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les aborder dans les limites de ces modestes revues. M. Capefigue fait précéder le corps de l'ouvrage d'une courte, mais vigoureuse préface, dans laquelle il déplore énergiquement l'état social et financier du jour, et il résume dans ce paragraphe, son but et son jugement: Ce livre est destiné à faire connaître tout ce que la France et l'Europe doivent au crédit régulier, à l'intervention des banquiers. L'auteur ne les envisage que comme intermédiaires d'argent, appelés à aider l'état dans l'exécution de ses engagemens. En dehors de ces conditions et de ces qualités, il trouve que la majorité des banquiers est d'une médiocrité désolante, d'une stérilité pitoyable, sans élégance, sans esprit de distinction. Si nous faisions autre chose qu'analyser, nous pourrions ici émettre des réserves pour d'honorables exceptions, que M. Capefigue à un peu trop perdues de vue. Le vrai banquier comme le vrai négociant, qui sait garder son rang sans prétendre jouer le prince, sans humilier toutes les supériorités autres que celle de l'argent, est partout un homme Justement considéré. Suivant I historien, qui ne sorgeait évidemment qu'aux agioteurs, à leur faste vulgaire et sans goût, les banquiers d'aujourd'hui sont aux fermiers généraux ce que la génération anoblie est au vieil esprit gentilhomme. » M. Capefigue veut certainement dire la race des parvenus, car la génération auoblie est celle qui a fait ses preuves soit dans les services de l'intérieur, soit sur les champs de bataille; c'est la digne sœur cadette de la vieille noblesse. Quant à la comparaison entre les traita ns d'autrefois et ceux d'aujourd'hui, nous ne la contesterons pas, et les élégans financiers du XVIIIe siècle, avec leur luxe de grands seigneurs, leur goût exquis, leurs splendides hôtels, leurs riches ameublemens, leurs magnifiques réceptions, leur généreuse libéralité pour les artistes et les savans, valaient mieux, à tout prendre, que leurs pâles imitateurs, qui ont tous leurs défauts sans les dissimuler du moins sous ce fard brillant.

M. Aubenas écrit en ce moment une très intéressante histoire de l'impératrica Joséphine: c'est un sujet à peu près nouveau, car un bien petit nombre d'ouvrages ont été jusqu'à ce jour consacrés à la première femme Je Napoléon I"; M. Aubenas a pu mettre en œuvre des documens nouveaux, grâce à la communication de nombreux papiers par la famil

te de Tascher. Je n'insisterai pas aujourd'hui sur cette intéressante publication, préférant y revenir quand elle sera terminée et que je pourrai tracer une esquisse de cette grande figure historique. Le tome 1er comprend l'origine de la famille de Tascher; la naissance de Joséphine, sa jeunesse, dépouillés de tous ces contes dûs principalement aux assertions de Mile Lenormand; son mariage avec le vicomte de Beauharnais, son arrivée en France, des détails très neufs sur son triste intérieur et sur les idées exagérées de son mari, son veuvage, son mariage avec Bonaparte, son voyage en Italie avec le jeune général en chef. M. Aubenas publie des lettres, des billets de Bonaparte, qui respirent l'amour le plus juvénile et en même temps le plus passionné, taudis que la future impératrice montre toujours un calme, disons le mot, une froideur qui excite incessamment et désespère celui qui était plutôt son amant que son mari.

Ce livre est écrit très simplement et avec goût; seulement M. Aubenas montre trop de partialité en faveur de Joséphi.ne, surtout quand il veut la justifier de cette froideur qui irritait si péniblement Bonaparte.

J'ai déjà dit une fois que je prenais ici le parti de ne plus chercher de transition, pour pouvoir parler librement des livres nouveaux, et sans m'astreindre, comme j'en avais déjà eu la pensée, à des règles de série avec lesquelles je m'exposerais, tantôt à avoir trop à dire, et d'autrefois pas assez. Je passe donc sans plus de façon à une autre illustration de notre temps, illustration beaucoup trop exagérée et sur laquelle la Revue des Deux-Mondes a récemment publié d'excellens articles, mais illustration après tout; je veux nommer Béranger. Béranger et ses Chansons, est le titre d'un ouvrage très piquant, puisqu'il contient des études sur chacune des œuvres du célèbre chansonnier. M. Bernard nous raconte qu'en juillet 1846, un soir qu'ils admiraient le coucher du soleil, inond ant de flots de pourpre et d'or l'aqueduc de Marly, il ne sait comment parvinrent à se glisser dans la conversation le Sénateur et le Roi d'Yvetot; M. Bernard parla à sa guise, blâment parfois, louant bien plus, et discourant au plus dru, comme dirait Lafontaine, si bien qu'à la fin Béranger lui offrit sa propre collaboration pour critiquer ses œuvres. On comprendra facilement la valeur de ces

notes qui commentent, expliquent et apprécient ces joyeuses chansons, don', malheureusement, l'influence a été beaucoup trop grande sur notre époque. Qu'on juge par un exemple de ces intéressantes recherches:

« Le roid Yvetot. Béranger s'en allait un jour le long de la rue Saint Honoré quand, levant la tête, il aperçul une en seigne où se voyaient l'image et le nom du roi d'Yvetot. Bon sujet de satire ou d'opéra-comique, pensa-t-il. cette époque, en effet, il avait l'idée de travailler pour le théâtre; mais il se contenta d'en tirer une chanson.

A

« C'était au commencement de 1813; la chose se pouvait encore; six mois plus tard il n'aurait osé y songer, par un scrupule excessif sans doute; car en vérité, s'il frappe ici son héros, c'est, à coup sûr, d'une main amie, et de pareils coups se pourraient se porter à un homme tombé. Ce qui semblerait plus remarquable que la chanson, sous ce rapport, c'est l'éloge qu'elle valut au prince et au chansonnier Béranger, expditionnaire dans les bureaux de l'instruction publique, conserva sa place; mais l'avait-il réellement compromise par une telle œuvre et dut-il s'émerveiller de ce qu'on n'y eût pas fait attention aux Tuileries?

« Le roi d'Yvetot courut d'abord en manuscrit, et s'attribua à divers personnages plus ou moins marquans; mais la police sut bientôt à quoi s'en tenir, et sa tâche ne pouvait être difficile avec un auteur qui ne songesit ni à cacher ni à

montrer son œuvre.

«Le bruit, assure-t-on, en vint jusqu'à l'empereur, qui n'y prit pas garde Louis XVIII en tint plus de compte; et, quand il s'agissait des poursuites contre Béranger, il voulait qu'on pardonnât beaucoup à l'auteur de ses couplets favoris. Désaugiers, président du caveau, y prit garde également: il trouva la chanson de son goût, voulut en connaitre l'auteur et, de plus. avoir celui-ci pour camarade et pour collègue; il y réussit. Béranger fit donc son entrée au caveau où ses gouts ne le conduisaient pas.

«La chanson d'ailleurs eut un grand succès; il l'attribua surtout à l'esprit d'opposition. Sans doute alors on devait avoir soif de liberté sous ce rapport et sous tant d'autres, mais on devait aussi avoir soif de pareils vers. Au milieu de tout ce fracas académique et de tant de pindarisme et d'em

phase, la bonne fortune que cette composition si naïva, ces idées si riantes, ca style si gracieux, mais si juste et si pur!..

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Après cela, il faut bien faire aussi son métier de critique et trouver quelque chose à redire. Maisons pouvait-il prendre un s; la soif, même un peu vive, est-elle un goût; et les sujets de ce petit et bon roi avaient-i's réellement cent raisons de le nommer leur père ? Une seule suffit ordinairement dans ce cas. Béranger contestait quant aux deux derniers de ces reproches, mais acceptait le premier. - Diable, s'écrie-t-il, quelles chicanes! à qui la faute, répondais Je? Ecrivez comme tel poète en renom et il n'y aura quasi rien à vous dire; mais plus est pur l'azur du ciel, plus s'y voit le moindre nuage. »

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Ces petites monographies sont curieuses à lire et j'en pourrais citer plusieurs qui contiennent des détails iné lits et d'un véritable intérêt.

Je suis trop en retard envers une publication très estimable pour ne pas avoir hâte de réparer mon omission en fai>ant connaître l'excellent Manuel de bibliographie édité par M. Roret, et qui, sans pouvoir être comparés au Manuel de Brunet, devenu aujourd'hui tout à fait classique et d'ailleurs. très peu abordable par son prix, suffit complètement aux besoins de celui qui travaille et qui a par conséquent besoin de ces précieux renseignemens sur ceux qui l'ont précé lé dans le sentier où il veut cheminer à son tour. C'est dans ce but que MM. F. Denis. Pinçon et de Martenne ont entrepris cette œuvre, plus considérable encore qu'elle ne parait : ils on voulu présenter chronologiquement, aux yeux de tous, ce qui a été écrit de plus important sur un sujet quelconque. » Nul doute qu'il n'y ait des omissions, surtout dans les ouvrages récens, mais ce sont ceux sur lesquels on est toujours le mieux et le plus aisément renseigné ; il n'y a donc que demi-mal: les auteurs, du reste, se sont fixé une règle qui cousistait à s'arrêter à l'année 1830 pour les publications à mentionner.

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Quoi qu'il en soit, ce manuel rendra de très grands servi ces aux érudits, à ceux de Paris, comme à ceux de province, à ceux-là surtout qui ne peuvent, avec la meilleure volonté du monde, faire des recherches indispensables, d'ordinaire im possibles pour eux et qui, maintenant, deviendront simples et faciles.

XXXII.

16 Avril 1858.

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Vie d'Antoine du Prat, chancelier de France, archevéque de Sens, etc., par le marquis Du Prat, 1 vol. in-8°, Techener, 1857. Antoine Lemaistre et ses contemporains, var Oscar de Vallée, 1 vol. in-8°, Michel Levy, 1858. Correspondance entre Boileau et Brosselte, avocat au Parlement de Lyon, publiée d'après les documens originaux, par M. Laverdet, 1 vol. in-8°, Techener, 1858

M. le marquis Du Prat a le respect des ancêtres et aime élever des monumens ad gloriam majorum je ne l'en blâmerai pas, car c'est un noble sentiment qui, malheureu sement, disparaît un peu tous les jours et qui est cependant bien fait pour élever les esprits d'ailleurs il engage à bien faire pour ne pas dévier de la route tracée par ses pères, comme l'a dit M. Granier de Cassagnac dans un livre trop déclamatoire, malheureusement, pour l'excellent sujet auquel il était consacré l'Histoire des classes nobles. Suivant M. Granier de Cassagnac la noblesse n'est pas précisément un mérite, mais elle n'empêche pas d'en acquérir et y pousse très certainement. Quand, après cela, le hasard veut qu'au charme de parcourir les annales de sa propre famille, se joint l'heureuse chance qu'elle possède quelques membres éminens ayant joué un rôle dans l'histoire de notre pays, on peut s'en prévaloir comme d'une bonne fortune et écrire comme les mémoires posthumes de cette illustration. C'est ce qu'a fait M. le marquis Du Prat en traçant un portrait soigné de la grande illustration de sa maison, de l'homme qui en même temps a occupé les positions les plus éminentes aux quinzième et seizième siècles, et qui, rudement attaqué par les historiens, devait trouver un jour dans son arrière-neveu un éloquent et véridique défenseur.

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