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NOTICE

SUR LA PERSONNE ET LES ÉCRITS

DE LA BRUYÈRE,

PAR M. SUARD, DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.

J

EAN DE LA BRUYÈRE naquit à Dourdan en 1639. Il venoit d'acheter une charge de trésorier de France à Caen, lorsque Bossuet le fit venir à Paris pour enseigner l'histoire à M. le Duc; et il resta jusqu'à la fin de sa vie attaché au prince en qualité d'homme de lettres, avec mille écus de pension. Il publia son livre des CARACTÈRES en 1687, fut reçu à l'Académie françoise en 1693, et mourut en 1696.

Voilà tout ce que l'histoire littéraire nous apprend de cet écrivain, à qui nous devons un des meilleurs ouvrages qui existent dans aucune langue; ouvrage qui, par le succès qu'il eut dès sa naissance, dut attirer les yeux du public sur son

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auteur, dans ce beau règne où l'attention que le monarque donnoit aux productions du génie réfléchissoit sur les grands talents un éclat dont il ne reste plus que le souvenir.

On ne connoît rien de la famille de La Bruyère; et cela est fort indifférent: mais on aimeroit à savoir quel étoit son caractère, son genre de vie, la tournure de son esprit dans la société ; et c'est ce qu'on ignore aussi.

que

Peut-être l'obscurité même de sa vie est un assez grand éloge de son caractère. Il vécut dans la maison d'un prince; il souleva contre lui une foule d'hommes vicieux ou ridicules, qu'il désigna dans son livre, ou qui s'y crurent désignés; il eut tous les ennemis que donne la satire, et ceux que donnent les succès: on ne le voit cependant mêlé dans aucune intrigue, engagé dans aucune querelle. Cette destinée suppose, à ce qu'il me semble, un excellent esprit, et une conduite sage et modeste.

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On me l'a dépeint, dit l'abbé d'Olivet, comme « un philosophe qui ne songeoit qu'à vivre tran

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quille avec des amis et des livres ; faisant un bon

choix des uns et des autres; ne cherchant ni ne

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fuyant le plaisir; toujours disposé à une joie « modeste, et ingénieux à la faire naître; poli « dans ses manières, et sage dans ses discours; craignant toute sorte d'ambition, même celle de montrer de l'esprit. » HIST. DE L'Académie

FRANCOISE.

On conçoit aisément que le philosophe qui releva avec tant de finesse et de sagacité les vices, les travers, et les ridicules, connoissoit trop les hommes pour les rechercher beaucoup; mais qu'il put aimer la société sans s'y livrer; qu'il devoit y être très réservé dans son ton et dans ses manières, attentif à ne pas blesser des convenances qu'il sentoit si bien, trop accoutumé enfin à observer dans les autres les défauts du caractère et les foiblesses de l'amour-propre, pour ne pas les réprimer en lui-même.

Le livre des Caractères fit beaucoup de bruit dès sa naissance. On attribua cet éclat aux traits satiriques qu'on y remarqua, ou qu'on crut y voir. On ne peut pas douter que cette circonstance n'y contribuât en effet. Peut-être que les hommes en général n'ont ni le goût assez exercé, ni l'esprit assez éclairé, pour sentir tout le mé

a.

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