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LA MUSIQUE A DES CHARMES

D'APRÈS GEORGE A. STOREY

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VIDEMMENT la musique a des charmes pour cette jeune fille qui s'est glissée derrière l'arbre à l'abri duquel un jeune homme s'est réfugié pour pratiquer, loin des oreilles indiscrètes, la romance qu'il se propose, sans doute, de lui chanter plus tard. On voit, au geste de sa main, qu'il cherche à rendre toute l'expression de la musique.

Ce tableau est de George A. Storey, peintre anglais, élève de Leigh et membre de l'Académie royale. Ses principaux tableaux sont: le Duo,- Vieux soldat; tous sont dans le même genre et représentent des scènes toujours intéressantes mais peu chargées de personnages.

Alphonse Leclaire.

LETTRES DE VOYAGE

PAR

J.-PHILIPPE GARNEAU.

Les quelques lettres qui vont suivre ont été écrites par un mien frère il y a quelques années, alors que, fuyant les rigueurs de notre climat, il voyageait sous un ciel plus clément à la recherche d'une température qui pût refaire une santé prématurément compromise par des études trop assidues.

Le ton de ces lettres laissera voir au lecteur qu'elles ne furent pas écrites pour la publicité. Abandonnant souvent son esprit et son cœur à l'amour des siens qui le poursuivait sans relâche, ce frère semble, dans sa correspondance, devenir plus affectueux à mesure qu'il approche du terme de sa vie. De lui je serais tenté de dire ce que disait Veuillot du soldat "qui se distrait de son œuvre" ......" Il pense à sa patrie, et plus il en est loin plus il y pense; il ne demande à tout ce qu'il contemple qu'une ressemblance qui donne un corps à son souvenir; puis, dans la grande patrie que lui rend ce cher mirage, il cherche le coin de terre où il est né, le toit où il a vécu, la famille que ce toit habite. Il revoit le foyer où l'on parle de lui, où peut-être ii ne reviendra pas; il resserre tous les liens qu'a formés son cœur comme pour défier la mort de pouvoir les rompre". (1)

Est-ce à cause de ce caractère d'intimité qui prédomine dans ces lettres que vous les rendez publiques? pourra-t-on me demander. J'aurais à peine besoin de répondre que non. Cependant, je ne puis cacher que les sentiments de filiale affection que je retrouve dans presque toute cette correspondance n'auraient pas été de nature à me les faire tenir en tiroir indéfiniment.

Si je ne m'abuse, il n'est pas désagréable au lecteur, qui, une fois au moins dans sa vie, s'est éloigné du foyer paternel, d'entendre comme un écho, quelque faible qu'il soit, de ces battements du cœur que lui-même a ressentis et qui lui ont fait répéter à ceux dont un jour il s'éloigna, peut-être l'âme navrée, bien des paroles d'affectueuse tendresse.

Cette famille, dont le souvenir le hantait si continuellement, ce pauvre frère ne put la revoir. Saisi par une maladie terrible, à la suite de l'ascension à pied, à travers la neige, d'une des nombreuses montagnes qui avoisinent Denver, capitale du Colorado, il n'eut que le temps de se préparer à faire cet autre grand voyage sur le retour duquel nulle illusion ne peut venir bercer ni le cœur ni l'esprit. Le 22 février 1889, après avoir reçu les sacrements de l'Église, il s'éteignait loin de son père et de sa mère, loin de ses sœurs et de son frère.

(1) Historiettes et Fantaisies.

Poussé par le désir de continuer ses études théologiques, il était parti du CapSanté, son village natal, le 7 septembre 1885, rempli de courage, malgré sa bien grande faiblesse et en dépit des larmes et des tristes appréhensions de ceux qu'il laissait au foyer; s'éloignant à petites journées du pays, il s'était rendu jusqu'à Santa Barbara, ville dont le climat est réputé le plus beau de la Californie, afin de reprendre là ses études si péniblement interrompues. Mais, trahi de nouveau par ses forces mal refaites, il dut abandonner, sur le conseil d'un médecin et de l'Ordinaire du diocèse de Los Angeles, un travail que sa constitution trop affaiblie ne lui permettait plus. Dès lors, quittant le vieux monastère franciscain, il se remit en route vers son pays, non cependant sans faire quelques étapes, à Los Angeles d'abord, puis à San Francisco, à Salt Lake City, à Salida, enfin à Denver, où il devait mourir.

Dans une de ses dernières lettres à mon adresse, après avoir rappelé combien, chaque été, depuis qu'il était parti, ses espérances de retour avaient été déçues, il se laissait aller de nouveau à ces mêmes espérances; et cette fois il y mettait une si grande certitude que, tous, nous nous primes à croire que dans quelques mois il serait au milieu de nous. Vain espoir, quelques semaines plus tard, en face de l'éternité, l'absent, dont nous préparions déjà l'arrivée, voyait pour une dernière fois ses rêves anéantis. Quittant les rivages de cette terre où tous nous sommes voyageurs, il allait attérir sur les bords d'une patrie dont la première n'est que la lointaine image.

J.-ELZÉBERT GARNEAU.

Québec, juin 1898.

DENVER, Colorado, 18 septembre 1885.

Quelle température ! quel climat! Nous sommes en septembre, au 18, et le ciel est toujours pur, et il peut en être ainsi jusqu'à Noël. L'on a eu ici, paraît-il, une année, jusqu'à trois cents jours de soleil, pas de pluie pendant ce temps. Les jours sont très chauds et les nuits sont fraîches; de sorte que je jouis toute la journée et dors la nuit entière. L'air est extrêmement léger. Chose digne de remarque, c'est que tout le monde est plus ou moins rubicond: on ne voit pas ici de faces pâles; moi-même, vingt-quatre heures après mon arrivée, la figure m'avait déjà quelque peu changé de couleur.

J'ai visité hier le palais de justice; il faut voir la grandeur et la richesse de cet édifice! On n'a rien d'analogue ni à Québec ni à Montréal.....

Quand on a vu Denver on a vu, l'on peut dire, tout le Colorado, sa richesse et ses beautés.

Tous les jours, je vais à la campagne. Ce matin, je suis allé chez les Soeurs de la Charité, à trois milles en dehors des limites de la ville. Hier, j'ai visité l'hôpital Union Pacific, tenu par des Capucines; cet hôpital est établi à environ deux milles et demi de la ville.

Charmants sont ces alentours de Denver. D'un côté vous voyez des plaines à perte de vue, de l'autre, des montagnes dont les cimes, couvertes de neige, se perdent dans les nues, puis des montagnes et encore des montagnes, des vallées, puis encore des vallées; puis toute cette grandiose nature teinte des couleurs les plus riches et les plus variées. La verdure, ici, contrairement à celle du Canada, est d'un vert tendre qui produit un effet admirable, surtout au lever et au coucher du soleil, alors que le ciel est tout en feu. La première fois que je me suis trouvé en face de cette richesse de panorama, je me suis senti comme anéanti je n'avais jamais encore aussi bien compris l'influence que peut avoir la nature sur l'esprit de l'homme.

:

PHILIPPE.

LOS ANGELES, Californie, 4 février 1886.

J'ai quitté Denver (Colorado) le 27 janvier, mercredi, à 8.20 hrs du soir. Je suis arrivé ici le 31, dimanche, vers 5 hrs. Un court récit de ce voyage et quelques incidents survenus pendant le trajet vous intéresseront, j'en suis sûr.

D'abord, en quittant Denver, un jeune homme m'est venu trouver et m'a demandé, en français, où j'allais, me disant que si j'allais loin, nous pourrions faire route ensemble, vu que lui-même se rendait dans l'Arizona. Sur la réponse froide que je lui fis (je craignais qu'il ne fût

quelqu'un de ces adroits filous qui savent si bien exploiter l'inexpérience des voyageurs encore novices), il tourna les talons et alla s'asseoir, non loin de moi, pensif et un peu triste. Alors, moi de l'observer dans toutes ses démarches jusqu'à La Junta. Enfin, je crus m'apercevoir qu'après tout il me valait, et je lui demandai de quelle nationalité il était. Il me dit qu'il était CanadienFrançais, de Montréal, et que son nom était P... J'eus bientôt gagné sa confiance; il fut mon meilleur compagnon de voyage. Il avait déjà demeuré neuf ans aux États-Unis. Il arrivait en ce moment du Canada, où il avait passé trois mois, apportant $300 à son vieux père, et cédant, avant son départ pour l'Arizona, un modeste héritage à son jeune frère.

Religieux et rempli de courage, ce jeune homme avait souffert, tout en restant bon fils et bon chrétien. C'était assez de titres à mon affection. Ses paroles m'ont fait du bien; les miennes ont paru le consoler et l'encourager. Sa mère est morte il y a quelques mois. A Clifton (Arizona), où il est employé comme mécanicien, il gagne d'assez bons gages. J'ai dû lui promettre de lui écrire.

J'allais lisant la Vie n'est pas la vie; arrivé à ces lignes (20e lettre): "La vapeur lui prête (à l'homme) sa force incalculable, l'électricité sa rapidité merveilleuse; les montagnes s'abaissent devant lui ou bien lui ouvrent leurs flancs pour lui donner passage," soudain, nous voilà plongés dans l'obscurité, un résonnement sourd, étouffé, se fait entendre nous sommes dans un tunnel, pratiqué à travers une montagne de plusieurs centaines de pieds d'épaisseur au-dessus de nos têtes. C'était le premier tunnel que je traversais; nous en avons traversé quelques autres ensuite, dont le plus long est celui qui se trouve entre New-Hall et Los Angeles, sur le parcours de la voie par laquelle je suis venu.

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