Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]
[blocks in formation]

MADELON.

Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE.

Traiter comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que du monde, la moindre disgrace nous fait mépriser de ceux qui nous chérissoient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, el qu'on n'y considère point la vertu toute nue.

SCÈNE XIX.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, VIOLONS.

UN DES VIOLONS.

Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez, à leur défaut, pour ce que nous avons joué ici. GORGIBUS, les battant.

Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnoie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant; nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. (Seul.) Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons,

Ah! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils sonnets et sonnettes, puissiez - vous être à tous les nous ont faite !

GORGIBUS.

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes! ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis! il faut que je boive l'affront.

diables !

'Billevesées, ou plutôt billerezées, ainsi que l'écrit Rabelais. Balle remplie de vent, et, par allusion, discours vains, trompeurs. Mot composé de bille, balle, et de vezer, souffler, ou de veze, musette. De là billevesée, comme l'explique fort bien Furetière, pour balle soufflée, pleine de vent, C'est précisément le nuga canora des Latins.

FIN DES PRÉCIEUSES RIDICULES.

[blocks in formation]

SCENE PREMIÈRE.

GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE.

CÉLIE, sortant toute éplorée, et son père la suivant. Ah! n'espérez jamais que mon cœur y consente.

GORGIBUS.

Que marmottez-vous là, petite impertinente?
Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu ?
Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu ?
Et, par sottes raisons, votre jeune cervelle
Voudroit régler ici la raison paternelle ?
Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi?
A votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moi,
O sotte! peut juger ce qui vous est utile?
Par la corbleu! gardez d'échauffer trop ma bile;
Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,
Si mon bras peut encor montrer quelque vigueur.
Votre plus court sera, madame la mutine,
D'accepter sans façon l'époux qu'on vous destine.
J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,

Ce personnage comique est une création de Molière, et le nom de SGANARELLE est resté au caractère qu'il représente : on disoit les Sganarelles comme on avoit dit les Jodelets, les GrosRenés, etc.

Et dois auparavant consulter s'il vous plaît:
Informé du grand bien qui lui tombe en partage,
Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage?
Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats,
Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas?
Allez, tel qu'il puisse être, avecque cette somme
Je vous suis caution qu'il est très-honnête homme.
CÉLIE.
Hélas!

GORGIBUS.

Hé bien, hélas ! Que veut dire ceci ? Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici ! Hé! que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas de bonne sorte! Voilà, voilà le fruit de ces empressements Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans; De quolibets d'amour votre tête est remplie, Et vous parlez de Dieu bien moins que de Clélic '. Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits; Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sornettes, Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes Du conseiller Mathieu; l'ouvrage est de valeur2, Et plein de beaux dictons à réciter par cœur. La Guide des pécheurs est encore un bon livre 3; C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre; Et si vous n'aviez lu que ces moralités, Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.

CÉLIE.

Quoi! vous prétendez donc, mon père, que j'oublie

'Clélie, roman de mademoiselle Scudéry.

* Ces deux ouvrages tenoient autrefois dans l'éducation de la jeunesse la même place que les fables de La Fontaine y tiennent aujourd'hui.

'Livre de dévotion, par Louis de Grenade, dominicam e pagnol, mort en 1588. ( B. )

La constante amitié que je dois à Lélie ?

J'aurois tort, si, sans vous, je disposois de moi;
Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.

GORGIBUS.

Lui fût-elle engagée encore davantage,

Un autre est survenu, dont le bien l'en dégage.
Lélie est fort bien fait ; mais apprends qu'il n'est rien
Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien;

Que l'or donne aux plus laids certain charme pour
Et que sans lui le reste est une triste affaire. [plaire.
Valère, je crois bien, n'est pas de toi chéri;
Mais, s'il ne l'est amant, il le sera mari.
Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage,
Et l'amour est souvent un fruit du mariage.
Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner
Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner ?
Trève donc, je vous prie, à vos impertinences.
Que je n'entende plus vos sottes doléances.
Ce gendre doit venir vous visiter ce soir,
Manquez un peu, manquez à le bien recevoir;
Si je ne vous lui vois faire un fort bon visage,
Je vous... Je ne veux pas en dire davantage.

SCÈNE II.

CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE.

LA SUIVANTE.

Quoi! refuser, madame, avec cette rigueur,
Ce que tant d'autres gens voudroient de tout leur cœur!
A des offres d'hymen répondre par des larmes,
Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes !
Hélas! que ne veut-on aussi me marier!
Ce ne seroit pas moi qui se feroit prier:
Et, loin qu'un pareil oui me donnât de la peine,
Croyez que j'en dirois bien vite une douzaine.
Le précepteur qui fait répéter la leçon
A votre jeune frère a fort bonne raison
Lorsque, nous discourant des choses de la terre,
Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,

[blocks in formation]

Votre Lélie aussi n'est, ma foi, qu'une bête,
Puisque si hors de temps son voyage l'arrête;
Et la grande longueur de son éloignement
Me le fait soupçonner de quelque changement.

CÉLLE, lui montrant le portrait de Lélie.
Ah! ne m'accable point par ce triste présage,
Vois attentivement les traits de ce visage,
Ils jurent à mon cœur d'éternelles ardeurs,
Je veux croire, après tout, qu'ils ne sont pas menteurs,
Et que, comme c'est lui que l'art y représente,
Il conserve à mes feux une amitié constante.
LA SUIVANTE.

Il est vrai que ces traits marquent un digne amant,
Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement.
CÉLIE.

Et cependant il faut... Ah! soutiens-moi.
(Laissant tomber le portrait de Lélie.)

LA SUIVANTE.

Madame,

D'où vous pourroit venir... Ah! bons dieux! elle påme!
Hé! vite, holà! quelqu'un.

SCÈNE III.

CÉLIE, SGANARELLE, LA SUIVANTE

de célie.

SGANARELLE.

Qu'est-ce donc ? me voilà.

LA SUIVANTE.

Ma maîtresse se meurt.

SGANARELLE.

Quoi! ce n'est que cela?

Je croyois tout perdu, de crier de la sorte;
Mais approchons pourtant. Madame, êtes-vous morte?

Qui croît beau, tant qu'à l'arbre il se tient bien serré, Hays! Elle ne dit mot.
Et ne profite point s'il en est séparé.

Il n'est rien de plus vrai, ma très chère maîtresse,

Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse!
Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin,
Mais j'avois, lui vivant, le teint d'un chérubin,
L'embonpoint merveilleux, l'œil gai, l'ame contente,
Et je suis maintenant ma commère dolente.
Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair,
Je me couchois sans feu dans le fort de l'hiver;
Sécher même les draps me sembloit ridicule,
Et je tremble à présent dedans la canicule.
Enfin il n'est rien tel, madame, croyez-moi,
Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi;

LA SUIVANTE.

Je vais faire venir

Quelqu'un pour l'emporter; veuillez la soutenir.
SCÈNE IV.

CÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME

DE SGANARELLE.

SGANARELLE, en passant la main sur le sein de Célie.
Elle est froide par-tout, et je ne sais qu'en dire.
Approchons-nous pour voir si sa bouche respire.
Ma foi! je ne sais pas ; mais j'y trouve encor, moi,
Quelque signe de vie.

LA FEMME DE SGANARELLE,regardant par la fenêtre. | LA FEMME DE SGANARELLE, sans apercevoir son Ah! qu'est-ce que je voi ?

Mon mari dans ses bras... Mais je m'en vais descendre;
Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre.

SGANARELLE.

Il faut se dépêcher de l'aller secourir ;
Certes, elle auroit tort de se laisser mourir.
Aller en l'autre monde est très-grande sottise,
Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise.
(Il la porte chez elle avec un homme que la suivante
amėne.)
SCÈNE V.

LA FEMME DE SGANARELLE.

mari.

Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue;
Le travail plus que l'or s'en doit encor priser.
Oh! que cela sent bon!

[blocks in formation]

Le penchant seroit grand à la tentation.

Ah! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine!
Au lieu de mon pelé, de mon rustre...

SGANARELLE, lui arrachant le portrait.

Ah! mâtine!

Nous vous y surprenons en faute contre nous,
En diffamant l'honneur de votre cher époux.
Donc, à votre calcul, ô ma trop digne femme!
Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien mada-
Et, de par Belzebut, qui vous puisse emporter! [me!
Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter?
Peut-on trouver en moi quelque chose à redire?
Cette taille, ce port que tout le monde admire,
Ce visage, si propre à donner de l'amour,
Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour;
Bref, en tout et partout, ma personne charmante
N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente?
Et, pour rassasier votre appétit gourmand,

Il s'est subitement éloigné de ces lieux,
Et sa fuite a trompé mon desir curieux :
Mais de sa trahison je ne fais plus de doute,
Et le peu que j'ai vu me la découvre toute.
Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur
Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur;
Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,
Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.
Voilà de nos maris le procédé commun;
Ce qui leur est permis leur devient importun.
Dans les commencements ce sont toutes merveilles;
Ils témoignent pour nous des ardeurs nonpareilles;
Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feux,
Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.
Ah! que j'ai de dépit que la loi n'autorise
A changer de mari comme on fait de chemise!
Cela seroit commode; et j'en sais telle ici
Qui, comme moi, ma foi, le voudroit bien aussi.
(En ramassant le portrait que Cèlie avoit laissé Tu crois par ce moyen...

tomber.)

Mais quel est ce bijou que le sort me présente ?
L'émail en est fort beau, la gravure charmante,
Ouvrons.

SCÈNE VI.

SGANARELLE, LA FEMME DE SGANARELLE.

SGANARELLE, se croyant seul.

On la croyoit morte, et ce n'étoit rien.

Il n'en faut plus qu'autant, elle se porte bien.
Mais j'aperçois ma femme.

LA FEMME DE SGANARELLE, se croyant seule.

O ciel! c'est miniature!

Et voilà d'un bel homme une vive peinture! SGANARELLE, à part et regardant par-dessus l'épaule de sa femme.

Que considère-t-elle avec attention?

Ce portrait, mon honneur, ne vous dit rien de bon.
D'un fort vilain soupçon je me sens l'ame émue.

Il faut joindre au mari le ragoût d'un galant?

LA FEMME DE SGANARELLE.
J'entends à demi-mot où va la raillerie.

SGANARELLE.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »