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ANS l'œuvre poétique de Lamartine, les Alpes occupent une place notable.

Cela devait être. Dès son enfance, jeté aux pieds des régions alpestres par sa destinée, le poète avait passé huit longues années à Belley dans le Bugey. Ensuite, par ses amitiés, il avait été entrainé à de fréquents séjours dans la Savoie de Chambéry

Au pied du Nivolay d'étoiles couronné.

Egalement, et pour le même motif, dans le Dauphiné le château de Virieu l'avait souvent accueilli. A maintes et maintes reprises, il était venu s'établir dans la région du Léman. Il avait visité les « parties les plus sauvages de l'Helvétie ». Comment, sans un parti pris héroïque, eût-il pu fermer aux Alpes l'accès de son imagination et de ses vers?

D'autant plus qu'il ne les avait pas vues seulement, mais profondément, sincèrement admirées. Une vraie passion se décèle en lui pour les pays montagneux et entr'autres pour celui-là. Il reprochait au destin de

ECHO DES ALPES. - 1908.

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ne pas l'y avoir fait naître. Désireux de vivre en de tels aspects de nature, comment eût-il voulu se défendre de les laisser vivre en lui? Aussi, de même que Victor Hugo, son émule en lyrisme, dès le moment où la destinée le transporta vers l'Océan, donne partout en ses inspirations une place maîtresse à la mer, de même Lamartine, dès ses premiers pas dans la carrière poétique, se présente-t-il dominé par les Alpes. Le fond de son âme, assurément, comme chez tout lyrique digne de ce nom, s'en va toujours vers l'humanité, ses misères, ses souffrances, ses joies grandes, ses espérances et ses doutes. Au premier plan restent toujours la religion, la philosophie, l'histoire, les tragédies intimes. Il s'en nourrit, il s'en inspire. Mais dès que sa pensée veut s'habiller, veut prendre des ailes pour planer et saisir à la fois la terre et le ciel, l'imagination du grand poète retourne aux Alpes aimées et leur demande le concret qu'il lui faut. Elles lui fournissent son « Imagier ».

Ainsi, veut-il en un chef-d'œuvre, faire passer devant nos yeux l'incurable tristesse de ceux qui se sentent éphémères,

Vers la nuit éternelle emportés sans retour, et pleurent en leur cœur de ne pouvoir

Sur l'Océan des âges

Jeter l'ancre un seul jour,

c'est sur un lac des Alpes (le Bourget) qu'il lance le faible esquif de leur fugitive existence.

Veut-il, à Mademoiselle Delphine Gay, dire que de loin on la redoute et de près, on sent avec bonheur tout son charme, alors il rappelle et décrit cette double impression que, successivement, il a aussi ressentie devant le monde alpestre.

Veut-il, instinctivement, consoler ceux qui ont cette double petitesse d'aimer qu'on les regarde quand ils passent et d'aimer eux-mêmes se regarder à l'occasion dans les miroirs qui sont à leur portée (sans doute il connaissait de tels fats), le voilà qui commet une pièce, plus qu'irrévérencieuse, où c'est le Mont-Blanc lui-même, qui veut monter vers le ciel par la première de ces sottises et passe les jours et les nuits de sa longue vie à se satisfaire dans la seconde. Pauvre Mont-Blane!

En combien d'autres passages les Alpes n'apparaissent-elles pas encore dans Lamartine pour illustrer une pensée ou profonde ou futile? Il serait fastidieux de le montrer. Chez lui, on voit à tout propos apparaitre des rochers suspendus, écroulés, menacants; au loin des monts neigeux; plus près quel ques pâturages vers les sapins, sur le bord des précipices. Ce sont surtout les eaux vivantes de l'Alpe qui arrivent partout. Des eaux qui sautent, qui bondissent, qui croulent en poussière, qui s'endorment en lacs bleus où se reflètent les neiges, les forêts, les abimes; des cascades enfin; voilà ce qu'il faut à Lamartine. Ses cascades innombrables sont malheureusement plus abstraites que réelles; sœurs germaines, elles se ressemblent, comme deux gouttes d'eau (le mot paraît en place); elles entrent dans ce flot littéraire, et elles en sortent, un peu comme des figurantes qui auraient tout simplement fait demitour dans les coulisses. Elles donnent volontiers l'impression de la même au même. Mais à regarder de près toutes ces grandes eaux vivantes chez notre poète, on reconnaît, que nul autre n'a noté avec autant de richesse et de bonheur les divers gestes ou figures que prennent les eaux dormantes et courantes de l'Alpe.

Et ce ne sont pas seulement les aspects pittoresques de la nature alpestre qui accourent partout dans l'œuvre lamartinienne; à titre égal et en traits parfois saisissants, le poète a tenté de transcrire aussi tous les bruits dont les réalités alpestres s'entourent et s'animent au milieu du grand silence qui les enveloppe. Les bruits de la cascade, du ruisseau; ceux du vent dans les rocs; de l'ouragan ou de la brise dans les forêts, Lamartine a tout entendu. C'était essentiellement un auditif, a-t-on dit. Erreur et vérité tout à la fois. Auditif certainement mais pas auditif seulement. Egalement inexacte on le sent déjà par les détails que nous donnions tout à l'heure - est la parole qui a dit: Lamartine ne savait pas voir les réalités de nature. Dès ici, répondons qu'il voyait admirablement et souvent exprimait de même, mais surtout le détail. Il voyait plutôt en myope; très bien, de près; les groupements lui échappaient volontiers ou il n'en tirait pas conséquence. Il a récolté dans le monde réel plus de petites études que de grands tableaux. De ces traits définis, ensuite, à sa fantaisie, il båtit toutes ses descriptions.

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Toutefois si, chez notre grand lyrique, les Alpes ne se rencontraient que de la sorte, à titre d'ornementation, l'intérêt du sujet que nous traitons, pour rester encore très réel au point de vue littéraire, perdrait beaucoup à tous les autres.

Notons, soulignons qu'il y a plus, beaucoup plus chez Lamartine. Il n'a pas seulement admis les Alpes en son œuvre, par une nécessité de son imagination surexcitée; le Chantre d'Elvire et de Graziella a voulu faire davantage, il a voulu être aussi le Chantre des Alpes et son intention s'affirme dans Jocelyn.

A-t-il réussi? pour l'heure ce n'est pas la question. Nous affirmons uniquement qu'il l'a voulu.

On connaît le thème de Jocelyn, poème en 9 époques et 10,000 vers, simple Episode, pour son auteur, des destinées de l'humanité sur la terre.

Un jeune homme, esprit pieux, cœur large, se voue à la prêtrise, moins pour Dieu que pour sa sœur à laquelle, par cette démarche, il se facilite d'abandonner sa propre part de patrimoine. Il lui assure ainsi un mariage d'inclination. Le soir des noces, solitaire au milieu de cette joie de vie naturelle qu'il a répudiée, il s'épanouit en pensant

Ce bonheur est à moi, car c'est moi qui l'ai fait; puis il marche à sa destinée. Mais bientôt la Révolution le chasse du séminaire. Il fuit vers les Alpes. Guidé par un pâtre, il y trouve, dans la plus profonde solitude, une retraite sûre. Et alors, après les descriptions du voyage, de l'ascension, de l'arrivée, viennent les longs tableaux et les impressions alpestres.

La solitude commence à lui peser lorsqu'un jour il aperçoit deux proscrits qui fuient, escaladant la montagne, vers son refuge, poursuivis par deux soldats. Le plus vieux, armé, s'arrête, attend, décharge son fusil sur ses deux persécuteurs, qui tombent morts. Il tue, il est tué, car leurs balles l'ont également atteint. Son fils Laurence, resté seul, est accueilli par Jocelyn. Solitude à deux. Impressions. Cantique à la nature. Descriptions. Orage.

Par l'orage, un nouveau tableau s'est dessiné mais un mystère se laisse deviner. Laurence est une femme. Et déjà l'amour germe en l'âme de Jocelyn. Mais à l'heure propice un incident se produit. Son pâtre arrive et le supplie de descendre à Grenoble ou l'évêque l'appelle et va mourir. Jocelyn ne pourrait

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