Disons, toutefois, qu'il n'existait, du temps de l'abbé Travers, (1) Un contemporain instruit, Vincent Dupas, recteur ou plutôt vice-gérant de (2)« C'est dans ce couvent où a commencé la réforme des Carmes, sous le nom alors le vénérable père Philippe Thibaut, le principal restaurateur de la discipline régulière chez les Carmes de France, qui en était prieur pour la troisième fois, et y avait établi un cours de philoso- phie de trente jeunes religieux, tous sujets d'élite. De là, après s'être longuement préparé par de bonnes études dans les sciences divines et humaines, et avoir exercé les fonctions de maître des novices, il avait été lui-même nommé successivement, comme prieur, dans diverses maisons de sa province, qui se composait d'environ vingt- cinq couvents d'hommes, de deux hospices et de quatre monastères de filles. Le grand couvent de Carmes de la place Maubert, à Paris, et celui qu'on appelait communément les Billettes, en dépendaient. Outre son mérite personnel, la protection du commissaire général de l'ordre du Mont-Carmel, Antoine de la Porte, issu d'une branche collatérale de la famille du maréchal de la Meilleraye, parente du cardinal de Richelieu, avait aussi contribué à lui ménager ces diffé- rents postes (1). Il passa en cette qualité, notamment à Paris, en 1636, puis à Nantes, où il devint, comme un autre père Joseph dans une sphère moins haute, l'ami et le conseil du maréchal, qui en était gouverneur et commandait, pour le roi, dans la province de villes pour le service des fidèles. Cette réforme commença vers l'an 1600, et a été Voir sur cette réforme, entreprise au commencement du XVIe siècle par le père Pierre Bouhourt, et consolidée par le père Philippe Thibaut, l'Histoire des Ordres monastiques, etc., du père Hélyot, t. I, p. 334, édit. de 1714-19; l'idée véritable d'un supérieur religieux, formé sur la vie et la conduite de Ph. Thibaut, réformateur, en France, de l'ordre des Carmes, par Hugues de Saint-François, religieux carme de la province de Touraine : Angers, 1663, in-40 (cet auteur, mort en 1668, a été successivement prieur des Carmes de Pont- l'Abbé, de Sainte-Anne près Auray et de Nantes); — Vie du même, par Lezin de Sainte-Scholastique, du même ordre: Paris, Sébastien Cramoisy, 1673, in-12 (ce dernier était prieur des Carmes de Nantes en 1667); — enfin, Notice sur le même, dans les Vies des Saints de Bretagne, par dom Lobineau, pag. 379 à Les règlements de cette étroite observance ou réforme ont été imprimés sous le titre de Regula et constitutiones Carmelitarum, strictioris observantiæ, cum auctario rerum ad provinciam Turoniam spectantium, in-4o. On les appelait les louables coutumes du couvent de Rennes, (1) Bibliotheca carmelitana, etc., t. II, art. CXVI, p. 414. Après avoir reconnu et constaté, sous le froc d'un moine, l'auteur anonyme du Commerce honorable, sachons au juste ce qui en a occasionné la rédaction et la publication. Avant de rendre compte de l'ouvrage lui-même, il importe de retracer les diverses tentatives infructueuses qui lui donnèrent naissance. Cet historique ne sera pas inutile pour le mieux apprécier. Toutes les entreprises conimerciales n'avaient été, jusque dans les premières années du XVIIe siècle, que l'ouvrage de quelques particuliers. Le Gouvernement n'y intervenait en rien: il se bornait à les entraver, le plus souvent, à l'intérieur, par sa fiscalité et ses péages (1), et à protéger quelquefois au dehors, par ses négociations et ses armes, leurs opérations maritimes (voir note A). « Ce ne fut « probablement que sous le ministère du cardinal de Richelieu, dit « Savary, que l'on vit se former, en France, des compagnies, sous « l'autorité du roi et avec des lettres patentes, pour l'une et l'autre « Inde. » (Dictionn. de commerce, art. COMPAGNIE.) Sitôt, en effet, qu'il fut devenu ministre dirigeant, attentif à tout ce qui pouvait accroître l'abondance, et ne voulant pas que, sous lui, la France éprouvât de l'étranger la plus légère humiliation, il se préoccupa vivement de la marine et du négoce. Son administration se signala par des encouragements et une large protection accordés à ces deux branches de la puissance et de la richesse publiques. C'était préluder dignement à la transformation de l'ancienne charge, purement guerrière et destructive, d'amiral, en fonctions de l'ordre pacifique et productif, qu'il devait bientôt s'attribuer sous le titre de grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et du commerce de France (1626), qui est l'origine de nos ministères actuels de la marine et du commerce (*). Sur ces entrefaites, le cardinal descendit à Nantes, avec le roi, (1) On ne connaissait point alors la loi de libre circulation, la seule qui puisse sauver les empires, comme disait Law. (Lettre au régent.) La liberté des ventes et des achats est seule profitable à tous. (Turgot.) -- (2) Richelieu parle de la suppression de l'ancienne charge d'amiral dans ses Mémoires, tom. III, pag. 212, et de la création de la nouvelle, pag. 256. L'édit se trouve dans le Recueil des anciennes lois françaises, par Isambert, tom. XVI, pag. 194. Des devises et des allégories ayant trait à la faveur que le cardinal venait d'obtenir, furent alors publiées en assez grand nombre. On peut les voir dans la collection historique des Estampes de la Bibliothèque nationale. pour dissiper en Bretagne les restes de la faction des Vendome qui venaient d'être arrêtés à Blois, tenir les États de la province et se saisir de la personne d'un autre agent de cabales, nommé Chalais (Henri de Talleyrand-Périgord, sieur de). Une chambre de justice criminelle fut aussitôt établie pour le juger (1). Tandis que le procès de ce misérable, qui s'était perdu par ses intrigues, s'instruisait au château, Richelieu, débarrassé de ces grands malfaiteurs et goûtant un peu de repos, s'occupait des vrais intérêts du pays. Ketiré, pour se refaire, dans une maison de campagne nommée La Haye, située en SainteLuce, non loin de Chassais, l'ancienne maison de plaisance des évêques de Nantes, à deux lieues de cette ville, et pénétré du grand principe que l'association multiplie les forces, il préparait et jetait les bases d'une première compagnie des Indes. Profitant de sa présence sur les lieux, et voulant utiliser sa bonne volonté, plusieurs particuliers, dont nous ne connaissons guère que les noms, Guillaume de Bruc et Jean-Baptiste Duval seulement, d'après les pièces que nous avons sous les yeux, et, en outre, Le Mareschal et Montmort, d'après le Mercure françois, lui avaient soumis le projet d'une vaste société commerciale, tant par terre que par mer, dont le siége serait au havre du Morbihan, en Bretagne (2). Le cardinal, qui voyait dans de pareilles combinaisons le meilleur moyen de vivifier la navigation et le négoce, accueillit immédiatement la proposition : les statuts ou articles en furent discutés et arrêtés au conseil d'État, et, pour leur imprimer le caractère gouvernemental, Richelieu s'occupait, dans son loisir, à les formuler en édits royaux, qui furent expédiés surle-champ aux concessionnaires, et ne tardèrent même pas à être imprimés, pour réaliser plus vite le fonds social, ou bien en faire (1) Voir sur cet épisode un excellent travail de notre collaborateur et ami M. le professeur d'histoire de Nantes L. Grégoire, inséré dans la Revue des provinces de l'Ouest, 1re et 2o années. (2) On appelle ainsi le golfe de Vannes, qui a donné son nom au département. Couvert par la presqu'île de Rhuys, il plus de trois lieues de profondeur; sa largeur est fort inégale. Il y a dans ce golfe plusieurs îles habitées et cultivées, entre autres celle d'Ars, et l'île aux Moines. Ses environs sont garnis de villages. Voir Expilly, Dict. des Gaules et de la France, vo MORBIHAN. Ce nom breton signifie mer renfermée ou petite mer. Le mare conclusum de César, dans ses Commentaires de la guerre des Gaules, liv. III, chap. 2, qu'on prenait pour la Méditerranée, n'en est probablement que la traduction. connaître les vraies dispositions qu'on dénaturait. Cette circonstance précieuse de la vie de ce grand homme s'étant pour ainsi dire noyée dans le drame judiciaire qui se jouait alors à Nantes, d'autant que la compagnie ne put malheureusement avoir d'exécution, comme on va voir, nous voulons lui restituer la place qu'elle mérite dans nos annales locales et même dans l'histoire générale. Ce sera une nouvelle preuve qu'en y regardant de près, on trouve, dans les conceptions de Richelieu, le germe de tous les genres de perfectionnements et de toutes les institutions qui, depuis le commencement du XVII° siècle, ont contribué au bien-être et au bonheur de la France (1). Voici donc comment il s'exprime, lui-même, dans une page curieuse de ses propres Mémoires, publiés, pour la première fois, sous la Restauration, par Petitot. Après avoir rendu compte sommairement de ce que le garde des sceaux Marillac avait eu ordre de dire au parlement de Rennes, où le roi s'était rendu après la tenue des États et le supplice de Chalais à Nantes, entre autre choses, qu'il venait non pour faire passer, par son autorité, des édits préjudiciables à la province, mais pour supprimer les droits onéreux de l'amirauté, et pour rétablir tout à fait leur commerce, dont eux-mêmes lui ont représenté l'anéantissement être un de leurs plus grands maux, il ajoute : « Le roi veut vérifier deux édits, à la condition que les deniers n'en soient employés que par eux : ce qui montre bien qu'il ne passe pas les édits comme roi, mais comme leur père; que ce n'est pas lui, mais leur bien et leur nécessité qui les fait. « Il en passe deux, et supprime plusieurs autres; au moins leur laisse-t-il, pour les examiner à loisir, les vérifier s'ils les estiment utiles, ou les supprimer s'ils le trouvent meilleur. « Il y a un troisième édit, qui est celui de Morbihan, que l'on n'estime pas qui fasse nombre (2), parce que c'est un édit que toute la France recherche, que tous les étrangers craignent, et dont l'exécution seule est capable de remettre le royaume en sa première splendeur. << Cet édit était pour l'établissement d'une compagnie de cent associés pour le commerce de toutes sortes de marchandises, tant (1) Histoire du ministère du cardinal de Richelieu, par A. Jay, t. I, p. 329; Paris, Rémont, 1816, 2 vol. in-8°. (2) C'est-à-dire, que l'on n'estime pas devoir être supprimé, souffrir de difficulté. |