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main?..... Y a-t-il dans l'admirable tout qu'elle offre à nos regards plus de sentiment, de pensée et de volonté qu'il ne s'en trouve dans ses parties prises séparément ?..... La Nature est gouvernée par des lois. Est-ce elle-même qui se les est données ?..... N'est-il pas évident que, sujette à des changements continuels, elle a commencé d'être, ou en d'autres termes, qu'elle doit sa naissance à uu être plus grand qu'elle ?............

69. Les arts et les métiers personnifiés.

Comme notre imagination aime à répandre partout la vie, il était naturel qu'elle personnifiât aussi les arts et les métiers qui sont le produit de l'intelligence et de l'activité humaine. Ils n'existent toutefois que dans l'homme, mais leurs œuvres sont hors de lui, et lui survivent souvent pendant des siècles. C'est peut-être cette considération qui a fait donner à ces arts une existence à part. Ils passent d'ailleurs d'une génération à l'autre, au moyen de l'instruction et de l'exemple.

Dans les morceaux suivants vous relèverez d'abord les personnifications, puis vous ajouterez vos réflexions sur les diverses pensées qui y seront énoncées.

J'admire tes bienfaits, divine Agriculture,
Tu sais multiplier les dons de la Nature;
Toi seule à l'enrichir forces les éléments.
Elle doit à tes soins ses plus beaux ornements.
Sans toi ces végétaux que tu sais reproduire
Périssent en naissant, ou naissent pour se nuire.
Tu tiras les humains du centre des forêts;
Fixés auprès des champs qu'ils cultivaient en paix,
Ils purent prononcer le saint nom de patrie.

Dans la sombre nuit de ces temps incertains,
Où l'homme réparait de ses tremblantes mains
Du monde submergé l'étonnante ruine,
L'art des navigateurs cache son origine.

Ceux à qui l'univers doit ses premiers succès,

(SAINT-LAMBERT.)

Sous des noms inconnus vivent par leurs bienfaits. (ESMENARD.).

A de simples couleurs mon art plein de magie

Sait donner du relief, de l'âme et de la vie;

Ce n'est rien qu'une toile, on pense voir des corps.

J'évoque, quand je veux, les absents et les morts. (DE FONTANES.) Même aux eaux, même aux fleurs, même aux arbres muets,

La poésie encore, avec art mensongère,

Ne peut-elle prêter une âme imaginaire?
Tout semble concourir à cette illusion,
Voyez l'eau caressante embrasser le gazon,

Les arbres s'enlacer

Commerce, art bienfaisant, ta vigilance habile
Répare les refus d'une terre stérile.

(DELILLE.)

Changé par tes présents, le lieu le plus ingrat

Paraît aux yeux trompés un fertile climat.

(LEMIERRE.)

Beaux arts (1)! Eh! dans quel lieu n'avez-vous droit de plaire?

Est-il à votre joie une joie étrangère?

Non, le sage vous doit ses moments les plus doux :
Il s'endort dans vos bras, il s'éveille pour vous.

(DELILLE.)

70.

Êtres purement imaginaires personnifiés.

1o Le Temps.

Notre imagination ne se contente pas de personnifier des choses qui n'ont point d'existence par elles-mêmes, puisqu'elles ne se trouvent que dans d'autres; elle se permet encore d'en créer qui n'existent que dans ses rêves, et elle leur donne avec la vie des formes diverses.

La succession des objets et leur durée différente sont quelque chose de réel qui appartient aux objets; mais le temps, qui en cela nous sert de mesure, est tout à fait de notre invention et n'existe que dans notre pensée et notre langage. Cependant nous en faisons un être réel et même vivant. On lui donne quelquefois la figure d'un vieillard avec des àiles, une faux dans une main et un sablier dans

(1) Jadis on distinguait les arts libéraux des arts serviles. Les premiers étaient exercés par les hommes libres, les autres par les serviteurs ou les esclaves. C'étaient des travaux mécaniques. Nous appelons beaux arts ceux qui s'occupent du beau, comme la poésie, l'éloquence, la peinture, la sculpture, la musique, etc.

l'autre. Que signifient ces attributs ?..... D'autres poëtes représentent le temps sous l'image d'un fleuve. Pourquoi?..... Ces différentes représentations disent assez que le temps n'est qu'un produit de l'imagination.

Voici quelques vers. Vous direz comment le poëte y a figuré le temps, et vous ferez vos réflexions sur la pensée qu'il aura exprimée.

Le Temps d'un invisible cours
Nous porte au terme de nos jours.
C'est à notre sage conduite,
Sans murmurer de ce défaut,
De nous consoler de sa fuite,

En le ménageant comme il faut.

O Temps! force invisible, à qui rien ne résiste,
Par qui tout se succède, et sans qui rien n'existe.
Fleuve égal et rapide, où les ans et les jours
Vont tomber sans relâche, emportés par ton cours.
Si je devais un jour pour de viles richesses

Vendre ma liberté, descendre à des bassesses,

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Je te dirais : ô Temps! sonne ma dernière heure,
Hâte-toi, que je meure!

Empire, gloire, liberté,

Tout est par le Temps emporté ;

(MALHERBE.)

(LEMIERRE.)

(THOMAS.)

Le Temps emporte les dieux mêmes

De la crédule antiquité.

(LAMARTINE.)

Ce vieillard qui d'un vol agile
Fuit, sans jamais être arrêté,
Le Temps, cette image mobile
De l'immobile éternité,
A peine du sein des ténèbres
Fait éclore les faits célèbres,
Qu'il les replonge dans la nuit.
Auteur de tout ce qui doit être
Il détruit tout ce qu'il fait naître,
A mesure qu'il le produit.

Le souvenir au Temps fait rebrousser son cours.

Aglaure s'écriait: 0 Temps! je te déteste !

Tout vieillit, grâce, esprit, attraits. >>

Sa mère lui répond: « Un seul charme nous reste;
Le bon cœur ne vieillit jamais. >>

(J.-B. ROUSSEAU.)

(DELILLE.)

(MOLLEVAUT.

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L'imagination a aussi fait de la mort un être vivant qui tue tout ce qui vit, hommes et animaux. Pour la présenter à nos yeux, elle en a fait un squelette décharné et armé d'une faux comme le temps. Cependant la mort n'est qu'une puissance imaginaire; car dans la réalité, la mort n'est pour nous que la cessation de notre vie terrestre, la séparation du corps d'avec l'âme, qui se fait tout naturellement, lorsque nos organes, vieillis ou dérangés par accident, ne sont plus propres à nous rendre les services auxquels ils sont destinés. Notre vie d'ici-bas s'éteint comme la flamme d'une lampe qui n'a plus d'huile, ou bien elle cesse comme le mouvement d'une pendule qui est arrêtée. Faites vos réflexions sur les vers suivants et sur la mesure.

C'est dans ces lieux, c'est parmi ces tombeaux

Que le Temps et la Mort viennent croiser leurs faux. (LEMIERRE.)
Avec quel froid et quelle haine égale

La Mort tire les noms de son urne fatale!

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;

On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,

Et nous laisse crier.

Malgré les cris d'une mère
La Mort retient son butin;
Avide de funérailles,

Ce monstre, né sans entrailles,
Sans cesse armé de flambeaux,
Erre autour de nos murailles,
Et nous creuse des tombeaux.
La Mort dans sa vaste course
Voit des parents éplorés
Gémir (trop faible ressource!)
Sur des enfants expirés ;
Sourde à leur plainte importune,
Elle unit leur infortune

A l'objet de leurs regrets,
Dans une tombe commune,
Et sous les mêmes cyprès.

(LE MÊME.)

(MALHERBE.)

(GRESSET.)

D'autres poëtes ont fait de la mort un messager céleste qui vient nous débarrasser des liens qui nous attachent aux misères terrestres. Faites vos réflexions sur les vers suivants :

Je te salue, ô Mort! libérateur céleste;

Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur;
Ton front n'est point cruel, ton œil n'est point perfide;
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide;
Tu n'anéantis pas, tu délivres : ta main,

Céleste messager, porte un flambeau divin;
Quand mon œil fatigué se ferme à la lumière,
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière;
Et l'Espoir près de toi rêvant sur un tombeau,
Appuyé sur la Foi, m'ouvre un monde plus beau.
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles.

Viens, ouvre ma prison; viens, prête-moi tes ailes! (LAMARTINE.)

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Le mot fortune a deux significations dans la langue. On entend par la fortune d'un homme les biens qu'il possède, et en ce sens nous parlons d'une grande, d'une médiocre ou d'une mince fortune. On désigne aussi par le même mot une puissance imaginaire qui nous distribue les biens et les maux de la vie sans jugement et sans règle. Les poëtes et les peintres en ont fait une femme aux yeux bandés, debout sur une roue ou sur un globe en mouvement. Imaginer une semblable divinité, c'est méconnaître en même temps et la liberté des hommes et la Providence divine qui les gouverne et qui compte, comme l'a dit le divin Maître, tous les cheveux de nos têtes.

Cependant, élevés à l'école des païens, nos poëtes se sont souvent laissés aller, sinon à leurs idées, tout au moins à leur langage. Vous en jugerez par les passages suivants sur lesquels vous ferez vos réflexions.

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