Page images
PDF
EPUB

Bastard, duc de Normandie menacé en 1047 par un complot de quelques barons mécontents.

Sans vouloir faire remonter comme Dreux du Radier 1, l'institution des bouffons au règne de Charlemagne, parce que le jeu d'échecs où deux fous accompagnent le roi était connu à cette époque, il est certain qu'alors déjà il y avait des baladins et des bouffons à la cour du grand empereur. Il y eut aussi des bouffons dans le palais de Louis le Pieux, il y en eut également sous les règnes qui suivirent, puisque nous voyons Philippe-Auguste en 1181 les chasser de sa cour parce qu'il trouvait que leur conduite était peu recommandable. Mais la charge de bouffon, érigée en titre d'office particulier et payée sur les fonds des plaisirs royaux, n'apparaît guère qu'au commencement du xive siècle avec un certain Geoffroy, fou de Philippe V le Long, qui est cité dans les comptes de l'argenterie des rois de France 3.

1. Récréat. hist., critiq., morales et d'érudition. - Hist. des fous en titre d'office. Paris, 1767.

2. Le jeu des échecs dont on a voulu faire honneur à Palamède qui l'aurait inventé au siège de Troie, paraît plus vraisemblablement avoir été inventé dans l'Inde, vers le ve siècle, de notre ère. C'est de là qu'il se répandit rapidement dans la Chine. en Perse et s'introduisit en Europe.

3. Publiés par les soins de la Société de l'histoire de France. Paris 1851.

On connaît à Philippe de Valois un fou, qui eut la mission d'annoncer au roi le désastre de la bataille navale de l'Ecluse, au début de la guerre de cent ans, en 1340.

Rabelais, dans son chapitre intitulé: «< Comment Pantagruel persuade à Panurge de prendre conseil de quelque fol, » raconte le jugement que prononça dans certaine circonstance Seigni Joan, fol insigne de Paris, bisayeul de Caillette : D'après certains documents, ce fou aurait fait partie de la maison de Philippe de Valois, et c'est à ce titre que nous transcrirons ce récit :

1

« A Paris, en la rous tisserie du petit chastelet, au deuant de l'aurror d'ung roustisseur, ung facquin 2 mangeoyt son pain à la fumée du roust, et le trouvoyt ainsi parfumé, grandement sauoureux. Le roustisseur le laissoyt faire. Enfin, quand tout le pain feut baufré, le roustisseur happe le facquin au collet, et vouloyt qu'il luy payast la fumée de son roust. Le facquin desoyt en rien n'auoir ses viandes endommaigé, rien n'auoir du sien prins, en rien luy estre débiteur.

La fumée dont estoit question euaporoyt par dehors: ainsi comme ainsi se perdoyt-elle : jamais n'avait été ouy que, dedans Paris, on eust vendu fumée de roust en rue. Le roustisseur répliquoyt

1. Boutique. 2. Portefaix.

P. MOREAU.

12

que de fumée de son roust n'estoyt tenu nourrir les facquins, et renioyt', en cas qu'il ne le payast, qu'il luy osteroyt ses crochetz. Le facquin tire son tribart et se mettoyt en deffense..

L'altercation feut grande, le badault peuple de Paris accourut au débat de toutes parts. Là se trouva à propous Seigni Joan, le fol, citadin de Paris. L'ayant aperceu, le roustisseur demanda au facquin Veulx tu sus nostre différent croire ce noble Seigni Joan? - Ouy, par le Sambreguoy 3, respondist le facquin.

3

A doncques Seigni Joan, après auoir leur discord entendre, commanda au facquin qu'il luy tirast de son baudrier quelque pièce d'argent. Le facquin luy mist en main ung tournois philippus ' Seigni Joan le print et le mist sus son épaule gausche, comme explorant s'il estoyt de poids; puis le lympoy 5 sur la paulme de sa main gausche, comme pour entendre s'il estoyt de bon alloy; puys le posa sur la prunelle de son œil droict comme pour voir s'il estoyt bien marqué. Tout ce fait faict en grande silence de tout le badault peuple, en ferme attente du roustisseur et déses

1. Juvrait.

2. Baton ferré.

3. Par le sang Dieu.

4. Gros tournois de Philippe de Valois, valant un sou.

5. Faisait sonner.

poir du facquin. Enfin le fait sus l'ouuroir sonner par plusieurs foys. Puys, en maiesté présidentale, tenant sa marotte au poing, comme si feust ung sceptre, et aflublant en teste son chaperon de martres singesses à aureilles de papier fraisé à poincts d'orgues, toussant préalablement deux ou troys bonnes foys, dist à haulte voix: La court vous dict que le facquin qui ha son pain mangé à la fumée du roust, civilement ha payé le roustisseur au son de son argent 1. Ordonne ladicte court que chacun se retire en sa chascunière, sans despens, et pour cause.

Cette sentence du fol parisien tant ha semblé équitable, voyre admirable, aux docteurs susdictz, qu'ily faut doubte, en cas que la matière eust esté au parlement dudict lieu, ou en la Rote à Rôme, voyre certes entre les aréopagites décidée, si plus iuredicquement eust esté par eulx sententiée. Pourtant aduisez si conseil voulez d'ung fol prendre.

>>

Si l'histoire présente des lacunes dans la nomenclature des bouffons, il ne faut pas croire que cette charge restât jamais sans titulaire, car à une époque où la culture de l'esprit était pour

1. Bocchoris, selon Plutarque, rendit un jugement semblable contre la courtisane Thonis, qui réclamait, en argent, le prix de ses faveurs qu'un jeune homme s'était procurés 'en imagination,

ainsi dire nulle et où les sciences, les lettres, les beaux arts étaient le partage de quelques priviligés, les princes et leurs fidèles cherchaient des distractions plus matérielles: alors le fou était l'ornement obligé de toutes les fêtes.

Ce n'est réellement qu'à partir du règne de Charles V (1364-1380), que l'on trouve des documents précis sur les bouffons.

Dans les archives de la ville de Troyes, en Champagne, se trouve une lettre de Charles V, où ce prince marquant au maire et aux échevins la mort de son fou, lui ordonnait de lui envoyer un autre suivant la coutume. L'usage en était déjà établi et la Champagne avait apparemment l'honneur exclusif de fournir des Fous à nos rois du temps de Charles V.

Le texte de ce document est trop curieux pour ne pas être cité :

<«< Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, à leurs seigneuries les maires et échevins de notre bonne cité de Troyes salut et dilection.

Savoir faisons à leurs dessus dictes seigneuries. que Thévenin nostre fol de cour, vient de trespasser de celluy monde dedans l'aultre. Le Seigneur Dieu veuille avoir en gré l'ame de luy qui oncques ne faillit en sa charge et fonction emprès nostre royale Seigneurie et mesmement ne voult si trespasser sans faire quelque joyeuseté et gentille

« PreviousContinue »