

Nous tenons à remercier ici notre ami M. Jules Veillon, guide aux Plans, des renseignements qu'il a bien voulu nous fournir sur Philippe Marlétaz, qu'il a connu d'une manière tout intime.

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La traversée du Buet à Barberine

Pour être parmi les courses relativement faciles, la traversée du Buet à Barberine, quoique fort intéressante, est cependant peu connue.

Je vais essayer d'en donner une faible idée à vos lecteurs, tout en regrettant de ne pouvoir illustrer ce récit d'un plus grand nombre de beaux clichés des lieux parcourus.

Nous nous trouvions, le dimanche 9 août 1908, à 10 h. 1/2 du matin, sur le sommet de ce superbe belvédère qui a nom «<le Buet » (3109 mètres).

Nous étions partis des chalets des Fonds, heureux de les quitter, car, ni la douceur d'un foin maigre et humide, ni la saveur d'un café au lait rappelant celui qu'on nous faisait boire dans notre jeune âge, accompagné de la traditionnelle once d'huile de ricin, ni même la grâce de l'hôtesse, qui sut bien me dire qu'il ne faut pas être difficile à la montagne, rien n'avait pu nous retenir.

Que dire de l'ascension par ce versant? Elle est longue, pénible, et ne devient agréable qu'au moment où, arrivés à la hauteur du Col de Léchaud, nous prenons l'arète Ouest, celle qui domine les Fonds, et rejoignons la crête rocheuse venant du Léchaud. - A partir de ce point, on commence à vivre, à toucher la récompense de ses efforts.

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