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l'Art oratoire: cét ouvrage pourroit eftre appellé au regard des penfées, une Logique & une Rhétorique tout ensemble; mais une Logique fans épines, qui n'eft ni féche ni abftraite; mais une Rhétorique courte & facile, qui inftruit plus par les exemples que par les préceptes, & qui n'a gueres d'autre regle que ce bon fens vif & brillant dont il eft parlé dans les Entretiens d'Arifte && d'Eugene.

Je ne fçay-même s'il n'y auroit point lieu de le nommer(l'Hiftoire des Penfées; car il en repréfente fouvent l'origine, le progrès, les changemens, la décadence & la vieilleffe, s'il m'eft permis de m'exprimer de la forte.

Les paffages Efpagnols & Italiens qui fe rencontrent de tems en temps, & qui fourniffent des exemples de plus d'une maniére, tantôt bons & tantôt mauvais, ne doivent point effrayer les Lecteurs qui n'entendent pas ces langues-là On les traduit tous en François avant que de les citer, ou aprés les avoir citez: on explique auffi les Latins qui font à la marge, & qui auroient embaraifé le difcours, fi on les y avoit meslez; ou du moins qui n'auroient pas plû aux perfonnes qui ne fçavent point de Latin. On n'a pas fait néanmoins de difficulté d'y laiffer quelquefois un passage fort court, un bout de vers, ou un vers entier ; quand on a cru que cela feroit vn bonjef

fet.

Pour

Pour ce qui regarde la critique des Auteurs dont on rapporte les penfées; fi elle n'eft pas jufte, elle eft pour le moins fincére & fans paffion. Les deux Perfonnages que l'on fait parler, louent ce qu'ils eftiment, & cenfurent ce qu'ils méprisent: ils font équitables & de bonne foy; mais ils ne font pas infaillibles, & ils peuvent fe tromper.

LA

LA MANIERE

DE

BIEN PENSER

DANS

LES OUVRAGES

D'ESPRIT.

PREMIER DIALOGUE.

UDOXE & PHILANTHE qui parlent dans ces Dialogues, font deux hommes de lettres, que la fcience n'a point gâtez, & qui n'ont gueres moins de politeffe que d'érudition. Quoi-qu'ils ayent fait les mêmes études, & qu'ils fachent à peu près le mêmes chofes, le caractére de leur efprit eft bien different. Eudoxe a le gout très-bon, & rien ne lui plaît dans les ouvrages ingénieux qui ne foit raifonnable & naturel, Il

aime fort les Anciens, fur tout les Auteurs du fiécle d'Augufte, qui felon lui eft le fiécle du bon fens. Ciceron, Virgile, Tite-Live, Horace, font fes Heros.

Pour Philanthe, tout ce qui eft fleuri, tout ce qui brille, le charme. Les Grecs & les Romains ne valent pas à fon gré les Espagnols & les Italiens. I admire entr'autres Lope de Vegue & le Taffe; & il eft fi entêté de la Gierufalemme liberata, qu'il l'a préfere fans façon à l'Iliade & à l'Enéide. A cela près il a de l'efprit, il eft honête homme, & il est même ami d'Eudoxe. Leur amitié ne les empêche pas de fe faire fouvent la guerre. Ils fe reprochent leur goût à toute heure, & ils fe querellent fur les ouvrages qui paroiffent: mais quelques differents qu'ils ayent, ils ne s'en aiment pas moins, & ils fe trouvent fi bien ensemble, qu'ils ne fe peuvent paffer l'un de l'autre.

Eudoxe a une maison de campagne fort jolie aux environs de Paris; où il va jouir des beaux jours & goûter les plaifirs de la folitude, dès que fes affaires lui permettent de quitter la Ville.

Philanthe l'alla voir l'Automne derniére felon fa coûtume. Il le trouva fe promenant feul dans un petit bois, & lifant les Doutes fur la Langue Francoife propofez à Meffieurs de l'Académie par un Gentil

homme de Province.

Philanthe qui fait plus la langue par l'ufage que par les règles, fit d'abord la guerre à Eudoxe fur fa lecture.

Que voulez vous faire de ce Provincial, lui ditil? Un homme comme vous n'a qu'à fuivre fon génie pour bien parler & pour bien écrire. Je vous affure, répondit Eudoxe, que le génie tout feul ne va pas loin, & qu'on eft en danger de faire cent fautes contre l'ufage, fi on ne fait des réfléxions fur l'ufage même. Les doutes du Pro

vin

vincial font raifonnables, & plus je les lis, plus ils me femblent néceffaires.

Pour moi, dit Philanthe, j'aimerois mieux fes réflexions fur les penfées des Auteurs, car il eft, ce me femble, encore plus néceffaire de bien penfer que de bien parler; ou plutôt (a) on ne peut parler ni écrire correctement, à moins qu'on ne penfe jufte. Il nous les avoit promises ces réflexions, en difant à la fin de fon livre, qu'il avoit bien d'autre doutes fur les penfées que fur le langage: mais il n'a pas tenu fa promeffe, & je voi bien que ce Breton-là n'est pas trop homme de parole.

Comme Meffieurs de l'Académie ne lui ont donné aucun éclairciffement de fes premiers doutes, reprit Eudoxe, il a crû peut-être qu'il feroit inutile de leur en propofer de nouveaux, Mais favez

vous que l'endroit où le Bas-Breton femble promettre les réflexions dont vous parlez, m'en a fait faire à moi-même que je n'avois point encore faites; & qu'en examinant les chofes de près, il m'a paru que les penfées qui ont quelquefois le plus d'éclat dans des compofitions fpirituelles, ne font pas toûjours fort folides.

Je meurs de peur, interrompit brusquement Philanthe, qu'a force de lire le livre des Doutes, vous n'ayiez apris à douter de tout; & que ce Provincial délicat jufqu'au fcrupule ne vous ait communiqué quelque chofe de font efprit. Ce n'eft pas fur le provincial que je me fuis réglé repartit Eudoxe, c'eft fur le bon fens qu'il prend lui-même pour fa règle dans ce qui ne dépend pas précisément de l'ufage: car il ne faut que confulter la raifon pour n'aprouver pas certaines penfées que tout

A 2

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le

(a) Scribendi rectè, fapere eft & principium & fons.

Hor, de Art, Peet.

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