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bonheur, la guérison, la fécondité. La Bretagne a ses <<< Roches écriantes. » Des jeunes filles, pour se marier plus promptement, grimpent sur leur sommet et se laissent glisser (écrier) jusqu'en bas. La glissade, répétée par plusieurs générations, a fini par polir la pente. Ces pratiques, pour l'ordinaire accomplies en secret, ne laissaient pas que d'être rudes et grossières, au point de s'appeler l'écorchade dans la vallée de l'Ubaye (Basses-Alpes). Il va de soi que la cérémonie a souvent perdu de sa gravité. Les sacrifices vont en s'adoucissant. De même que l'animal remplace le sang humain et qu'enfin trois gouttes de vin suffisent à la divinité, ainsi, sur la Pierre glissante, près d'Hyères, les filles qui veulent se marier dans l'année se contentent de poser un bouquet de myrte. Elles reviennent au bout de huit jours: s'il est resté en haut, leur souhait sera accompli, s'il a glissé, il faut attendre. La glissade, au cours des âges, a pris un caractère facétieux qu'elle n'avait certainement pas autrefois. Dans la Belgique wallonne, garçons et filles s'asseyaient au sommet du rocher de Ride... Postère sur de petits fagots et se laissaient glisser sur ces luges improvisées. On tirait des ordalies (présages) des incidents de la descente, suivant qu'il y avait « retournade, » embrassade, « cognade, >> embrassade suivie de « roulade », etc. L'usage de la friction contre certaines pierres levées passe pour efficace dans les choses qui touchent à l'amour et à la stérilité. A Sarrance (Basses-Pyrénées), les femmes attristées de ne pas être mères passent et repassent dévotement sur un petit roc. Et si un mari craint le sort de Sganarelle, qu'il aille, de nuit, faire à cloche-pied le tour d'un rocher en Combourtillé (Ille-et-Vilaine.

Pour tant de bienfaits et de vertus, il faut récompenser les pierres, les embrasser, les oindre avec des substances grasses, leur offrir des épingles, des liards, quelques pièces de monnaie en nombre impair.

Même après les mégalithes et les blocs naturels, les humbles parcelles de pierre ne sont pas à dédaigner. Que de grosses pierres ont été raclées pour que leur poussière, mélangée aux boissons, fit du bien aux malades, fiévreux, rachitiques ou autres! Quelquefois, afin de christianiser un peu la pratique, on les a transportées dans des églises ou dans leur voisinage. Plusieurs chapelles du Beaujolais renferment encore des pierres miraculeuses honorées par les pèlerins et dont on racle la surface à l'aide d'un

couteau.

Les pierres détachées du sol servent à conjurer l'arc-en-ciel. On les lance pour renforcer un serment, on les jette en passant devant un cimetière pour se préserver d'un danger. Toutefois ne les jetez ni dans les lacs ni dans les haies le jour des Morts, elles irriteraient des génies ou blesseraient des âmes en pèlerinage. Les pierres lancées à propos neutralisent le mauvais effet de la rencontre d'une belette ou d'un autre animal funeste. On les consulte comme on effeuillerait une marguerite autant de sauts fait la pierre lancée, autant d'années à compter avant le mariage. A l'endroit où, sur la route de montagne, quelqu'un a péri de mort violente, chaque passant jette une pierre de souvenir, sous peine de mourir lui-même dans l'année. Ces « clapiers » funéraires sont parfois considérables.

Une idée fort répandue dans le peuple, c'est qu'on peut se débarrasser d'un mal en le transmettant à un objet inanimé. C'est pour cela qu'il est bon d'oublier sur la route neuf galets enveloppés dans le mouchoir du malade. Celui qui le ramasse prend la fièvre. Mettez dans une petite bourse autant de petits cailloux que vous avez de verrues, laissez-la à terre; celui qui s'emparera de la bourse attrapera les verrues. Notons encore que neuf petits cailloux blancs ramassés sur un chemin où un enterrement a passé depuis peu sont, bouillis dans le lait, efficaces pour des fluxions de poitrine.

Volontiers les paysans placeront des pierres sur

les arbres.

C'est, à l'origine, une assimilation analogique entre la charge qu'on leur met et celle des fruits dont on désire qu'ils se couvrent. Ce serait une énumération infinie que celle des propriétés des pierres détachées on s'en sert pour des maléfices, pour des jeux, pour déterminer des emplacements, contre le feu du ciel, contre les naufrages. Si les pierres sont naturellement trouées, elles ont la plus grande influence sur les êtres et sur les choses. Ainsi, attachées au cou d'un cheval qui hennit trop, elles le font taire; à la queue d'un àne, elles l'empêchent de braire.

La nature presque toujours, la main de l'homme quelquefois ont fait, sur la surface des rochers, des creux et des marques qui reproduisent, avec une fidélité plus ou moins grande. des parties du corps humain, des ustensiles, des écuelles, des bassins, etc. De ces empreintes merveilleuses on a fait de longs

catalogues. Le peuple s'en étonne et les attribue à des personnages héroïques, à des saints, à des animaux réels ou fantastiques. Les anciens montraient aux voyageurs de ce temps, dans la grotte du centaure Chiron, les dépressions laissées par les coudes des dieux au banquet nuptial de Thétis et de Pélée; dans le sud de l'Italie, les vaches d'Hercule avaient imprimé leurs traces comme sur de la cire molle dans un chemin pierreux. Semblablement, depuis que les dieux sont morts, on trouve, ici, trois traces des pas de la Vierge, là, les deux pieds de l'Enfant Jésus, les cinq doigts de saint Ferréol qui trébucha en jouant au palet. On peut suivre Satan à la piste. Les pantoufles de sainte Madeleine se sont imprimées sur un rocher de la Charente. Quant aux empreintes de saint Martin, elles sont légion. Car il a beaucoup voyagé et laissé un peu partout les traces de ses sandales, de ses genoux, des fers de sa monture. Les dépressions en forme de pieds attestent l'effort que des personnages ont fait en prenant leur élan, en général pour franchir une vallée. Il s'y rattache tout un cycle de légendes internationales qu'on pourrait appeler « le Saut de la Pucelle. » On y voit une fille d'honneur qui s'élance pour échapper à un seigneur trop pressant, et arrive saine et sauve en bas ou de l'autre côté du ravin.

Rappelons pour mémoire les Chaises, les Chaires du Diable et sa batterie de cuisine presque aussi bien montée que celle des bienheureux.

Comme les pierres elles-mêmes, les empreintes merveilleuses opèrent des miracles. Les enfants qui ont des maux de jambes sont conduits, dans le Beaujolais, à des écuelles naturelles. Ils urinent dans la cavité et la guérison suivra de près. Chacun peut

trouver remède à son mal. En règle générale, `il suffit d'introduire le membre affligé dans une cavité correspondante il y en a pour la tête, le bras, la cuisse, etc. C'est ici le lieu de rappeler ces gracieux vers de Brizeux au chant VII de ses Bretons :

Bientôt m'apparaissaient Carnac et son clocher,
Quand je vis au détour d'un immense rocher
Un enfant qu'on faisait marcher sur cette pierre;
Son père le tenait sous ses bras, et la mère
Prenant les petits pieds de l'enfant, son amour,
Dans les creux du rocher, les posait tour à tour;
Tout près, dévotement brûlait un bout de cierge,
Car ces creux vénérés sont les Pas de la Vierge !
Ils sont, depuis mille ans, empreints sur ce rocher,
Et par eux les enfants apprennent à marcher.

On a beaucoup étudié l'usage traditionnel des pierres précieuses. Ce chapitre du folklore est d'un grand intérêt parce qu'il montre les multiples relations qui existent entre les superstitions populaires et les livres et réciproquement. Pline, par exemple, a consacré en entier aux gemmes le livre XXXVII de son Histoire naturelle. Il a puisé, pour l'écrire, dans la tradition populaire autant que dans des sources manuscrites ou dans ses observations personnelles. Mais, à leur tour, les dires de Pline, justes ou faux, par mille canaux se sont répandus dans l'Occident et ont engendré de nouveau des croyances, ont donné lieu à de nouvelles légendes.

Toute une littérature a fleuri autour de ces pierres rares ou merveilleuses dont les ans ne sauraient attaquer le poli. Dès les âges les plus reculés appa

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