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d'Énée, en rade non loin de l'embouchure du Tibre, allaient être incendiés par Turnus. Vénus pria Jupiter de les sauver. Elle n'obtint pas l'objet de sa demande; mais, pour soustraire les vaisseaux aux flammes, Jupiter les changea en Néréides. Est-ce là une métamorphose possible?... Les Naïades étaient des nymphes aquatiques qui venaient fréquemment folâtrer dans les forêts et les prairies. Elles n'avaient de culte que dans les campagnes, plus crédules que les villes. On leur sacrifiait des agneaux et des chèvres, ou l'on se contentait de mettre du lait, des fleurs et des fruits sur leurs autels.

Les Tritons sont aussi des dieux marins. Lorsque Neptune eut calmé la tempête excitée contre Énée et sa flotte, il appela, dit Virgile, les Tritons pour remettre les vaisseaux à flot, et

Les Tritons à sa voix s'efforcent d'arracher

Les vaisseaux suspendus aux pointes du rocher;

Et lui-même, étendant son sceptre secourable,

Les soulève, leur ouvre un chemin sur le sable. (Énéide, 1. 1.)

Les poëtes anciens, usant du même droit d'invention, nous peignent les Tritons différemment; le plus souvent cependant ils en font des hommes par le haut et des poissons par le bas, et mettent un coquillage en guise de cor dans l'une de leurs mains.

Vous savez que dans le culte de la nature tous les fleuves étaient animés. Conformément à cette antique croyance, Virgile fait ainsi parler le Tibre à Énée qui dormait sur ses bords:

Lève-toi, fils des dieux! au retour de l'aurore.
Sacrifie à Junon, et suppliant encore,

De son courroux fléchis l'altière volonté.
Vainqueur, tu me rendras l'hommage mérité.
Je suis ce dieu dont l'onde, enflée avec prudence,
Sur ces bords fortunés promène l'abondance.

(Énéide, 1. VIII.)

Est-ce que d'après ce récit Énée a vu le dieu de ses yeux ?.....

Le plus singulier dieu marin de la mythologie était

Protée, le pasteur des troupeaux de Neptune au fond des mers. Il avait, nous dit Homère, la connaissance du passé, du présent et de l'avenir. Souvent il venait se coucher sur le rivage, entouré de monstres marins. Les hommes venaient l'interroger; mais pour en obtenir une réponse, il fallait le toucher et l'agacer sans relâche. Alors Protée prenait toute espèce de formes d'animaux de la terre, de l'air et des eaux, puis il se changeait encore en diverses matières. Enfin il redevenait lui-même, et ce n'est qu'alors qu'il répondait aux questions qu'on lui adressait. (Odyssée, IV.) Est-ce là une heureuse fiction de la mythologie ?..... Est-ce dans le même sens que nous appelons certains personnages des Protées ?.....

Virgile fait usage de ce fabuleux Protée, mais d'une manière encore plus choquante, surtout dans un ouvrage destiné aux agriculteurs. Il nous parle du cultivateur Aristée qui vient de perdre ses abeilles. Dans sa douleur, il va s'adresser à sa mère Cyrène, nymphe qui habitait le Pénée, fleuve de la Thessalie. Aristée, sur le rivage, l'appelle à grands cris, et elle ordonne à ses compagnes de le lui amener au fond du fleuve. Le fleuve s'ouvre, et ses ondes portent mollement le fils dans le séjour de sa mère. Elle le console, et lui dit d'aller interroger Protée. Il y va, l'agace, et lui demande le moyen de repeupler les ruches désertes. Au lieu de lui indiquer ce moyen, Protée lui dit qu'il était puni pour avoir poursuivi l'épouse d'Orphée, Eurydice, qui, fuyant devant lui, avait été mortellement blessée par une couleuvre cachée dans l'herbe, Il n'en dit pas davantage. Dans son nouvel embarras, Aristée s'en retourne chez Cyrène, sa mère. Celle-ci lui dit d'élever quatre autels, d'y sacrifier quatre jeunes taureaux et quatre génisses, et de laisser leurs corps sanglants dans la forêt. Dans quelques jours, ajouta la déesse, de nombreux essaims d'abeilles se formeront dans le flanc des victimes. (Géorgiques, IV.) Cette fiction du poëte n'estelle pas un tissu d'absurdités ?.....

Près de l'île de Caprée, Homère a placé les Sirènes,

monstres moitié femmes et moitié poissons. Elles attiraient les navigateurs par la douceur de leurs chants, et les dévoraient. Pour ne pas se laisser séduire, Ulysse se fit attacher au mât, et boucha avec de la cire les oreilles des matelots. Ne trouvez-vous pas dans ce conte une excellente leçon pour nous?.....

93. Les enfers et leurs déités.

Pour peu que l'homme fasse attention à sa personne, il ne tarde pas à distinguer de ses organes de chair et d'os son propre moi qui sent, qui pense, qui veut et qui agit selon son gré; il comprend dès lors qu'il peut survivre à son enveloppe, et, s'il est bon, il le désire, il l'espère; tandis qu'il le craint s'il est mauvais, sans pouvoir cependant détruire l'importune pensée qui revient toujours à la charge.

Toute la mythologie a consacré la foi en un monde invisible dans lequel passent les âmes des défunts. Elle l'a placé sous notre terre, aux enfers, c'est-à-dire dans les lieux inférieurs, où elle s'est figuré deux séjours bien différents, les Champs-Élysées ou Élyséens pour les bons, et le Tartare ou le Ténare pour les méchants.

Les âmes des défunts s'appelaient Mânes chez les Latins, mot dérivé d'un verbe qui signifie rester. On les nommait aussi des ombres, parce que l'on croyait que séparées de leur ancienne enveloppe, elles en conservaient néanmoins l'apparence qui, bien que vaine, devait servir à les rendre reconnaissables. Cette idée est-elle exacte?..

Pluton, frère de Jupiter et de Neptune, est le souve rain des enfers. Il a aussi une femme dans son royaume souterrain. C'est Proserpine, fille de Cérès, qu'il est venu enlever de vive force sur la terre, comme elle jouait en Sicile avec ses compagnes. Elle était adorée en divers lieux de la Grèce et de l'Italie, et on lui sacrifiait des vaches noires et stériles.

Nous avons vu précédemment dans un passage d'Ho

mère que Pluton avait été blessé dans son empire par Hercule, et qu'il était venu dans l'Olympe pour se faire guérir par Péon, le médecin des immortels. Le même Homère raconte qu'un jour Pluton s'élança de son trône, parce qu'une tempête violente l'avait ébranlé. Il craignait que Neptune ne mît d'un coup de trident son royaume à découvert. (Iliade, xx. )

Comme il s'agit aux enfers de récompenser et de punir, la fable y a placé trois juges: ce sont Minos, Eaque et Rhadamanthe. L'antiquité nous apprend que Minos avait fait de très-bonnes lois dans l'île de Crète, et qu'il les faisait exécuter avec la plus parfaite justice. Rhadamanthe avait acquis la même réputation dans les îles de la mer Égée; on le regardait comme l'inventeur de la plus équitable de toutes les peines, celle du talion. Éaque, de son vivant, était roi d'Égine; il peupla cette île, en devint le bienfaiteur, et les habitants lui bâtirent un temple. En choisissant ces trois juges, la mythologie a fait preuve de ses bonnes intentions pour la justice dans les jugements à rendre aux enfers; mais les fonctions à remplir ne surpassent-elles pas la portée humaine, tant pour le nombre des jugements à porter que pour la connaissance du mérite ou du démérite moral ?... Puis ces hommes ne sontils pas sacrifiés à l'intérêt d'autrui ?...

La fable a mis un vestibule à l'entrée des enfers, et elle en a confié la garde à Cerbère, redoutable chien à trois têtes. On faisait voir jadis les lieux de la terre par lesquels il devait avoir passé, et les plantes que sa bave devait avoir envenimées. Sa tâche était d'empêcher que les morts ne retournassent en vie. N'était-ce pas là une précaution bien inutile?...

Le vestibule des enfers est, nous dit la fable, séparé du reste par le bourbeux Acheron. Pour le passer il y a une barque, dont le vieux Caron, à la longue barbe blanche, est l'immortel nautonier. Son devoir est de refuser sans quartier le passage à tous les mânes dont les corps avaient été privés de sépulture. Qu'ont voulu les anciens en ré

pandant cette idée?... Le refus du passage était-il juste ?... Et Caron pouvait-il juger du fait?...

Il devait aussi refuser le passage à tous les mânes qui n'apportaient pas la pièce de monnaie exigée : c'était une obole pour les gens du commun et une pièce d'or pour les princes. On plaçait cet argent dans la bouche des morts. Comment passait-elle de là à sa destination et que pouvait en faire Caron?....

C'est après avoir passé l'Achéron que les mânes arrivaient au tribunal des trois juges.

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La mythologie a placé le Tartare à gauche du tribunal des trois juges. Elle l'a établi sur un rocher et fermé d'un triple mur; à l'entrée elle a construit une tour en fer, et les gonds de la porte sont de diamant; elle l'a en outre environné de trois fleuves, le Cocyte, le Phlégéton et le Styx. Il y avait des fleuves de mêmes noms sur la terre, à cause de la mauvaise qualité de leurs eaux on les a fait sortir des enfers.

et

La fable n'avait d'abord remis qu'à une seule Furie la tâche de tourmenter les coupables au Tartare; plus tard elle en a établi trois sous les noms de Tisiphone, Alecto, et Mégère. On les représentait avec une mine terrible, tenant d'une main une torche allumée et de l'autre un poignard ou un fouet.

Quelques coupables subissent, dans le Tartare de la fable, des supplices particuliers. Sisiphe, pour avoir refusé de donner asile à l'une des filles de Jupiter, est condamné à remonter sans cesse au sommet d'une montagne un rocher qui en retombe aussitôt. Ixion, qui a osé faire la cour à Junon, est attaché à une roue qui sans cesse tourne avec une rapidité extrême. Tantale a tué son fils pour en servir les chairs à des dieux, et il est plongé dans un fleuve dont les eaux fuient sa bouche dès qu'il veut

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