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Non seulement la section d'Agriculture nous expose avec soin les incessantes variations de la pratique traditionnelle, mais elle suit avec le plus vif intérêt les changements économiques qui se produisent dans l'offre de la main-d'œuvre par un plus grand emploi des machines se transformant à chaque instant.

Pour apprécier les améliorations que se proposent les constructeurs, il faut qu'une expérience longtemps poursuivie vienne contrôler et définir le progrès réalisé, sans se laisser distraire par un semblant de perfectionnement, qui peut rendre la machine moins résistante, plus coûteuse et plus compliquée, et par conséquent inférieure à elle-même. Ces machines se multiplient, en raison même de la rareté des bras.

Peu à peu, les campagnes ont vu leur population diminuer au profit des villes industrielles. Si la masse des ouvriers agricoles, un moment raréfiée outre mesure, retombait plus tard sur le sol, quand on aurait appris à s'en passer, on verrait bientôt se produire une crise terrible, où sombrerait autant d'illusions que d'intérêts. En relisant dans vos Mémoires les nombreux chapitres que la section d'Agriculture a consacrés de tout temps à ces hautes questions, en suivant les statistiques qu'elle a produites, je comprenais la valeur de ces prévisions, qui se réalisent pour ainsi dire chaque jour dans des faits que vous avez eu, vous, Messieurs, et vos prédécesseurs, le mérite d'annoncer à coup sûr.

Certes, nulle question n'est plus digne de vos entretiens et de vos études. La condition des populations rurales touche à toutes les grandes idées qui règlent la prospérité des peuples au droit, par l'état juridique des personnes et des terres ; à l'économie politique, par les problèmes de la production et de la consommation; à la morale, par les lois philosophiques qui dirigent cette marche naturelle de l'humanité vers le bien-être individuel et collectif.

Vous vous appuyez, Messieurs, sur les découvertes scientifiques, que vous suivez d'un œil curieux et attentif.

Les sciences n'ont été créées qu'à force de génie, de labeur, de tâtonnements, qu'au prix de difficultés sans nombre. Les sciences abstraites sont venues les premières, parce que l'abstraction est une opération naturelle de l'esprit humain, dès qu'il a atteint un certain degré de culture. Les applications des sciences abstraites à la mécanique, à la géométrie, à l'astronomie, ont suivi presque sans intervalle; mais, lorsqu'il s'est agi d'inventer les méthodes, de découvrir les procédés de l'examen expérimental, ce qui constitue la base même des sciences d'observation, on s'est heurté, pendant des siècles, à des préjugés ou à des obstacles presque infranchissables.

Or, Messieurs, le rôle de la section des Sciences est d'en noter le développement progressif, d'enrichir nos Mémoires de l'histoire même de la science, se développant à travers les contingences d'événements, qui ne sauraient ni l'atteindre ni la troubler.

Parmi les hommes qui travaillent à l'amélioration des conditions de la vie sociale, une place éminente appartient à ceux qui donnent, comme vous, l'exemple de la recherche du vrai, et vulgarisent l'emploi des méthodes qui en procurent la conquête.

La section des Arts a su, par ses travaux d'analyse et de critique, nous tenir au courant des productions les plus intéressantes de notre temps, sans laisser échapper les occasions qui se présentaient de rappeler les mérites des anciens, et de les comparer avec les tendances nouvelles. L'œuvre d'art, en effet, n'est pas une forme indifférente et banale. Elle enfonce ses racines dans le sol qui lui donne naissance, et elle y puise la sève qui doit la nourrir. Chaque monument traduit les traits dominants d'une période, les conquêtes ou les défaillances d'une race.

L'œuvre d'art ne résiste pas à l'influence du milieu ; elle s'y façonne, se laissant entraîner par une sorte de loi fatale, qui s'applique à tous les talents. Il est donc intéressant de suivre pas à pas cette évolution, qui, pour être judicieusement décrite, doit être traduite par la plume et la parole des artistes et des érudits. Vous avez toujours, Messieurs, suffi à cette lourde tâche. Nos applaudissements vous l'ont prouvé.

La section des Lettres nous a un peu délivré des Grecs et des Romains. Les travaux qu'elle nous présente ne sont plus des imitations, si chères à la précédente génération, des littératures de ces peuples tant vantés où l'on allait vraiment un peu trop à l'extrême. L'excès était évident; et les expressions les plus françaises étaient moins honorées que les tournures transportées mot à mot dans notre langue, pourvu qu'elles fussent grecques ou latines. Est-il donc possible de transplanter toute vive une littérature dans une autre, et le génie d'un peuple peut-il être ainsi dépaysé? Non, Messieurs; les qualités, même littéraires, d'une nation, quand on les vent sincères et durables, ne sont pas un article d'exportation. Si l'on tente l'aventure, on ne tarde pas à s'apercevoir que la nature reprend bien vite ses droits, tout comme elle le fait dans un être hybride, qu'elle sait ramener rapidement à son type originel.

Je n'ai pas de peine à proclamer qu'il est agréable, qu'il est utile de lire assidûment les auteurs grecs et latins; mais pour en tirer un bénéfice réel, le plus sûr est de les méditer, et d'avoir, comme vous, du talent, de l'imagination et de l'esprit, en français.

En somme, les lettres et les sciences s'unissent pour la recherche de la vérité. Loin de s'exclure, elles se réclament de leur origine et de leurs tendances pour justifier leur alliance et éclairer leur marche. Il n'y a pas deux vérités : l'une, artistique; l'autre, scientifique. Une seule existe;

et c'est par la pénétration réciproque de leurs méthodes que les arts et les sciences se complèteront de plus en plus pour arriver au triomphe final. Le poète, le littérateur, l'artiste font autant pour le succès de ce grand œuvre, que le physicien, le chimiste ou le mathématicien. Les premiers forment, pour ainsi dire, la circulation qui anime et vivifie l'organisme moral et social d'une époque dont le cerveau est constitué par la

science.

Voilà vos travaux, voilà votre but. Quelle que soit votre indulgence, la tâche est encore rude pour moi, même s'il ne s'agit que de résumer les discussions qu'une telle entreprise offre à vos efforts personnels.

Sans doute. j'ai eu en exemple un homme qui a su rendre ces obligations légères en apparence. M. le docteur Forest a pu, grâce à son autorité et à sa grande expérience, marcher librement sur ce lac de Tibériade, dont les eaux ne sont pas toujours calmes, sans être jamais irritées. Il a montre ses rares qualités de sûre bienveillance dans la direction de nos débats littéraires et scientifiques, qu'il résumait d'un mot juste et précis. Les séances, toujours trop courtes à votre gré, ont été menées avec un tact et un esprit d'à-propos que j'envie, sans prétendre à l'égaler.

L'occasion que j'ai de rendre hommage à cet homme de bien pénètre mon cœur d'une douce émotion, puisqu'elle me permet de dire enfin la vive sympathie et l'éminente estime qu'une carrière de dévouement et d'abnégation, unie à une vie intellectuelle des plus ardentes, a su lui conquérir dans le respect de tous.

Heureusement, Messieurs, vous m'avez donné comme aide et comme conseiller M. Henri Renaud, parce que vous connaissez tous ses brillantes qualités d'esprit et d'intelligence. Pour le louer comme il convient, je ne saurais mieux faire que de vous rappeler tous les titres qui lui donnent droit à notre reconnaissance. Ce serait le sujet d'un trop

long chapitre, et je craindrais de le désobliger : M. Henri Renaud est de ceux qu'on ne saurait combler d'éloges; il trouve tout de suite qu'on l'en accable.

Alors tout est dit. Vous vivrez ces douze mois avec le Souvenir de M. Forest et dans l'espoir en M. Renaud. Une année est bien vite passée.

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