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son excellent traité de la Connaissance des bêtes1:

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Quelque soin que nous prenions de considérer les bêtes, nous ne pouvons jamais rien découvrir qui nous fasse reconnaître que leurs actions se font autrement que celles des nôtres, qui se font par le moyen des connaissances purement sensibles, sans aucune perception intellectuelle; et voilà la nécessité qui nous oblige à reconnaître des âmes matérielles. Quelque difficulté qu'il puisse y avoir à former une idée claire et distincte de la nature de ces âmes, nous ne devons pas hésiter là-dessus, puisque nous sommes persuadés qu'en une infinité de rencontres il nous faut reconnaître des choses que nous ne pouvons d'ailleurs nous représenter clairement. La divisibilité à l'infini, l'incommensurabilité des lignes, l'union de l'âme spirituelle et du corps, sont assurément des choses qui passent la plupart des hommes. Nous avons bien de la peine à concevoir tout cela, et néanmoins nous sommes certains que cela est2. >>

Commentant la Fontaine par Aristote, par saint Augustin et par le père Pardies, j'ai voulu montrer une fois de plus comment le fabuliste aimait à traiter les questions de philosophie, et les traitait presque en

1 La Fontaine n'a publié les livres VII, VIII, IX, X et XI de ses fables qu'en 1678 et 1679.

2 Discours de la connaissance des bêtes, par le père Pardies, de Compagnie de Jésus, 2o éd., Paris, 1678, p. 262, 263 et 264. L 1 édition est de 1672.

homme du métier, y mettant seulement la grâce de son génie; avec quelle justesse d'esprit enfin il discutait la question de l'âme des bêtes, sans se faire l'apologiste des animaux jusqu'à déprécier l'homme, sans élever l'homme jusqu'à nier toute parenté entre lui et les animaux. Mais ne croyez pas que ces questions de philosophie qui touchent à la nature des animaux, et par conséquent à la condition des acteurs du drame de la Fontaine, ne soient traitées par lui qu'une seule fois et dans la fable que nous venons de voir: il y revient plusieurs fois avec une prédilection visible. Ce retour du počte à ses idées favorites nous fournira l'occasion de quelques nouveaux rapprochements avec divers philosophes

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DIX-NEUVIÈME LEÇON

SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT – LA FONTAINE PHILOSOPHE L'AME DES BÊTES LE SYSTÈME DU PÈRE BOUGEANT

J'ai parlé du père Bougeant et de son ouvrage intitulé: Amusement philosophique sur le langage des bêtes. Je dois en dire quelques mots : je ne veux pas, en effet, passer sous silence le bizarre système du bon père sur la nature des animaux, et les arguments plus bizarres encore à l'aide desquels il le défend.

Les bêtes, selon le père Bougeant, sont ces innombrables démons qui se sont révoltés contre Dieu et qu'en attendant le jugement dernier, Dieu a punis en les transformant en animaux de toutes sortes et en les soumettant à la puissance de l'homme. Parmi les démons révoltés, les plus importants sont restés dans leur état

naturel de diables, sans être assujettis à prendre la forme des bêtes : « Ils s'occupent à tenter les hommes, à les séduire, à les tourmenter... Ce sont ces esprits malfaisants que l'Écriture appelle les puissances des ténèbres et les puissances de l'air... Des autres, Dieu en a fait des millions de bêtes de toute espèce, qui servent aux usages de l'homme... Et, si ces esprits superbes connaissent leur état, quelle humiliation pour eux de se voir ainsi réduits à n'être que des bêtes1! >>

Dans cette transformation en bêtes du peuple des démons, tandis que les chefs gardent leur taille gigantesque, le père Bougeant imite, sans le savoir peut-être, Milton, qui, ne pouvant pas faire tenir tous ses démons dans son Pandémonium, c'est-à-dire dans la salle de son assemblée infernale, a pris le parti de transformer en petits animaux de toute espèce la populace des diables, laissant aux chefs seulement leur taille et leur figure. Ce qui dans Milton est une invention à la fois grande et bizarre, devient dans le père Bougeant le sujet de plaisanteries prétentieuses qui sentent à la fois le boudoir et la sacristie. Mettez dans les Précieuses ridicules un abbé au lieu d'un marquis, il parlera comme le père Bougeant fait parler les interlocuteurs de son dialogue : « Une dame fort aimable interrompant l'auteur du nouveau système, Monsieur, lui dit-elle

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avec beaucoup de vivacité, il m'importe fort peu que les diables soient humiliés ou non, et qu'ils souffrent dès à présent les peines de l'enfer; mais je ne veux pas que les bêtes soient des diables. Comment! ma chienne serait un diable qui coucherait la nuit avec moi et qui me caresserait tout le jour? Je ne vous le passerai jamais. — J'en dis autant de mon perroquet, reprit une jeune demoiselle. Il est charmant; mais, si j'étais persuadée que ce fût un petit diable, il me semble que je ne le pourrais souffrir1. »

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Les objections que l'auteur se fait dames aimables ne le déconcertent pas

faire par des

il trouve que son système a toutes sortes d'avantages. Voici, par exemple, un de ces avantages: « Persuadés que nous sommes que les bêtes ont du sentiment, à qui de nous n'est-il pas arrivé mille fois de les plaindre des maux excessifs auxquels la plupart d'entre elles sont exposées et qu'elles souffrent réellement? Que les chevaux sont à laindre! disons-nous à la vue d'un cheval qu'un impitoyable charretier accable de coups. Qu'un chien que l'on dresse à la chasse est misérable! Que le sort des bêtes qui vivent dans les bois est triste! Continuellement elles essuyent toutes les injures de l'air; toujours agitées de la crainte de devenir la proie des chasseurs ou d'un animal plus féroce; obligées de chercher sans

Pages 33 et 34.

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