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La cime même du Winterstock, nous entendons la plus haute, car cette montagne en a deux autres, -est d'une belle hardiesse en même temps que classique de forme.

Enfin, il restait devant nous la tâche la plus laborieuse, je veux dire l'ascension du Dammastock par le versant Est. Comme c'est la sommité la plus haute de toute la région, comme sa muraille imposante, s'élevant de l'immense Dammafirn, domine directement l'hôtel, comme cet hôtel enfin s'est affublé de son nom, il semble tout indiqué que l'alpiniste désire sa conquête. En tous cas, tel fut bientôt notre plus cher désir, et je me permets de faire une narration plus détaillée de cette expédition assez émouvante.

J'avais lu que l'ascension directe par les rochers de la face Est, quoique difficultueuse, était cependant plus sûre que la montée du couloir aboutissant au Dammapass. Mais le guide local, Peter Gamma, que nous avions jugé prudent de nous adjoindre pour cette expédition, jurait que jamais il ne repasserait plus cette paroi directe, où il avait vu de terribles chutes de pierres. J'avais beau lui lire et lui relire ce qu'en disait l'itinéraire « le Dammapass est considéré d'une façon générale comme dangereux et presque impassable au début de l'été, parce qu'une corniche gigantesque empêche d'atteindre le col du côté Est. »

Peter Gamma n'en démordait point et comme nous considérious Abraham et moi, l'assertion de l'itinéraire un peu exagérée, nous nous décidons en fin de compte à traverser ce fameux Dammapass.

En route done.

Le 20 juillet, départ de l'hôtel en pleine nuit (1 h. 50). Un anglais fort aimable, M. Watson, arrivé la veille à la Göschenenalp avec deux guides renom

més, Perren père et fils de Randa s'est décidé subitement à tenter cette traversée avec nous.

La lanterne de cette seconde caravane suit la nôtre à petite distance, à travers un dédale de rhododendrons buissonneux, de rochers abrupts se prêtant difficilement à des escalades nocturnes. Sans le guide local, nous aurions eu mille peines à en sortir, du moins aurions-nous perdu beaucoup de temps. Or aujourd'hui ce temps était précieux infiniment, car il s'agissait d'arriver au couloir du Dammapass avant que la neige ne s'amolit au soleil.

Nous côtoyons ainsi fort longtemps les flancs du Moosstock jusqu'à ce que nous arrivions en vue de la moraine du Dammafirn. Ici, sur le dernier monticule gazonné, se trouvent les ruines d'un ancien chalet, le « Dammastäfeli », nous dit Peter Gamma. Le jour a blanchi, on éteint les lanternes. Avec quel plaisir on reprend haleine après cette course épuisante dans la brousse mouillée. Le Dammafirn, immense et superbe, est déployé devant nous.

Nous descendons sur la nappe blanche, nous remontons les névés jusqu'au pied du Moosstock, puis nous gravissons des pentes, des plateaux successifs jusqu'au point 2952 à peu près. De là, il faut revenir vers le Sud, par une voie en somme peu difficile, car les crevasses sont rares. Une seule grosse crevasse exige quelque attention.

Plusieurs couloirs marquent de rayures très accentuées la paroi qui s'étend du Dammastock au Rhonestock et il faut un instant d'étude pour être bien sûr d'atterrir au pied du vrai Dammapass. Nous y voici enfin, au fameux couloir; avec quelle fièvre nos yeux le disséquaient..... Malaisé, il l'est en effet, surtout s'il y a de la glace, et quant à la corniche qui le

surplombe tout là-haut, elle est ma foi monumentale. Eh bien, Gamma, qu'en dites-vous? Les livres. avaient raison !

-

Mais Gamma ne répond rien, et comme nous sommes au pied même du couloir, nous nous y engageons, dédaigneux de tout détour, ainsi que des soldats qui prennent contact direct avec l'ennemi.

Pour commencer, on traverse une rimaye, sans grande difficulté, et l'on s'élève ensuite dans le couloir avec une rapidité insoupçonnée, grâce à la neige de bonne consistance. Cependant la pente s'accentue sans relâche, devenant peu à peu presque inquiétante. Vers le milieu du couloir, on sent la glace bien près sous la neige plus amollie. Aussi jugeons-nous bon de nous diriger vers la droite, pour attaquer les rochers. Ceux-ci, d'un aspect noirâtre, sont solides, mais ils sont tellement raides que nous ne pouvons avancer que bien lentement, en marchant l'un après l'autre avec prudence. Nous grimpons ainsi une heure entière, toujours sans grande avance. Au dessus de nos têtes, la corniche s'étend sur les rochers jusqu'au Dammastock et nous ne pouvons juger d'ici, s'il existe dans cette corniche une partie faible, un point vulnérable.

Nous essayons alors de regagner le couloir, quitte à tailler la glace s'il le faut, mais nous ne parvenons pas à atterrir. Il s'agit donc de redescendre les mêmes rochers si difficilement conquis, pour aboutir au couloir à l'endroit même où nous l'avions abandonné.

Notre longue et inutile tentative a donné le temps à la seconde caravane de nous rejoindre. Les guides Perren jurent qu'ils ne monteront pas le couloir, ils affirment que nous eussions dù persévérer dans l'escalade des rochers. Une discussion solennelle s'en

gage entre Abraham et le vieux Perren, deux hommes rudes, à la grande barbe broussailleuse, deux hommes qui tous deux sont de vieux héros de la montagne.

Perren disait : «Nous sommes six hommes, nous avons deux cordes, nous pouvons parfaitement forcer ces falaises si l'on sait s'entraider. »

Abraham répondait : « Je l'ai cru aussi tout d'abord, mais depuis que j'ai pu voir la grande corniche couronner et surplomber les rochers aussi bien que le couloir, je préfère reprendre la neige ou la glace. » - «Mais, répliquait Perren, c'est bien la même chose, corniche pour corniche ! »>

<«< Non, concluait Abraham, avec son autorité grave et ferme, ce n'est pas la même chose. Je sais, moi, qu'une corniche soudée à la pente neigeuse, risque beaucoup moins de s'écrouler, qu'une corniche surplombant le rocher. Dans ce dernier cas, l'adhérence n'est pas suffisante et une cassure de la corniche est presque certaine au premier travail du piolet. Donc, quant à nous, reprenons le couloir ! »>

Là dessus, M. Watson avec les deux Perren essayent du même rocher où déjà nous avions usé nos mains et nos genoux. Notre caravane, elle, reprend avec courage la marche dans le couloir; la partie glacée est en somme fort courte et l'avance reprend, lente et sûre, tel le travail d'une perforatrice.

Au bout de bien peu de temps, les Perren ont lâché leurs falaises, car ils ont entendu nos appels et ils ont constaté que nos affaires marchaient bien. Les voilà donc derrière nous, quoique à une bonne distance, et cela nous rend la tâche malaisée, obligés que nous sommes à une attention extrême, énervante. Il ne faut en effet pas lâcher derrière nous un seul

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