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Simple et méfiant tour à tour, et toujours à contre-temps, Séverin croit fermement avoir retrouvé sa bourse, quand on lui parle d'autre chose; mais, qu'on lui affirme positivement qu'elle est retrouvée, il se gardera bien d'y croire.

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Ils sont icy près, et, devant qu'il soit long-temps, vous les aurez entre vos mains.

SÉVERIN.

Je ne le puis croire, si je ne les voy et les touche.

HILAIRE.

D'avant que vous les ayez, il faut que me promettiez deux choses, l'une de donner Laurence à Desiré, l'autre de consentir qu'Urbain prenne une femme avec quinze mil livres.

SEVERIN.

Je ne sçay que vous dictes; je ne pense à rien qu'à mes escus, et ne pensez pas que je vous puisse entendre, si je ne les ay entre mes mains; je dy bien que, si me les faictes rendre, je feray ce que Vous voudrez.

HILAIRE.

Je le vous prometz.

SÉVERIN.

Et je le vous prometz aussi.

HILAIRE.

Si ne tenez vostre promesse, nous les vous osterons. Tenez, les voilà.

SEVERIN.

O Dieu, ce sont les mesmes. Hélas, mon frère, que je vous ayme; je ne vous pourray jamais récompenser le bien que vous me faictes, deussé-je vivre mille ans.

HILAIRE.

Vous me récompenserez assez, si vous faictes ce dont je vous prie.

SEVERIN.

Vous m'avez rendu la vie, l'honneur et les biens que j'avois perduz avec cecy.

HILAIRE.

Voilà pourquoy vous me devez faire ce plaisir.

SÉVERIN.

Et qui me les avoit desrobbez?

HILAIRE.

Vous le sçaurez après, respondez à ce que je demande.

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Or sus,

SÉVERIN.

c'est assez, vostre parolle vous oblige; mais que dictes-vous de quinze mille francs?

Regardez s'il s'en souvient.

FORTUNE.

HILAIRE.

Je dy que nous voulons en premier lieu que baillez vostre fille à Desiré.

Je le veux bien,

SEVERIN.

HILAIRE,

Après, que consentiez qu'Urbain espouse une fille avec quinze mille francs.

SÉVERIN.

Quant à cela, je vous en prie; quinze mille francs! il sera plus riche que moy.

Dans ces seuls mots « Il sera plus riche que moi!» — « O Dieu, ce sont les mêmes! » il y a un accent d'avarice, une naïveté de passion, une science de la nature humaine, qui suffiraient pour déceler en Larivey un auteur comique d'un ordre éminent. Mais, tout supérieur qu'il était pour son siècle, il ne poussa pas le talent jusqu'au génie; et, comme aucun génie n'avait encore frayé la route, ce talent eut peine à se faire jour, et défaillit fréquemment. Venu après Molière, Larivey aurait sans doute égalé Regnard, et il ne fut que le premier des bouffons 1.

·

1. La plupart des biographes ont dit peu de chose de Larivey, et les frères Parfait regrettent que ses contemporains aient été si sobres de documents sur son compte. J'ai le plaisir de rencontrer chez Grosley, compatriote de Larivey, des particularités qu'on ne rencontre que là. Il en avait parlé une première fois dans ses Mémoires pour l'Histoire de Troyes (tome 1 page 419); mais je citerai de préférence un article assez différent qu'on lit dans ses Mémoires sur les Troyens célèbres (Euvres inédites, 1812, tome 1, page 19), supposant que cet article tout spécial contient son dernier mot rectifié : «Pierre de L'Arrivey, dit-il, chanoine de Saint-Etienne de Troyes, » était fils d'un des Giunti (de cette famille d'imprimeurs établie à Florence " et à Venise), Florentin venu à Troyes, soit en la compagnie des artistes "florentins qui nous ont laissé tant de monuments de leurs études sous "Michel-Ange, soit pour y suivre, à l'exemple de plusieurs de ses compatriotes, des affaires de commerce et de banque. L'Arrivey était versé dans "la langue italienne et dans les connaissances astrologiques, dont Catherine » de Médicis avait apporté le goût en France. Il a traduit plusieurs ou"vrages de l'italien (entre autres le second volume des facétieuses Nuits de "Straparole); il tirait en même temps des horoscopes et remplissait les "fonctions de greffier de son chapitre (Des Guerrois, le dévot chroniqueur, dans ses Saints de Troyes, page 424, mentionne en effet, à la date du dimanche 20 novembre 105, la translation d'une cole du corps de saint » Aventin, de laquelle côte l'église de Saint-Etienne voulut bien se dessaisir » en faveur d'une autre paroisse; et en fut fait un procès-verbal signé par Larivey, chanoine du dit Saint-Etienne).... A juger de toutes ses comédies par celle des Tromperies, la dernière des trois publiées en 1611, ce seraient "de simples traductions de l'italien. Ces Tromperies offrent une traduction

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Les Néapolitains de François d'Amboise, et les Contents
d'Odet Turnèbe, qui parurent en 1584, ont les caractères des
pièces de Larivey, et doivent être compris dans le même ju-
gement. On peut encore rapporter à cette famille le Muet
insensé de Pierre Le Loyer, mais non pas sa Nephélococugie,
qui est une imitation indirecte des Oiseaux d'Aristophane. Ce
Pierre Le Loyer, Angevin, d'ailleurs fort savant dans les lan-
gues, et grand visionnaire, y raille ironiquement les Hommes-
Oiseaux, dont Passerat, vers le même temps, célébrait la
métamorphose. Il suppose, dans sa pièce, que ce peuple ailé,
menacé de guerre par Priape, se bâtit en l'air 1 une ville
formidable. Le chemin du ciel en est intercepté, et l'Olympe,
où les vivres ne peuvent plus parvenir, demande à capituler.
On entre en négociations, et tout se termine par le mariage

littérale des gl' Inganni de Niccolo Secchi, imprimés en 1562 par les
» Giunti. L'Arrivey a rendu cette pièce avec toutes ses longueurs et ses obscé-
"nités, se contentant, pour dépayser ses lecteurs, de transporter à Troyes
» le lieu de la scène..... Pierre L'Arrivey le jeune, son neveu, se borna aux
» prédictions et horoscopes, et fit des Almanachs; Troyes lui a dû en partie
"la vogue des siens. "Ainsi tout s'explique; ce facétieux chanoine, La
Rivey ou L'Arrivey (sans aucun doute l'Arrivé, Advena, Giunto), sous son
faux air champenois, était simplement un enfant italien, comme Charles
D'Orléans, en son temps, était fils d'une Milanaise; cela, d'un trait, arrange
bien des choses. Il n'eut qu'à puiser pour ses gaietés dans la littérature pa-
ternelle et dans la librairie en quelque sorte domestique; cette source com-
mode le rendit à l'instant supérieur en son genre à ses contemporains. Il le
faut confesser humblement, nous retrouvons partout l'imitation à nos ori-
gines ici, à chaque pas, c'est l'Italie; plus tard, ce sera l'Espagne pour le
Menteur, pour le Cid, imités eux-mêmes et quasi traduits.

Je ne puis m'empêcher de noter encore une singularité sur Larivey, ce
plaisant chanoine de Saint-Etienne, comme Beroalde de Verville l'était de
Saint-Gatien de Tours. En 1604, on publia de lui les trois Livres de l'Hu-
manité de Jésus-Christ, traduits de l'Italien; il se faisait déjà vieux; c'était
un ouvrage d'édification; on le crut revenu de Straparole au pied de la
Croix. Les distiques et sonnets d'éloges en tête du volume le prennent sur
ce ton :

Macte, o macte piis, Rivey doctissime, Musis;

En felix genio vivis et ingenio....

Hine procul, hinc etiam atque etiam procul este, Profani;
Hic Amor, hic Pietas, Lexque Pudorque manent.

Mais peu d'années après, retrouvant dans son tiroir ses dernières comédies,
il n'y tint pas et les expédia à Paris à son ami François d'Amboise, pour
que celui-ci s'en fît le parrain; « car c'étoient, disait-il, de pauvres enfans
abandonnés et presque orphelins; et il n'auroit eu la puissance, dans le
pays même, de les défendre des brocards des médisans. » Ces médisants
m'ont l'air, en effet, d'avoir été gens très-susceptibles. Trois de ses dernières
comédies parurent donc en 1611.

1. Ronsard adressa à Le Loyer le quatrain suivant :

Loyer, ta docte muse n'erre

De batir une ville en l'air,
Où les c... puissent voler;
Pour eux trop petite est la terre.

du dieu Coquard, patron de la cité, avec dame Zélotypie, fille naturelle de Jupiter 1.

Nous touchons à une crise importante qui á eu sur notre théâtre presque autant d'influence que la réforme de 1549, mais qui a été bien moins remarquée. On a vu les Confrères de la Passion, décrédités auprès des dévots, des savants et de la bonne société, continuer pourtant leurs représentations sí chères à la populace. Mais, avec le temps, le contraste entre leur profession de comédiens et leur caractère demireligieux se fit sentir de tout le monde, et ils finirent par s'en apercevoir eux-mêmes. L'obscénité grossière de leur réper-| toire provoquait des réclamations graves et fréquentes. D'ailleurs, gens de commerce ou de métier, pour la plupart, manquant de la pratique spéciale du théâtre, et ne jouant que les jours de dimanche ou de fête, ils satisfaisaient médiocrement cette portion du public devenue par degrés plus difficile et plus curieuse. Déjà, à diverses reprises, des troupes régulières de comédiens avaient tenté de s'établir dans la capitale, et, chaque fois, les Confrères, effrayés de la concurrence, s'étaient armés, pour les repousser, du privilége exclusif dont le titre suranné commençait à s'user. Par toutes ces raisons, ils résolurent, vers 1588, de louer le privilége et la salle à l'une de ces troupes, jusque là ambulantes, se réservant toutefois une couple de loges à perpétuité et un certain bénéfice pour chaque représentation. Or c'était précisément à cette époque que, dans le monde distingué et érudit, sur le théâtre de la cour et de l'université, Garnier achevait sa carrière tragique, et que les guerres civiles, renaissant avec une furie nouvelle, interrompaient, au sein de Paris, les études de l'antiquité et les exercices littéraires. De continuelles relations avec l'Espagne en propageaient la langue, et les

1. Les visions cornnes de Pierre Le Loyer en toutes choses ont été célèbres, et les savants de son siècle et du suivant s'en sont fort égayés. Bayle l'a niché comme un docte grotesque en son Dictionnaire. J'ai sous les yeux une notice sur Le Loyer par notre ami M. Victor Pavie (Annales de la Société d'Agriculture, Sciences el Arts d'Angers, 1841).

2. Voir dans l'Histoire du Théâtre françois des frères Parfait, tome III, p. 220 t suiv., les vicissitudes, démembrements et réunions de cette troupe et des autres qui survinrent, et aussi Beauchamps en ses Recherches, part. I, page 93. Il y a bien des obscurités dans ces premières races de nos comédiens du Roi, et c'est le cas de dire avec Fontenelle : « Après cela débrouille qui voudra la chronologie des rois assyriens ou les dynasties d'Egypte. »

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