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,, me font demeurés dans la mémoire. Nos for ,, ces défaillent à mesure que vos merveilles croif fent; & comme l'on a dit autrefois d'un vaillant homme, qu'il ne pouvoit plus recevoir de bleffûres que fur les cicatrices de celles qu'il avoit reçûës, vous ne fçauriez eftre loûé que ,, par des redites; puis que la vérité qui a des ,, bornes, a dit pour vous tout ce que le men,, fonge qui n'en connoift point a inventé pour les autres.

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Mais je reviens au Panégyrifte ancien, & je ne fçai fi ce qu'il dit fur l'entrée de Trajan dans Rome n'eft point auffi fin que ce que je vous difois tout à l'heure. (a) Les uns publioient aprés vous avoir vû, qu'ils avoient assez vécu; les autres qu'ils devoient encore vivre.

Ciceron ne dit-il pas quelque chofe de fem blable en loûant Cefar, repartit Philante? Je devine ce que vous voulez dire, reprit Eudoxe, & j'ay marqué icy l'endroit. Ciceron parle à Céfar meme en cés termes: (b) J'ay entendu aves peine la belle fage parole qui vous et échapée plus d'une fois, que vous avez assez vêcu pour la nature,

pour la gloire. Peut-eftre que vous avez affez vécu pour la nature, j'ajoute pour la gloire, fi vous voulez; mais ce qui eft plus important, vous avez certainement peu vêcu pour la Patrie.

Il s'explique encore d'une autre maniére fur le mefme fujet: (c) Fay (ouvent oût dire que vous difier

(4) Alii fe fatis vixiffe, te vifo, te recepto; alii nunc magis effe vivendum prædicabant.

(b) Illam tuam præclariffimam & fapientiffimam

vocem invitus audivi: fatis te diu vel naturæ vixiffe, vel gloriæ: fatis, fi ita vis naturæ fortaffe: addo etiam, fi placet gloriæ : at quod maximum eft, Patriæ certè parum. Or. pro. Ligar.

(c) Sæpe venit ad aures meas te idem iftud nimis crebro: fatis te tibi vixiffe: credo, fi tibi foli viveres, aut fi tibi etiam foli natus effes. ibid,

difiez à toute heure que vous aviez affex vêcu pour vous. Je le croy, fi vous viviez pour vous feul, ou que vous fuffiez né pour vous feul.

L'idylle qu'on fit il y a deux ans pour eftre chantée dans l'orangerie de Seaux, repliqua Philanthe, a une pensée dont je fuis plus touché que de celle de Céfar & de Cicéron. La paix que le Roy venoit de donner à toute l'Europe eftoit le fujet de l'Idylle, & voicy l'endroit qui me touche par rapport à ce que vous venez de dire.

Qu'il regne ce Héros, qu'il triombe toûjours,

Qu'avec luy foit toûjours la paix ou la victoire?
Que le cours de fes ans dure autant que le cours
De la Seine de la Loire:

Qu'il regne ce Héros, qu'il triomphe toûjours,
Qu'il vive autant que fa gloire!

Rien n'eft plus beau, ni plus naturel, repartit • Eudoxe; & ce qu'il vive autant que fa gloire, a beaucoup de délicateffe.

Mais j'ay oublié de vous dire une pensée dé licate qui eft au commencement du Panégyrique de Pline, & par laquelle il femble que je devois commencer, fi la converfation n'eftoit plus libre qu'un difcours réglé, C'eft fur ce que Tra jan fut adopté par Nerva, & élevé au Trône des Céfars lorsqu'il eftoit éloigné de Rome. (a) La poflerité croira-t-elle qu'il n'ait point fait d'autre démarche pour être Empereur que de mériter l'Empire, d'obeïr en le recevant?

UB

(4) Credentne pofteri, nihil ipfum, ut Imperator fieret agitaffe, nihil feciffe, nifi quod meruit, & paruit ?

Un autre Panégyrifte ancien prend le mefme tour en parlant à l'Empereur Théodofe, & voicy fa pensée, fi je ne me trompe (a) La postérité pourra-t elle croire que dans noftre fiécle il fe foit faite une chose qui n'a point eû d'imitateur dans les fiécles fuivans, ni d'exemple dans les fiécles précedens? Mais quiconque aura (ceû quelle eftoit voltre vie, & voftre conduite, ne doutera pas que celuy qui devoit regner de la forte, n'ait refujé l'Empire.

Les Modernes, au refte, continua Philan the, ne pensent guére moins finement que les Anciens fur la créance de la postérité, au regard de l'incroyable, & je fçai là-deffus deux ou trois pensées que je ne puis m'empêcher de vous dire: auffi bien eft-il jufte que vous refpiriez un peu.

Marigny qui avoit l'efprit fi délicat, & qui faifoit de fi jolies chofes, eft peut-eftre le premier qui dans noftre Langne a mis en œuvre la foy, ou l'incredulité de nos defcendans fur les éve nemens merveilleux dn Regne de Louis XIV, Ecoutez fon Madrigal.

Les Mufes à l'envi travaillant pour la gloire,
De Louis le plus grand des Rois,

Orneront de fon nom le Temple de Mémoire:
Mais la grandeur de fes exploits,

Que l'efprit humain ne peut croire,
Fera que la postérité,

Lifant une fi belle hiftoire,

Doutera de la vérité.

Voi

(4) Credet-ne hoc olim ventura pofteritas, & præftabit nobis tam gloriofam fidem, ut noftro demùm faeculo annuat factum quod tantis infra fupraque tem. poribus nec invenerit æmulum, nec habuerit exemplum? Sed qui vitæ tuæ fectam, rationefque cognoverit, fidei incunctanter accedet, nec abnuiffe dubitabit imperium fic imperaturum. Tanegyr. Pacai.

Voiture avoit dit prefque le mefme en profe avant Marigny interrompit Eudoxe, & je vous prie de m'écouter à mon tour, ou de lire vousmefme l'endroit que voicy dans la Lettre au Duc d'Anguien fur la prise de Dunkerque. Philan the lût ce qui fuit :

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,, Pour moy, Monfeigneur, je me rejouis de vos profperitez comme je dois; mais je pré,, vois que ce qui augmente voftre réputation préfente, nuira à celle que vous devez attendre des autres fiécles, & que dans un petit espace de temps tant de grandes & importantes actions les unes fur les autres rendront à i, l'avenir voftre vie incroyable, & feront que ,, voftre Hiftoire paffera pour un Roman à la ,, postérité.

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Je tombe d'accord, dit Philanthe, que c'eft là la pensée du Madrigal de Marigny: mais j'en fçai un autre dont la pensée eft fort differente, & par lequel la Sapho de nôtre temps excite nos Poëtes à louer le Roi,

Vous à qui les neuf Seeurs au milieu du repos,
Ont appris à chanter les hauts faits des Héros,
A noftre Conquerant venez tous rendre hom
mage:

Par des vers immortels célébrez fon courage,
Et n'appréhendez pas que la pofterité
Puiffe vous accufer de l'avoir trop vanté:
Quoi que vous puissiez dire en publiant fa gloire,
Vous le ferez moins grand que ne fera l'Hiftoire.

Cela eft pensé avec beaucoup de délicateffe, dit Eudoxe, & cela me remet en l'efprit une belle Epître au Roi. Vous me prévenez, reprit Philanthe, & j'allois vous dire l'endroit que vous avez en vûe; car je le fçai par cœur.

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Je n'ofe de mes vers vanter ici le prix:
Toutefois fi quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage:
Peut-être pour ta gloire aura-t-il fon usage:
Et comme tes exploits étonnant les Lecteurs
Seront à peine crus fur la foy des Auteurs:
Si quelque efprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour, pour les rendre croyables:
Boileau qui dans fes vers pleins de fincérité
Fadis à tout fon fiécle a dit la vérité,

Qui mit à tout blasmer son étude & fa gloire,
A pourtant de ce Roi parlé comme l'Hiftoire.

Il ne fe peut rien imaginer de plus délicat fur ce fujet, dit Eudoxe. Mais reprit Philanthe, il me reste encore à vous dire là-deffus le Sonnet d'un autre Académicien qui tient la plume dans l'Académie, & qui ne réüffit pas moins en vers qu'en profe. C'eft au Roi que le Poëte parle.

Lorfque les feuls travaux font tes plus doux em plois :

Que d'exemples fameux tu remplis nofire Hif

toire:

Qu'avec tant de vigueur, de fuccés & de gloire,
Seul de ton vafle Etat tu foutiens tout le poids.
Lors que pour coup d'effai de tes nobles exploits
On te voit ajoûter victoire fur victoire,
Que par cent actions tu ternis la mémoire
Des plus grands Conquérans des plus fages
Rois.

Quel eft ton but, Louis, e que penfes-tu faire?
Tu te flattes en vain d'une belle chimére,

Si

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