Page images
PDF
EPUB

gent qu'à leur intérêt particulier. On peut pardonner à des légiflateurs ordinaires, quand ils pechent par foiblesse ou par ignorance; mais un homme fage, comme Numa, qui régnoit fur un peuple nouvellement ramaffé, & qui lui étoit entiérement foûmis, quel foin plus preffant devoit-il avoir, que de régler la nourriture des enfans, & l'éducation de la jeuneffe, afin qu'ils ne fuffent ni turbulens dans leurs manieres, ni différens dans leurs mœurs; & qu'étant tous, pour ainsi dire, fondus & formés dès le commencement au même moule de vertu, ils convinffent & s'accordaffent fi bien les uns avec les autres, qu'ils ne fiffent qu'un feul & même tout parfaitement fourni & afforti de toutes fes parties?

Cela feul fervit en beaucoup de choses à Lycurgue, mais particuliérement à conferver fes loix dans leur entier : car la religion du ferment auroit été un foible lien, fi par l'éducation & la nourriture, il n'eût imprimé les loix dans leurs mœurs, & ne leur eût fait fucer, prefque avec le lait, l'amour de fa police. Auffi vit-on que fes principales ordonnances se conferverent plus de cinq cent ans, comme une bonne & forte teinture qui a pénétré jusqu'au fond. Au contraire

Car la religion du ferment auroit été un foible lien, fi par l'éducation & la nourriture il n'eût imprimé les loix dans leurs cœurs.) Ce principe cft certain; quand l'éducation manque, il n'y a point de barriere capable de retenir la religion même eft

foible.

Auffi vit-on que fes prin cipales ordonnances fe conferverent plus de cinq cent ans. On ne fauroit mettre dans un plus grand jour, ni prouver par des faits plus fenfibles, les grands avantatages que l'éducation de la jeunesse produit aux états.

# Dans

traire, tout le travail de Numa, qui n'avoit vifé qu'à maintenir Rome paifible & tranquille, s'évanouit avec lui: car il ne fut pas plûtôt mort, que le temple aux doubles portes, qu'il avoit toûjours tenu fermé, comme fi véritablement il y eût enchaîné le démon de la guerre, fut rouvert, & toute l'Italie "remplie de fang & de carnage. Ainfi le plus beau & le plus jufte de tous les établiffemens ne dura prefque point, parce qu'il manquoit du feul lien capable de le maintenir, qui étoit l'éducation de la jeunesse.

* Mais quoi, dira quelqu'un, Rome ne s'eftelle pas beaucoup accrue & augmentée par les guerres? Voilà une queftion qui demande une longue réponse, fur- tout quand on a affaire à des gens qui font confifter le bonheur & la force d'un état dans les richesses, dans le luxe & dans la grandeur, plûtôt que dans le falut public, dans la douceur, la juftice, la fimplicité & la tempérance. Cependant on peut dire que cela même eft entiérement à l'avantage de Lycur gue, que les Romains fe foient accrus & aggrandis en renonçant aux inftitutions de Numa & que les Lacédémoniens n'aient pas plûtôt violé les ordonnances de Lycurgue, que de fort grands ils font devenus fort petits ; & qu'après avoir perdu l'empire de la Grece, ils ont vu leur

"Dans les guerres de Fidenes, d'Albe, & contre les Latins.

Mais quoi, dira quelqu'un! Rome ne s'eft-elle pas beaucoup accrue & augmenteé par les guerres ?) Plutarque favoit bien qu'il y avoit des politiques qui mefuroient

,

le bonheur des états à leurs forces, à leur grandeur & à leurs richeffes; ce qui eft la plus fauffe de toutes les politiques. Un état n'aura ja

mais de bonheur durable & folide que par la vertu : & Platon l'a démontré.

P vj

9 Mais

leur état en danger d'être entiérement détruit: Mais il faut avouer auffi qu'il y a du merveilleux & du divin dans Numa; qu'étant étranger, il ait été appellé au trône ; qu'il ait tout changé par la feule perfuafion; que, fans employer ni les armes ni la force, comme fit Lycurgue, qui fe munit du fecours de la nobleffe contre le peuple, il se foit rendu maître abfolu d'une ville partagée en diverfes factions; & enfin que par fa fageffe & par fa juftice feules, il ait fait naître entre les citoyens d'une ville fi défunie, l'union, l'amitié & la paix.

Mais il faut avouer auffi qu'il y a du merve.lleux & du divin dans Numa.) Il y a certainement du merveilleux & du divin dans ce que Plutarque rapporte ici de Numa; mais n'y en a-t-il point dans

les grandes chofes que Ly curgue a faites? Un législa➡ teur, que l'oracle a déclaré dieu plûtôt qu'homme, s'eftil attiré cet éloge, fans qu'il y ait eu dans fes actions du merveilleux & du divin?

Fin de la comparaison de Numa & de Lycurgue.

TABLE

[blocks in formation]
[blocks in formation]
« PreviousContinue »