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1908.

No 7.

Lamartine dans les Alpes.

ES œuvres poétiques de Lamartine, les commentaires dont il se plaisait parfois à les entourer, ses Confidences et ses Nouvelles

Confidences nous livrent nombre de détails caractéristiques sur les circonstances et les impressions par lesquelles ce grand poète fut amené à voir les Alpes, à les contempler, à les visiter, à y vivre, à en vivre même, finalement à les aimer beaucoup et à tenter sérieusement de les décrire.

Le tout forme un chapitre important de la vie de Lamartine, et par la haute valeur de celui qui s'y trouve raconté, en même temps un épisode intéressant de l'histoire des Alpes. Et encore un incident notable de l'évolution moderne vers la passion de la

nature.

Nous allons essayer ici de grouper tous ces faits, pour l'ennui sans doute des indifférents qui, d'avance, sont fatigués de tout, et pour la joie, espérons-le, des curieux qui veulent toujours tout savoir.

Nous n'aurons pas la prétention d'être complet, mais seulement celle d'être exact. Tout dire, c'est trop dire. Voilà déjà nos indifférents soulagés. Il en réstera assez pour les curieux.

ECHO DES ALPES.

1908

16

Les Alpes qui devaient occuper une si large place dans la vie et les œuvres du plus grand lyrique francais, auraient très bien pu lui rester étrangères. Elles ne s'imposaient pas du tout à sa destinée.

Alphonse de Lamartine naquit à Mâcon le 21 octobre 1790, dans une maison de la haute ville, et dans une famille de bonne noblesse. La Révolution française faisait ses débuts; elle allait développer ses prouesses jusqu'à la Terreur ; le temps n'était certes pas aux promenades pittoresques, aux idylles champêtres, aux contemplations solitaires, aux méditations paisibles. L'heure des grandes guerres sonnait; pendant vingt années, l'Europe devait être en feu, même à feu et à sang. Tous les esprits se portaient déjà et devaient de plus en plus s'absorber dans les soucis de la politique et d'une existence appauvrie, besogneuse, au jour le jour, angoissante. Tout semblait indiquer que l'enfant de cette famille du Mâconnais allait vivre et mourir dans ce pays de plaines monotones autour de la ville, et plus loin de collines gracieuses, ou qu'il n'en sortirait que pour entrer dans les agitations de son temps, sans avoir jamais, seulement une fois, vu les Alpes. De Milly, campagne voisine de sa ville natale et où Lamartine, au pied de collines qu'il nommait des montagnes, passa sa première enfance, on aperçoit bien le Mont-Blane, dit-il; mais quel Mont-Blanc ! et si rarement! et si peu! aux heures sereines du soir, une dentelle blanche qui se hérisse se hérisse vers l'horizon lointain.

Il allait même perdre ce médiocre plaisir, car, à 10 ans, on l'envoie à Lyon pour devenir un homme, dans une institution alors très recommandée. Heu

reusement, ce qui devait rayer les Alpes de ses perspectives, allait justement les y ramener. On lui voulait un internat éducatif. Celui de Lyon ne put le retenir. A peine arrivé dans sa nouvelle demeure, l'enfant s'aigrit. Il se trouve emprisonné; il regrette sa mère; il sent vénales toutes les prévenances qu'on lui fait. Son horreur va grandissant, il décide de s'enfuir. Et l'occasion s'y prêtant, il en profite. Mais aussitôt on retrouve ses traces et, le jour même, à quelques lieues de Lyon, dans une auberge où il s'est arrêté pour manger, il voit apparaître le directeur du pensionnat suivi d'un gendarme. Finalement on dut le renvoyer, et ses parents, persistant dans leur première idée, le dirigèrent alors sur le collège de Belley. Il revenait aux Alpes.

Belley, petite ville du Bugey, dort dans un vallon du Jura, à deux pas du Rhône. Sur l'autre rive du fleuve se relèvent les montagnes de Savoie, leurs forêts, leurs pâturages, leurs chalets, leurs cascades; c'est le massif de la Dent du Chat, ce sont les Alpes calcaires, bien différentes des ondulations jurassiques, longues, monotones, alignées comme des soldats de bois, sans caractère, sans imprévu, sans indépendance.

Du premier coup d'œil l'enfant aperçoit ce nouvel horizon, s'y accroche et le contemple, singulier développement chez un gamin de dix ans.

La fenêtre haute du dortoir la plus rapprochée de mon lit ouvrait sur une verte vallée du Bugey, tapissée de prairies, encadrée par des bois de hètres et terminée par des montagnes bleuâtres, sur le flanc desquelles on voyait flotter la vapeur humide et blanche de lointaines cascades. Souvent, quand tous mes camarades étaient endor

mis, quand la nuit était limpide et que la lune éclairait le ciel, je me levais sans bruit, je grimpais contre les barreaux d'un dossier de chaise, dont je me faisais une échelle et je m'accoudais des heures entières sur le socle de cette fenêtre, pour regarder amoureusement cet horizon de silence, de solitude et de recueillement. Mon âme se portait avec d'indicibles élans vers ces prés, vers ces bois, vers ces eaux ; il me semblait que la félicité suprême serait de pouvoir y égarer à volonté mes pas, comme j'y égarais mes regards et mes pensées ; et si je pouvais saisir dans les gémissements du vent, dans les chants du rossignol, dans les bruissements des feuillages, dans le murmure lointain et répercuté des chutes d'eau, dans les tintements des clochettes des vaches sur la montagne, quelques-unes des notes agrestes, des réminiscences. d'oreille de mon enfance à Milly, des larmes de souvenir, d'extase, tombaient de mes yeux sur la pierre de la fenêtre. Et je rentrais dans mon lit pour y rouler longtemps en silence, dans mes rèves éveillés, les images éblouissantes de ces visions. (Confidences.)

La citation est longue, mais caractéristique. Comme toutes celles qui doivent la suivre, nous ne l'avons introduite dans nos développements que pour son importance historique. On voit ici combien l'attrait du pittoresque était déjà actif et dominateur sur le futur poète, encore si petit.

Tout ne se borna pas à ces contemplations nocturnes. Inévitablement, quand le collège allait en promenade, et c'était tous les jours de beau temps, on se dirigeait volontiers du côté du Rhône, on passait le pont, parfois on parvenait exceptionnellement par la route de Savoie jusque sur les contreforts de la montagne du Chat où le panorama devenait grandiose. Au pied du Col, le lac du Bourget ; au delà le pays collineux d'Aix-les-Bains; plus à gauche la

longue et vaporeuse vallée par laquelle le Rhône arrive de la Suisse; tout à fait à droite la région de Chambéry, séjour alpestre doux, gracieux, saisis

sant.

Combien de fois Lamartine a dù regarder ce paysage, au milieu de ses petits camarades, enthousiasmés comme lui.

Il nous le dit lui-même, cette passion naissante et si noble de la nature pittoresque, n'était pas exclusivement son privilège. Lorsqu'après sept ou huit années, il dut quitter le collège de Belley, trois élèves, avec lui, désirèrent s'en aller à pied afin de jouir encore une fois de la nature alpestre, si intéressante jusque dans le Bugey même, pays de transition entre le Jura et les Alpes.

Nous nous arrêtions de village en village et de ferme en ferme... Les montagnes, les torrents, les cascades, les ruines sous les rochers, les chalets sous les sapins et sous les hêtres de ce pays tout alpestre, nous arrachaient nos premiers cris d'admiration pour la nature. C'était nos vers latins et grecs, traduits par Dieu lui-même en images grandioses et vivantes, une promenade à travers la poésie de sa création. Toute cette route ne fut qu'une ivresse. (Confidences.)

Ce n'était pas la dernière fois que notre poète contemplait ces endroits-là. Il devait y revenir bientôt, car parmi les élèves de Belley s'étaient rencontrés des enfants, originaires des pays alpestres, entr'autres Louis de Vignet et Aymon de Virieu qui, ses camarades alors, étaient destinés à devenir bientôt ses amis, et à le rappeler souvent, l'un en Savoie, l'autre en Dauphiné.

Louis de Vignet, dont il est beaucoup parlé dans

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