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ce vase. Le reste fut recueilli, quelques heures après, par les paysans du pays accourus également pour avoir leur part du butin. Ce fut alors qu'un second vase en bronze fut trouvé, et qu'on put juger de la forme de la cachette où le tout était déposé : c'était une sorte de petit caveau de trois à quatre pieds de long, de trois de large, et de deux de haut, maçonné avec soin, pavé en briques, et couvert de gros moellons. Les monnaies y étaient par tas, et à côté on avait placé les vases en bronze dans lesquels étaient les bijoux. Cette construction, déjà effondrée depuis longtemps, disparut le jour même sous les pelles et les pioches des gens alléchés par l'espoir de rencontrer d'autres richesses.

Je viens de vous dire comment un paysan avait acheté la plus grande partie de la découverte. Nous n'avons plus à nous en occuper, la presque totalité ayant été expédiée à Paris, après être passée au creuset d'un orfèvre de Napoléon, ou étant arrivée à un marchand de nouveautés de Luçon, dont je n'ai pu obtenir le moindre renseignement. Cinq mille monnaies environ, envoyées à Fontenay, à mon ami M. Octave de Rochebrune, me sont seules passées sous les yeux. Leur examen servira à donner une idée approximative du reste.

Les deux femmes qui avaient les premières rencontré les bijoux, conservèrent, au contraire, quelque temps ce qu'elles avaient pris; mais, en vain M. Léon Audé leur en offrit-il une somme assez considérable, elles ne voulurent jamais traiter avec lui, persuadées que l'homme du Gouvernement, comme elles le nommaient, pouvait les poursuivre pour vol, et revendiquer ces belles bagues d'or, dont elles aimaient à se parer. MM. Hyrvoix et Nascimento, plus heureux, parvinrent à vaincre leurs appréhensions.

Nous allons passer maintenant à la nomenclature des objets qui composaient le trésor. Commençons par les ustensiles et bijoux. — Voici d'abord la liste de ceux déposés actuellement au Musée Archéologique :

1o Bague en or ornée d'une pâte en verre représentant une victoire gravée en creux;

2o Id. Sur la pâte en verre est un personnage nu tenant une lance;

3o Id. de plus petite dimension, avec les lettres NON gravées sur le chaton;

4° Bague encore plus petite, sans ornement;

5o et 6o. Id. ayant probablement servi à des statues;

7° Anneau d'or de forme hexagone;

8° Boucles d'oreilles formées d'un simple fil d'or recourbé et lié aux extrémités;

9° Bague d'argent semblable au no 1; la pâte de verre est enlevée; 10° Neuf ou dix anneaux de formes diverses;

11° Paire de bracelets d'argent formés d'une baguette tordue; l'un est cassé;

12° Quatre cuillers, aussi d'argent, dont une se rapproche, par la forme, des nôtres.

Indépendamment de ces objets, dont la conservation est du moins assurée, je dois encore vous signaler ceux achetés par le marchand de Luçon et l'orfèvre de Napoléon; une cuiller et une bague d'or données au propriétaire du champ; un style d'argent et une autre cuiller vendus à M. de Bessay aîné, propriétaire à Grosbreuil; une bague cédée à M. Moricet, notaire à Talmond; quelques autres bagues en or et argent restées aux doigts des paysannes du voisinage, et un grand bronze de Julie, femme de Septime Sévère, au revers du Sacrifice à Vesta, entourée d'une bordure dentelée d'argent, dans le style de celle qui se voit autour d'un aureus de Gordien III, conservé au Vatican, dont R. Venuti a donné la gravure à la planche 69 du tome II de son ouvrage sur les principaux monuments numismatiques de ce célèbre cabinet. La bélière permettant de suspendre ce grand bronze et de le porter au cou, a disparu. Il avait été recueilli par M. Duroussy, qui vient de le donner au musée de NapoléonVendée (1).

Total trente et quelques bagues ou anneaux de toute dimension, deux ou trois paires de boucles d'oreilles, un collier en or, dit-on, une ou deux paires de bracelets d'argent, deux styles, vingt-cinq à trente cuillers de même métal et la médaille de Julie.

Tous ces objets sont, en général, de formes assez grossières, et ont dû avoir été fabriqués dans l'ouest de la Gaule. Les bagues sont ornées, pour la plupart, de pâtes en verre, imitant des intailles.

(1) On a aussi parlé d'un grand bronze de Philippe le Jeune, portant au revers un gros animal. C'est sans aucun doute celui frappé à l'occasion des jeux séculaires, et sur lequel est un hippopotame.

M. Audé a pourtant recueilli une assez jolie petite cornaline gravée en creux, qui avait la même destination. Il s'est, en outre, procuré les fragments des deux vases en bronze malheureusement brisés par les inventenrs. L'anse bien conservée de l'un d'eux fait encore plus regretter cette mutilation: elle est décorée d'un Amour en haut relief et de deux autres figures du même dieu, ou petits génies, de moindre dimension.

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Quant aux monnaies, elles étaient au nombre de 25 à 30 mille, et de presque tous les empereurs, césars ou impératrices, depuis Néron, et peut-être Auguste, jusqu'à Gallien, Salonine et Postume mais la masse principale était composée de pièces ne remontant pas au delà de Gordien. III; les autres formaient à peine la centième partie de la totalité. Il y avait peu de raretés dans cet énorme amas, du moins si je m'en rapporte à ce que MM. Octave de Rochebrune, de la Brière, receveur général de la Vendée, et moi avons pu vérifier, sept à huit milliers à peine. Il est à croire que le reste n'en contenait pas davantage. Il est bon néanmoins de signaler un aureus de Commode, acheté par une personne de Tours, et qui était parmi les huit à dix monnaies de même métal déposées en compagnie des bijoux; une Marciane, deux Plotine, un Pertinax; quelques Diadumenien, Balbin, Pupien, Mariniana et Quietus, et plusieurs revers peu communs des empereurs, césars ou impératrices dont les pièces se voient plus fréquemment. En somme, la numismatique proprement dite a peu à gagner dans tout cela. Nous n'avons pas rencontré une seule inédite.

Je vous entretiendrai cependant, Messieurs, de trois de ces monnaies; encore les choisirai-je parmi les plus communes : mais j'espère vous démontrer, bientôt, qu'elles n'en auront pas moins de prix à vos yeux.

La première est un denier en bas argent de Valérien, qui tranche une question d'épigraphie fort controversée, depuis des centaines d'années, entre les savants de Nantes et d'ailleurs. Je vais extraire de la notice sur l'abbé Travers, rédigée par mon ami Dugast-Matifeux, le passage relatif à ce denier, venu fort à propos pour le mettre en mesure de terminer le combat, nous l'espérons du moins. C'est beaucoup. Les découvertes ou applications nouvelles, qui font taire les savants, sont choses si rares!

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<< Cette petite médaille, quoique bien connue déjà, est assez importante, parce qu'elle permet de vider un débat agité depuis longtemps entre les archéologues, sans qu'ils aient eu l'idée de se servir de cet argument capital dans la question. Elle porte, en effet, au revers, l'image de Vulcain dans un petit temple, et la légende : Deo Volkano. Or, c'est précisément le personnage mentionné dans la fameuse inscription au dieu soi-disant Volianus, DEO VOLIANO, trouvée à Nantes, vers la fin du XVIe siècle, et rapportée par Gruter. Comme on n'avait jamais entendu parler d'une divinité de ce nom, de nombreuses conjectures s'élevèrent à son sujet. Les uns, tels que Juste-Lipse, par exemple, proposèrent d'y voir un dieu topique, une sorte de génie particulier du lieu, qui s'était perdu avec son culte (1). Ils le rangèrent dans la catégorie des dieux inconnus, dont l'antiquaire Spon a laissé un traité spécial, sous le titre de Diis ignotis.

<< Les autres voulurent, au contraire, le faire rentrer dans la mythologie classique; mais ils s'y prirent de diverses manières. Quelques-uns, tels que l'oratorien Bertault, les historiens de Bretagne dom Lobineau et dom Morice, l'antiquaire Moreau de Mautour et les rédacteurs du Journal de Trévoux, virent dans Volianus une corruption de Belenus, nom sous lequel on adorait Apollon dans les Gaules. Ils pensèrent qu'on avait fait d'abord de Belenus, Bolianus et ensuite Volianus, par la transformation assez fréquente du b en v. Le moindre défaut de cette interprétation est de rappeler l'épigramme si connue :

Alfana vient d'equus, sans doute, etc.

(1)« Celui qui me semble avoir touché le plus près du blanc, ç'a été le docte Lipsius, très-savant et très-curieux artiquaire, lequel, consulté sur cette épigraphe, avoua ingénument qu'il ne savait qui était ce dieu Volianus; mais qu'il croyait que c'était un dieu particulier des Gaulois armoricains, dont la connaissance était périe avec sa religion.» (Catalogue des évesques de Nantes dans la Vie des SS. de Bretagne, du P. Albert Le Grand, de Morlaix, p. 390 de l'édit de Nantes, Pierre Doriou, 1637, in-4°.)

« L'ex-ligueur Biré et le légendaire Albert Le Grand y virent Janus, et, ramenant tout à la Bible, prétendirent que, sous le couvert de Janus, il fallait entendre le patriarche Noé, qui avait planté la vigne dans les Gaules. Le P. Longueval, jésuite, historien de l'Église gallicane, croyait que Boljanus n'était autre que le dieu Janus des Latins, au nom duquel on aurait ajouté le mot celtique bol on boul, qui signifie la même chose qu'orbis. Ainsi Boljanus aurait été le Janus du monde.

« Un autre savant, qui est resté presque seul de son avis (1), l'abbé Travers, historien de Nantes, se bornait aussi à y voir Janus, sans mêler le sacré au profane. Mais, voulant bien tenir compte de tous les éléments du problème, dont ne s'étaient pas assez préoccupés Biré et Albert Le Grand, qui négligeaient ou transformaient arbitrairement en celtique la première syllabe du nom Volianus, il le coupa en deux, pour en faire d'abord l'abréviation du participe volente; ce qu'il expliquait ainsi : Volente Jano, avec le bon plaisir du dien Janus. C'est ainsi que l'écart d'une faute nous conduit quelquefois dans une autre.

<< Enfin, les plus raisonnables, partant de l'analogie frappante qu'il y a entre Volianus et Volkanus ou Volcanus, qui ne diffèrent, en effet, que par une seule lettre, i au lieu de c ou de k, dirent que l'inscription était consacrée à Vulcain. Comme ce qui est le plus simple est presque toujours le plus près de la vérité, ceux-ci avaient raison. Ils avaient même plus raison qu'ils ne pensaient; car il n'y a pas seulement analogie, il y a identité complète. La lettre qu'ils prenaient, avec les autres, pour un i, est un k, dont les deux petits jambages, quoique moins accusés que le grand, sont tout aussi récls. C'est ce que démontrent pleinement les diverses variétés du denier de Valérien; de sorte que l'on peut dire, désormais, que la question est vidée.

« Indépendamment de cela, notre monnaie donne la date approximative à laquelle l'inscription de Nantes a été gravée. Elle commence, en effet, par ces mots : Numinibus Augustorum, qui impliquent, an

(1) L'abbé Goujet, l'un des éditeurs des Mémoires de Littérature et d'Histoire, où fut réimprimée l'Explication historique et littérale de Travers (tom. V, pag. 60 à 138), s'est cependant associé à l'interprétation de Volente Jano, dans son Supplément au Dictionnaire de Moréri, tome Ier, page 172, au mot BOULJANUS.

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