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ces bijoux de Philémon; je vous quitte de la per

sonne.

Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage. L'on écarte tout cet attirail qui t'est étranger, pour pénétrer jusques à toi, qui n'es qu'un fat.

Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui qui, avec un grand cortége, un habit riche, et un magnifique équipage, s'en croit plus de nais- * sance et plus d'esprit: il lit cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui lui parlent.

Un homme à la cour 2, et souvent à la ville, qui a un long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture large et placée haut sur l'estomac, le soulier de maroquin, la calotte de même, d'un beau grain, un collet bien fait et bien empesé, les cheveux arrangés, et le teint vermeil, qui avec

1 M. de Mennevillette, qui a été receveur général du Clergé, où il a gagné son bien. Il a fait son fils président à mortier, qui a épousé madame de Harlay, petite-fille de Boucherat, chancelier. Sa fille a épousé le comte de Ton

nerre.

2 L'abbé Boileau, fameux prédicateur.

cela se souvient de quelques distinctions métaphysiques, explique ce que c'est que la lumière de gloire, et sait précisément comment l'on voit Dieu : cela s'appelle un docteur. Une personne humble qui est ensevelie dans le cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou écrit pendant toute sa vie, est un homme docte.

Chez nous, le soldat est brave; et l'homme de robe est savant: nous n'allons pas plus loin. Chez les Romains, l'homme de robe étoit brave; et le soldat étoit savant: un Romain étoit tout ensemble et le soldat et l'homme de robe.

Il semble que le héros est d'un seul métier, qui est celui de la guerre; et que le grand homme est de tous les métiers, ou de la robe, ou de l'épée, ou du cabinet, ou de la cour: l'un et l'autre mis ensemble ne pèsent pas un homme de bien.

Dans la guerre, la distinction entre le héros et le grand homme est délicate: toutes les vertus militaires font l'un et l'autre. Il semble néanmoins que le premier soit jeune, entreprenant, d'une haute valeur, ferme dans les périls, intrépide;

1 Le P. Mabillon, bénédictin, auteur de plusieurs ouvrages très savants.

que l'autre excelle par un grand sens, par une vaste prévoyance, par une haute capacité, et par une longue expérience. Peut-être qu'Alexandre n'étoit qu'un héros, et que César étoit un grand homme.

Emile (a) étoit né ce que les plus grands hommes ne deviennent qu'à force de règles, de méditation, et d'exercice. Il n'a eu dans ses premières années qu'à remplir des talents qui étoient naturels, et qu'à se livrer à son génie. Il a fait, il a agi, avant que de savoir, ou plutôt il a su ce qu'il n'avoit jamais appris. Dirai-je que les jeux de son enfance ont été plusieurs victoires? Une vie accompagnée d'un extrême bonheur joint à une longue expérience seroit illustre par les seules actions qu'il avoit achevées dès sa jeunesse. Toutes les occasions de vaincre qui se sont depuis offertes, il les a embrassées ; et celles qui n'étoient pas, sa vertu et son étoile les ont fait naître: admirable même et par les choses qu'il a faites, et par celles qu'il auroit pu faire. On l'a regardé 1 comme un homme incapable de céder à l'ennemi, de plier sous le nombre ou sous les (a) Le Grand Condé.

1 Turenne,

obstacles; comme une ame du premier ordre, pleine de ressources et de lumières, qui voyoit encore où personne ne voyoit plus ; comme celui qui, à la tête des légions, étoit pour elles un présage de la victoire, et qui valoit seul plusieurs légions; qui étoit grand dans la prospérité, plus grand quand la fortune lui a été contraire : la levée d'un siége, une retraite, l'ont plus ennobli que ses triomphes; l'on ne met qu'après les batailles gagnées et les villes prises; qui étoit rempli de gloire et de modestie; on lui a entendu dire, JE FUYOIS, avec la même grace qu'il disoit, Nous LES BATTIMES; un homme dévoué à l'état, à sa famille, au chef de sa famille; sincère pour Dieu et pour les hommes, autant admirateur du mérite que s'il lui eût été moins propre et moins familier; un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n'a manqué que les moindres vertus.

Les enfants des dieux (a), pour ainsi dire, se tirent des règles de la nature, et en sont comme l'exception. Ils n'attendent presque rien du temps et des années. Le mérite chez eux devance l'âge.

(a) Fils, petits-fils, issus de rois *

* M. le duc de Chartres, ensuite duc d'Orléans, et régent du royaume.

Ils naissent instruits, et ils sont plutôt des hommes parfaits que le commun des hommes ne sort de l'enfance.

Les vues courtes, je veux dire les esprits bornés et resserrés dans leur petite sphère, ne peuvent comprendre cette universalité de talents que l'on remarque quelquefois dans un même sujet : où ils voient l'agréable, ils en excluent le solide: où ils croient découvrir les graces du corps, l'agilité, la souplesse, la dextérité, ils ne veulent plus y admettre les dons de l'ame, la profondeur, la réflexion, la sagesse : ils ôtent de l'histoire de Socrate qu'il ait dansé.

Il n'y a guère d'homme si accompli et si nécessaire aux siens qu'il n'ait de quoi se faire moins regretter.

Un homme d'esprit et d'un caractère simple et droit peut tomber dans quelque piége ; il ne pense pas que personne veuille lui en dresser, et le choisir pour être sa dupe: cette confiance le rend moins précautionné, et les mauvais plaisants l'entament par cet endroit. Il n'y a qu'à perdre pour ceux qui viendroient à une seconde charge : il n'est trompé qu'une fois.

J'éviterai avec soin d'offenser personne, si je

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