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Mais revenons à la lettre, sujet de cette notice.

Elle aussi a son histoire, qu'Abelly va nous raconter.

Après avoir reproduit ce qui concerne la réception faite aux deux fugitifs par le légat d'Avignon, le pieux évêque continue en ces termes :

a Telles sont les paroles de M. Vincent lui-même, dans la lettre qu'il écrivit étant à Avignon, et qui fut trouvée par hazard, entre plusieurs autres papiers, par un gentilhomme d'Acqs, neveu de M. de Saint-Martin, chanoine, en l'année 1658, cinquante ans après qu'elle avait été écrite. Il la mit entre les mains dudit sieur de Saint-Martin, son oncle, lequel en envoya une copie à M. Vincent, deux ans avant sa mort, estimant qu'il serait consolé de lire ses anciennes aventures, et de se voir jeune en sa vieillesse. Mais, l'ayant lue, il la mit au feu, et, bientôt après, remerciant M. de Saint-Martin de lui avoir envoyé cette copie, il le pria de lui envoyer aussi l'original, et lui en fit encore de très-grandes instances par une lettre qu'il lui écrivit six mois avant sa mort. Celui qui écrivait sous lui, se doutant que cette lettre contenait quelque chose qui tournait à la louange de M. Vincent, et qu'il ne la demandait que pour la brûler, comme il avait brûlé la copie, afin d'en supprimer la connaissance, fit couler un billet dans la lettre à M. de Saint-Martin, pour le prier d'adresser cet original à quelque autre qu'à M. Vincent, s'il ne voulait qu'il fût perdu; ce qui l'obligea à l'envoyer à un prêtre de sa compagnie, supérieur du séminaire qui est au collège des Bons-Enfants de Paris, et c'est par ce moyen que cette lettre a été conservée; en sorte que M. Vincent n'en a rien su avant sa mort. Sans ce pieux artifice, il est certain qu'on n'eût jamais rien appris de ce qui s'était passé en cet esclavage; car cet humble serviteur de Dieu faisait tous ses efforts pour cacher aux hommes les grâces et les dons qu'il recevait de lui, et tout ce qu'il faisait pour sa gloire et pour son service. »

L'abbé Collet nous fournit encore quelques détails sur ce document, et nous fait connaître les termes dans lesquels Vincent de Paul écrivit à cette occasion à son ami De Saint-Martin. « Je vous conjure, lui disait-il, par les entrailles « de Jésus-Christ, et par toutes les graces qu'il a pleu à Dieu de vous faire, « de me faire celle de m'envoyer cette misérable lettre qui faict mention de « la Turquie.» « Dans tout le procès-verbal de béatification, ajoute Collet, il ne se trouva qu'un seul témoin qui l'eut entendu parler de sa captivité, et M. Daulier, secrétaire du roi, qui connaissait de longue main toute cette histoire, a déposé juridiquement qu'il avait à dessein mis plusieurs fois Vincent sur les voies, en lui parlant de Tunis et des chrétiens qui sont esclaves dans cette régence, sans avoir jamais pu tirer de lui une parole qui fit soupçonner que ce pays ne lui était pas inconnu. (1) ›

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Il en était ainsi pour toutes les choses qui tournaient à sa louange.

(1) Vie de saint Vincent de Paul. (Abrégé.)

Déposée par le supérieur du séminaire des Bons-Enfants dans les archives de Saint-Lazare, la lettre y demeura jusqu'en 1791, époque à laquelle elle fut recueillie par Lepelletier de Saint-Fargeau, et, après l'assassinat de ce conventionnel, par son collègue, l'illustre Carnot. J'ignore comment elle alla plus tard faire l'ornement des collections de divers amateurs d'autographes. Toujours est-il que, le 31 janvier 1854, elle figurait à la vente de celle de M. ***, avec quelques autres lettres et plusieurs plans de sermons ou discours pour les assemblées des dames de charité à l'Hôtel-Dieu, qui avaient sans doute la même provenance (1).

Donnée depuis à Mme Joseph Fillon, il y a tout lieu d'espérer qu'elle ne retournera plus dans le commerce, et qu'elle entrera tôt ou tard dans quelque dépôt public, sa véritable place.

Il me reste maintenant à dire un mot de la miniature envoyée en présent à un autre membre de la famille de Commet et du billet qui l'accompagne. Cette peinture, très-finement touchée, a été exécutée sur parchemin par un artiste nommé François Brentel. Elle représente la Fuite en Égypte. La Vierge, assise à l'ombre de grands arbres, allaite l'Enfant Jésus, tandis que saint Joseph les contemple. Plus loin, l'âne cherche sa nourriture. Dans le fond du paysage est une ville décorée de beaux édifices et bâtie au milieu d'un site sévère. Deux anges en prière, portés sur des nuages, occupent le haut de la composition. Autour règne une bordure noire et or, et, au bas, se trouve une bande pourpre sur laquelle on lit en caractères romains:

AIMEZ.DIEV.ET. VOSTRE.PROVCHAIN,

légende qui résume la doctrine du donateur. Au-dessous est la signature de l'artiste et la date 1636. L'ensemble a 0,14 de haut sur 0,10 de large.

Ce petit tableau, d'une conservation parfaite, se recommande surtout par l'extrême finesse de la touche. Il semble être la copie d'une œuvre d'un artiste de l'école des Carrache. François Brentel, son auteur, devait être français; il avait pris quelque chose de la manière des Franck.

La lettre d'envoi est conçue en ces termes :

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« Je vous envoye par l'occasion de M. Touschard, qui se rend à Acqs, le petit tableau que j'ay commandé à Monsieur Brentel faire à vostre intention. Le présent est de peu de conséquence; mais j'ay

(1) Notre lettre se trouve également annoncée à la fin du catalogue de la vente de la collection de M. A. de la Bouisse-Rochefort; Paris, Laverdet, mai 1854. Elle y est cotée 500 francs.

espérance que le tiendrez de quelque prix, venant d'une personne qui est de si longtemps le tant obligé de vostre maison. Le voyant devant vos yeux n'oublirez en vos prières

<< Le plus humble de vos serviteurs

« De Paris, ce 16 août 1636. »

« VINCENT DE PAUL.

Ces quelques lignes furent écrites au milieu des graves préoccupations que causait à Vincent de Paul l'invasion de la Picardie par les armées étrangères; mais son cœur, ouvert à tous les sentiments généreux, tant de l'ordre religieux que de l'ordre public, était assez large pour que la reconnaissance et l'amitié y trouvassent encore une place.

Avant d'en finir avec saint Vincent de Paul, je dois ajouter qu'il existe chez Mme Joseph Fillon un second recueil de neuf lettres de lui, dont trois sont autographes et les autres portent simplement sa signature. Elles ont toutes trait à l'établissement à Luçon d'une maison de missionnaires de Saint-Lazare, sous les auspices du cardinal de Richelieu, et sont adressées à Jacques de Sallo, conseiller au parlement de Paris, avec lequel il était fort lié. On y a joint les pièces originales relatives à cette création, retrouvées, en compagnie des lettres, dans les papiers de la Boucherie, commune de Grosbreuil (Vendée), ancien domaine de l'ami du vénérable fondateur, et qui est passé plus tard dans notre famille.

Napoléon-Vendée, septembre 1856.

Firmin JOUSSEMET.

Aucun des biographes de Cassard n'a donné exactement la date de sa naissance. Pour n'en citer que quelques-uns, disons que Richer, dans sa Vie du capitaine Cassard (un vol. in-18, Paris, Belin, 1785), en tête de laquelle il donne un portrait gravé pris, dit-il, sur l'original; Eyriès, dans la Biographie universelle, et notre consciencieux ami M. P. Levot, dans son excellente Biographie bretonne, ont répété, après tant d'autres, que Cassard était né en 1672. Nous avons donc pensé que l'acte ci-dessous intéresserait tous les lecteurs de la Revue. Ce grand homme, qui périt oublié en 1740 dans la prison du château de Ham, où il avait été enfermé, était ainsi apprécié dès son vivant :

Un jour que Duguay-Trouin se promenait dans la galerie de Versailles, avec quelques personnages de la cour, il aperçut dans un coin Cassard, dont l'extérieur annonçait la misère, courut à lui, l'embrassa et s'entretint longtemps avec lui. Aux courtisans étonnés il dit : « Cet homme est le plus « grand homme de mer que la France ait en ce moment; c'est Cassard. Je << donnerais toutes les actions de ma vie pour une des siennes ; avec un << seul vaisseau, il faisait plus qu'un autre avec une escadre entière. Il n'est « pas connu ici, mais il est redouté de nos ennemis; les Anglais, les Portu«gais et les Hollandais se souviendront longtemps de ses exploits. » Noble et touchant témoignage qui fait l'éloge du héros qui l'accordait et de celui qui en était l'objet. ARMAND GUÉRAUD.

<< Le vingt et sixiesme jour de septembre mil six cents soixante-neuf a esté baptisé en ceste eglise par moy vicaire soubssigné Jacques nay du vingt quatrième du présent mois fils d'honorables personnes Guille Cassard, marchand à la Fosse et Jeanne Drouard ses père et mère dmt à la Fosse de Nantes. A esté parain hon. homme Pierre Binet marchand maitre gabarrier à la Fosse et maraine hon. personne Françoyse Loger, compagne d'honorable homme Pierre Despontier, aussy marchand à la Fosse qui tous cy-dessus dénommés ont déclaré ne scauoir signer à la réserve dudit s Cassard soubssigné et ledit Pierre Binet parain a prié de signer à sa requeste hon. homme Jullien Drouard soubssigné de ladite Loger maraine et a aussy prié honorable homine Mathurin Blanchard marchand marrimeur à la Fosse aussy soubssigné. »

Le registre est signé : Drouard, Cassard, M. Blanchard et M. Marie, vicaire.

(Extrait des registres de la paroisse de St-Nicolas, fol. 76.)

L'homme de talent qui, dès sa jeunesse, est allé se fixer à Paris, finit par être oublié dans sa province, s'il n'y entretient des relations. Cependant, le lien qui nous unit au pays natal ne se brise jamais, et, tôt ou tard, il rattache celui qui s'est éloigné à ses compatriotes, alors fiers de le compter dans leurs rangs. La Bretagne peut revendiquer, à juste titre, parmi les hommes distingués de notre époque, plus d'un de ses enfants aujourd'hui presque inconnu dans son propre sein. Qui sait, par exemple, que Moreau de Jonnès, à Paris depuis un demi-siècle, membre de l'Institut, est un enfant de Saint-Malo, un ancien volontaire de 1792 aux bataillons d'Ille-et-Vilaine ? Il serait facile de citer d'autres noms; mais nous avons bâte d'arriver à notre but, rue de Vendôme 17, à l'adresse de M. Bazin.

Entrons chez lui, et là, dans un cabinet, nous sommes dans l'atelier d'un peintre. Où sont les modèles, où sont les chevalets, les peintures et les brosses? Un carré de papier, une boîte de couleurs de quelques décimètres carrés, une table, voilà tout le bagage qu'exige, pour créer ses petits chefs-d'oeuvre, l'imagination du Charlet de la miniature, comme on l'a nommé. Voulez-vous son histoire? Elle est simple et modeste comme sa personne.

Eugène-Charles Bazin, né à Rennes (Ille-et-Vilaine) le 23 brumaire, an VII (13 novembre 1798), s'adonna, tout jeune, à l'étude de la musique, et, parvenu à vaincre sur la clarinette, son instrument favori, les plus grandes difficultés, il obtint à Paris des succès mérités. Cependant, ce n'était pas là sa véritable voie : il était irrésistiblement entraîné vers le dessin. La peinture et la sculpture faisaient vibrer les cordes de son imagination, et, sans avoir reçu mêine les premiers principes, il se mit à produire avec un entrain remarquable, soit au crayon, soit au pinceau, les scènes les plus agitées. Certains amis admirèrent ces essais et l'engagèrent vivement à les présenter à l'exposition du Louvre. Tout d'abord, l'artiste repoussa cette idée; mais, pressé de nouveau, il y envoya, en 1833, un

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