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rette figure, où l'on voit pourquoi cette ordonnance étoit appellée spirale.

Les vers que Plutarque a cités, je les traduis en profe, parce qu'il n'y a rien de plus infupportable dans notre langue, ni qui vieilliffe fi tôt, que des vers médioores; mais quand même j'en pourrois faire de fort bons, je ne fais fi je tradui rois ces endroits-là en vers, à cause de la grande difficulté, ou, pour mieux dire, de l'impoffibilité qu'il y a de conferver dans notre poéfie ce goût fimple & antique qui fait la plus grande beauté des vers grecs. Ciceron l'a fait quelquefois fort heureufement dans fes ouvrages, & quelques poëtes latins avant lui l'ont fait auffi avec beaucoup de fuccès dans leur poéfie: mais la richeffe de leur langue-lesabien fervis, & nous ne faurions faire dans b vj

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la nôtre ce qu'ils ont fait dans la leur. Il cft certain qu'Amiot ne l'a pas fait; fes vers font le fupplice des oreilles, & ces lambeaux d'or & de pourpre deviennent dans fa poéfie des chiffons de bure qu'on ne peut voir fans dégoût.

Je conferve les anciens noms des peuples, des dignités, des charges, parce que les noms d'aujourd'hui n'y répondent point du tout; que c'eft traveftir les anciens que de les habiller ainfi à la moderne, & qu'il n'eft pas poffible de conferver la véritable idée des chofes avec ces noms. On avoit porté même mon fcrupule jufqu'à balancer fi je ne conserverois pas les noms des mois grecs, & la maniere de dater des Romains, par nones, ides & calendes. Mais après avoir vû l'effet que ces dates étranges, & ces noms, Pyanepfion, Maimactérion, Poféi déon, faifoient dans une traduction françoife, au lieu de Novembre, Décembre, Janvier, j'y ai renoncé, & je me fuis contenté d'en parler dans les notes, avec ces dates qui ne font remarquables que par leur bizarrerie. Si j'en avois ufé autrement, j'aurois mérité le même reproche que Lucien fait à un hiftorien ap

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* Dans le traité : Comment il faut écrire l'hiftoire.

pellé

pellé Crépéreïus Calpurnianus, qui avoit écrit en grec la guerre des Romains contre les Parthes, & qui fe piquoit d'être grand imitateur de Thucydide: il lui reproche, comme une chofe très-ridicule, d'avoir mêlé dans fon ouvrage les termes latins des armes & des machines, & d'avoir employé les propres mots de Foffe & de Pont, au lieu de dopos & de yipupa. Les termes Pyanepfion, Maimactérion, Poféidéon, au lieu de Novembre, Décembre, Janvier, auroient fait dans ma traduction un effet plus infupportable encore. Il est bien sûr que, fi les Grecs avoient traduit quelque auteur latin, ils n'auroient pas mis les mois romains, mais les grecs. Dans aucune langue, il ne faut employer que les mots ufités & connus, à moins que l'on n'en manque, & que l'on ne foit forcé à recourir aux termes étrangers.

Une chose encore fur laquelle j'ai été long-tems en doute, parce que je voyois les fentimens affez partagés, c'eft fur l'ufage du mot tu. Nous ne nous en fervons aujourd'hui qu'en poéfie, ou quelquefois dans le ftyle foutenu, ou en faifant parler des barbares. Quelques gens trouvoient que ce fingulier avoit plus de grace dans la bouche de ces anciens, que le pluriel

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vous, que la politeffe a introduit, & qu'ils n'ont jamais connu. Enfin après avoir vu par expérience qu'il y avoit des endroits où tu choquoit beaucoup de perfonnes, & qu'en d'autres il faifoit un meilleur effet que vous, j'ai trouvé qu'en cela feul notre langue nous fourniffoit une richeffe dont les anciens étoient privés: car étant toûjours forcés de fe fervir de ce fingulier tu, ils ne pouvoient faire bien fentir ni les moeurs ni les paffions, ni les caracteres ; au lieu que c'eft un avantage que nous fourniffent ce fingulier & ce pluriel employés à propos, avec difcernement, & lorfque les occa fions demandent l'un préférablement à l'autre. Voici donc le parti que j'ai pris :: dans tous les endroits où il faut faire fen, tir de l'audace, du mépris, de la colere ou un caractere étranger, j'ai employé le mot tu; & dans tous les autres, com-me lorfqu'un inférieur parle à fon fupé rieur, un fujet à ton roi, je me fuis fervi du mot de vous, pour m'accommoder à notre politeffe qui le demande nécessairement, & qui est toûjours bleffé de ce fingulierzu, comme d'une familiarité.trop grande..

Par exemple, dans la vie de Romulus, quand

quand on mene Rémus à Numitor, Rémus dit à ce prince: Je ne te cacherai rien de tout ce que tu me demandes, car tu me parois plus digne d'être roi que ton frere. Ce fingulier tu a là plus de grace que le pluriel vous, à caufe du caractere de Ré mus qui a été élevé parmi des pâtres, qui eft vaillant & fougueux, & qui doit té moigner de l'intrépidité & de l'audace. Lorfque Caton, en plein fénat, dit à Cé far, tien, yvrogne, en lui rendant la let tre de fa fœur, il n'y auroit rien de plus ridicule, ni de plus froid, que de lui faire dire, tenez, yvrogne. Quand Léonidas parle à Alexandre, & qu'il lui dit, quand vous aurez conquis la région qui porte ces aromates, &c. vous eft là meilleur que tu. Mais quand Alexandre, après avoir conquis l'Arabie, écrit à Léonidas, je t'envoie une bonne provifion d'encens & de myrrhe, toiest mieux que vous. De même, quand le prophete de Jupiter Hammon dit à Alexandre, ne blafphéme point, tu n'as. point de pere mortel, le mot vous rendroit la réponse languiffante & froide. C'est un prophete qui parle, & il parle avec autorité. Je vois que Vaugelas, dans fa tra duction de Quinte-Curce, aobfervé cela avec beaucoup de raifon & de jugement. Alexandre

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