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« Nous partimes vingt-un, mais par un prompt renfort, « Nous nous vimes vingt-cinq en arrivant au port...>>

Ces vers du vieux Corneille, d'héroïque mémoire, pourraient s'appliquer, presque sans changement, à notre carava

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ne, composée

sans contredit

des plus audacieux grimpeurs de la section des Diablerets. Donc, nous quittâmes Lausanne le matin du 20 juillet, à 5 h. 10, dans les meilleures dispositions,

RCHO DES ALPES. - 1908

malgré la longueur et la somnolence d'un trajet interminable. Quand la Direction des C. F. F. accordera-t-elle aux touristes des Diablerets un train matinal convenable?

Dans la troupe il y avait des citoyens de Lausanne, trois bourgeois de Morges, un Tyrolien authentique, un naturel de Leysin, un insulaire irlandais, voire un maître-chanteur de Maracon. C'est vous dire que les plus beaux échantillons de la race humaine y étaient représentés. Parmi les seigneurs d'importance, on se montrait du doigt le plus fidèle des caissiers, accompagné de son fils le mélancolique Dunoyer, le tyrannique Henzi, l'humoriste Nicole, Piotet-le-barbu, tous plus ou moins avantageuseinent connus dans la section.

A Martigny, débarqué trois ou quatre compagnons de voyage qui s'en allaient au vert dans les environs de Praz-de-Fort, avec tout un attirail d'ascensionnistes pour épater les populations. Inutile de dire que personne ne les a pris au sérieux. A Martigny aussi, avalé un rapide déjeùner. A Martigny enfin, pris place sur deux grands bræcks qui nous emmènent au triple galop de leurs deux palefrois sur la grande route poussiéreuse et longue, longue ! Je l'ai décrite, cette route, tant de fois, que je m'en dispense aujourd'hui. Les uns après les autres, défilent les ports de la Croix, Vallettes, Bovernier, Sembrancher où les cochers font halte pour nous laisser goûter à notre aise la vétusté pennine de ce bourg délabré, et pour boire un coup à notre santé. Puis la route poursuit monotone. A Chable, le chef-lieu de la vallée, deux figures hirsutes de pochards et une chemise de garibaldien attendent devant l'hôtel du Giétroz. Ce sont les nommés Justin et Séraphin Bessard, plus leur

gendre, qui doivent nous servir de guides et de porteurs. Justin me fait penser au «naturel » de Töpffer, qui, dans l'histoire du « Lac de Gers », se bourrait le nez de tabac, et Séraphin à un vieux chasseur du second Empire, plus guère bon qu'à planter des choux en fumant des pipes. On nous assure pourtant - et des gens dignes de foi que les deux personnages ont de beaux états de service, s'ils n'ont pas conquis tout à fait l'immortalité.

Après une discussion animée avec le chef de course, les trois compères prennent place à nos côtés, et nous continuons notre promenade en voiture. A Champsec, débarquement général. Il est midi passé, mais, en dépit de la chaleur, on ne demande pas mieux qu'à se désankyloser les tibias et à hisser le sac aux épaules. La vallée se resserre; le paysage devient plus pittoresque; des cimes blanches surgissent aux arrière-plans; le torrent mugit plus sauvage. Lourtier. La route s'amincit jusqu'à n'être plus qu'un chemin muletier serpentant sur le flanc des mamelons aux jolies verdures, tantôt longeant, tantôt dominant la Dranse de Bagnes. Cependant, les estomacs se creusent, les gosiers s'altèrent. Une grimpée encore au tournant, à travers les arbres, apparaît la façade hospitalière du Grand Hôtel de Fionnay.

Je ne vous conterai point par le menu le dîner pantagruélique auquel les clubistes des Diablerets firent honneur avec un entrain remarquable. Aussi bien, ce Balthazar est-il digéré depuis longtemps, et je n'aurai pas la cruauté de vous mettre l'eau à la bouche. La digestion fut lente, et elle n'était pas tout à fait terminée quand nous nous mimes en route, vers les 4 heures, par les lacets de la côte.

embroussaillée et pierreuse qui forme le premier rempart du Combin. Essoufflement, sudation abondante, inélasticité des jarrets. Halte brève auprès d'un misérable chalet où un indigène offre du lait. La vue se découvre sur le massif du Grand-Combin dont l'imposante blancheur fait un effet splendide au fond de l'immense glacier de Corbassière. Après avoir assisté à un combat de vaches dans l'eau marécageuse d'un abreuvoir naturel, la procession s'égrène maintenant le long d'un sentier très adouci. Nouvelle halte sur un petit replat gazonné; la disposition générale est à la flânerie. Pourtant nous ne sommes pas encore au but. Il nous faut grimper, trois quarts d'heure durant, un raidillon diabolique, avant d'aboutir aux derniers mamelons gazonnés qui précèdent la moraine au bout de laquelle est sise la petite cabane de Panossière. Ouf! Si au moins on la voyait la cabane! Comme bon nombre de ses congénères, elle se dérobe jusqu'au dernier moment. Enfin, nous y voilà tout de même. Ce n'est pas dommage! Il n'est pas loin de 8 heures, et le fumet de l'excellent potage que prépare le maître d'hôtel de l'endroit nous chatouille agréablement les narines en aiguillonnant notre impatience. Ce maître d'hôtel émérite, ce n'est rien moins que M. Albert Barbey. M. Albert Barbey a ce jour-là bien mérité de la section. Personne du reste n'ignore qu'il récidive volontiers. Ce jour-là donc, 20 juillet, M. Albert Barbey, son aéroplane évoluant avec une noble aisance au-dessus de Bagnes et d'Entremont, s'était fait tout simplement déposer à la cabane du Combin avec un gros approvisionnement, une tente militaire, etc., etc. En bras de chemise, actif et vigilant, il écumait les marmites, versait l'eau bouillante, dres

sait la table, commandait, du geste et du regard autant que de la voix, à ses aides-cuisiniers et marmitons. M. Albert Barbey est le Napoléon des quartiers-maîtres.

Service après service, le fromage après la soupe, le poudding après le fromage, le café après le poudding défilèrent sous les mains rapaces des convives attablés dans la grande salle à manger de la cabane ou juchés pittoresquement sur les degrés de la terrasse. C'est un joyeux brouhaha à l'heure de la nuit tombante cliquetis des verres et de l'argenterie, saillies spirituelles, pétillement de la flamme, va et vient des verseurs et des sauciers. Il fait bon dans le refuge hospitalier cependant que, sur les pentes glacées des géants si proches, l'air fraichit. Les pieds dans les socques de nos amis genevois, au bec une bonne pipe ou un grandson démocratique, il fait bon, dans la buée qui monte des fourneaux, à la lueur d'une grosse bougie, reposer ses membres fatigués dans un délassant nonchaloir. Seulement voilà: il n'y a décidément pas beaucoup de place, et puis, il faudra se lever à 2 heures du matin. Ces considérations décident la majorité à aller se «pagnotter » comme dirait Chateaubriand. Opération difficile et malaisée vu le petit nombre des places disponibles, 4 rangées de 4 pour 25, vu aussi l'altitude extrêmement peu élevée des plafonds et l'obscurité des arrière-plans. Tout le monde, ou presque, finit pourtant par se caser. Le sac en guise d'oreiller, on se partage fraternellement la paille et les couvertures. L'insulaire de la verte Erin élit domicile dans le couloir du premier étage. Les guides, après le coup de balai final, s'allongent sur les tables. La bougie est soufflée et le silence n'est bientôt plus troublé que par un ron

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