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Traversée du Mönch 4105 m. par le nord.

Nous sommes partis de la Petite-Scheidegg vers les 2 h. d'un après-midi du mois d'août; nous avons essuyé les sourires ironiquement supérieurs de quelques guides et nous avons été mal à l'aise à cause du grand nombre d'étrangers.

La cabane du Guggi est à 2 h. 1⁄2 de là. Il n'y en a pas de plus sale; grand décrassage, puis risotto et sommeil.

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Autour de 3 h. du matin nous partons; il y a tout d'abord « l'Enfant » une des plus impertinentes «sans guide » qu'on puisse connaître, française, puis Raugé, rochassier, francais, Rockfeller, (section Chaux-deFonds), le D' Knapp, (section Båle), et le soussigné.

On longe un banc de rochers jusqu'au-dessus du glacier de l'Eiger, et l'on trouve un vague sentier qui sert pour aller aux Mönchplatten.

Une matinée tout à fait merveilleuse se prépare pendant que nous tâtonnons dans les éboulis et les schistes cassants.

A 7 h. 12 un replat, les Mönchplatten. En bas, les hotels se sont éteints dans le brouillard léger. A gauche, l'Eiger en silhouette, avec de la dorure sur les arêtes; à droite, la Jungfrau, somptuense aux flanes, à la tête flamboyante. Devant, il y a quelques ressauts de rochers, puis la grande trainée blanche

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qui court jusque vers le sommet du Mönch. Repos et repas. C'est ici que ça va commencer. Nous nous encordons et mettons les crampons. Au moment où nous débouchons sur l'arête blanche il est 8 h. 1⁄2, nous percevons 4 ou 5 coups de canon; Mürren, Schynige-Platte, Wengernalp, Petite-Scheidegg, qui font l'appel aux télescopes. C'est fort désagréable.

Pendant 20 minutes, nous montons confortablement dans la neige dure. Subitement la pente se raidit très fort, et la glace commence. Il faut tailler. Une première étape doit nous conduire à certain mur de glace vers lequel notre arête va en s'élargissant. Depuis longtemps déjà ce mur fait l'objet de nos paroles; c'est impatientant de ne pouvoir y arriver tout d'un coup. De notre place, il semble qu'on pourra passer soit tout à gauche, soit ..... mais où? tout à droite. Essayons donc à gauche. Mais il faut tailler pendant une heure de très sérieuses marches. J'admire la patience de mes compagnons, qui ont les doigts mis en sang par les débris que je leur envoie.

Enfin, nous atteignons la muraille de glace là où elle est la moins méchante. Il faudrait deux ou trois

gros trous pour traverser, mais on ne sait pas où se placer pour les faire et puis, plus haut, c'est si bombé qu'on ne pourrait pas continuer.

Nous délibérons tout en faisant de l'équilibre. Peutètre serions-nous redescendus, n'étaient les télescopes.

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Allons voir à droite. Allons est une manière de dire. Ce fut un peu « chatouilleux » jusqu'à ce que nous eussions pu tourner à angle droit en descendant quelque peu. Et puis cette glace à l'ombre était d'un dur!

La paroi a vingt mètres, quarante peut-être, je ne

sais. Mais je sais qu'une nouvelle heure se passa jusqu'au coin à droite. Une heure énervante, dans l'attente de ce qu'il y avait derrière ce coin. C'est dans une situation semblable que Victor Hugo dit : «Il'n'y a rien de plus intéressant qu'un mur derrière lequel il se passe quelque chose! »

Derrière le coin, il y avait une fissure verticale et un manque d'unité. La fissure était pleine de glace fondante et assez large pour y mettre la main.

Le manque d'unité avait en haut une espèce d'éperon. Le tout avait bien quatre mètres, mais en bas, <«< ils avaient oublié une prise ». Alors Raugé voulut bien me pousser par derrière avec son piolet jusqu'à une marche à hauteur de nez. Après quoi nous traversâmes le mur.

Encore une demi-heure de pente très forte, puis la plaine qui monte et enfin grand banquet dès midi.

Alors, nous nous aperçumes qu'il faisait beau et que la vue était merveilleuse. L'endroit plat où nous étions est très visible du Rottalsattel et de l'Eiger. Nous regardions par dessus le Jungfraujoch les caravanes de la Jungfrau et la «grande route des Allemands », et nous étions contents d'être seuls avec notre montagne. Les télescopes ne nous voyaient plus, et nous pensions leur avoir joué un mauvais tour.

D'ici, le Mönch est irréprochable de forme et de couleur. Il paraît râblé à cause du raccourci, et je ne sais pourquoi il nous semblait content de n'être pas envahi comme ses voisins, mais d'être apprécié à sa juste valeur. Nous nous mettions à l'aimer, effet sans doute du banquet thé-salami.

Le chemin est indiqué naturellement; on passera là où c'est possible et on tàchera d'atteindre l'arête du sommet dès qu'on pourra.

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