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dépravation de la fociété. Pour remédier à ce mal, les gens aifés font paffer de bonne heure leurs enfans en France, d'où ils revien nent souvent avec des vices plus aimables & plus dangereux.

On ne compte guère que quatre cens cultivateurs dans l'île. Il y a environ cent femmes d'un certain état, & dix d'entr'elles, tout au plus, reftent à la ville. Vers le foir on va en vifite dans leurs maifons: on joue, ou l'on s'ennuie. 'Au coup de canon de huit heures, chacun fe retire & va fouper chez foi. En parlant des hommes, il me fâche de n'avoir que des fatires à faire.

Dans le refte de la population
Voyages, Tome XVIII.

C

de cette île, on compte les Indiens & les nègres.

Les premiers font les Malabares. C'eft un peuple fort doux. Ils viennent de Pondichéry, où ils fe iouent pour plufieurs années. Ils font prefque tous ouvriers. Ils occupent un fauxbourg appelé le Camp des Noirs. Ce peuple eft d'une teinte plus foncée que les infulaires de Madagascar, qui font de véritables nègres; mais leurs traits font régu liers comme ceux des Européens, & ils n'ont point les cheveux crépus. Ils font affez fobres, fort économes & aiment paffionnément les femmes. Ils font coëffés d'un turban, & portent de longues robes de mouffeline, de grands anneaux

d'or aux oreilles, & des bracelets d'argent aux poignets. Il y en a qui fe louent aux gens riches, ou titrés en qualité de Pions. C'est une espèce de domestique qui fait à-peu-près l'office de nos coureurs, excepté qu'il fait toutes fes commiffions fort gravement. Il porte pour marque de diftinction une canne à la main, & un poignard à la ceinture. Il feroit à fouhaiter qu'il y eût un grand nombre de Malabares établis dans l'île, furtout de la cafte des laboureurs ; mais je n'en ai vu aucun qui voulût fe livrer à l'agriculture.

C'est à Madagascar qu'on va chercher les noirs, deftinés à la culture des terres. On achète un homme

pour un baril de poudre, pour des fufils, des toiles & fur-tout des piaftres. Le plus cher ne coûte guère que cinquante écus.

Cette nation n'a ni le nez fi écrasé, ni la teinte fi noire que celle des nègres de Guinée. Il y en a même qui ne font que bruns; quelques-uns, comme les Balambuns, ont les cheveux longs. J'en ai vu de blonds & de roux. Ils font adroits, intelligens, fenfibles à l'honneur & à la reconnoiffance: la plus grande infulte qu'on puisse faire à un noir, eft d'injurier fa famille ils font peu fenfibles aux injures perfonnelles. Ils font dans leur pays quantité de petits ouvrages avec beaucoup d'industrie, Leur

jagaye ou demi-pique est très-bien forgée quoiqu'ils n'aient que des pierres pour enclume & pour mar

teau.

Leurs toiles ou pagnes, que leurs femmes ourdiffent, font très-fines & bien teintes. Ils les tournent autour d'eux avec grace. Leur coëffure eft une frifure très-composée; ce font des étages de boucles & de treffes entremêlées avec beaucoup d'art ; c'eft encore l'ouvrage des femmes. Ils aiment pasfionnément la danfe & la mufique. Leur inftrument eft le tamtam; c'eft une espèce d'arc où eft adaptée une calebaffe. Ils en tirent une forte d'harmonie douce dont ils accompagnent les chanfons qu'ils com

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