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Extrait des registres du Parlement.

« Ont été vues, chambres assemblées, les lettres patentes du roy en forme d'édit, données à Nantes au mois d'août 1626, signées LOUIS, et plus bas, par le roy, POTIER, et scellées du grand sceau de cire verte à lacs de soie verte et rouge, par lesquelles Sa Majesté établit, approuve et confirme une société et compagnie de cent associés au port de Morbihan, en cette province, pour le commerce général par mer et par terre, dedans et dehors le royaume, Levant, Ponant et voyages de long cours, sous les conditions, priviléges, immunités, franchises et libertés déclarées par ledit édit, ainsi qu'il est plus à plein contenu par icelui; trois requêtes du procureur syndic des gens des trois Estats en ce pays, tendantes à avoir communication dudit édit, et d'être reçus opposants à la vérification d'icelui; ordonnance desdits gens des Estats, du 19 mai audit an, attachée auxdites requêtes; deux autres requêtes, l'une présentée par les bourgeois et habitants des villes de Nantes, Rennes et Saint-Malo, et l'autre par les bourgeois et habitants de la ville de Hennebon, à ce que ledit édit soit vu et représenté en la prochaine assemblée desdits gens des trois Estats, qui sera convoquée d'autorité de Sadite Majesté, et, jusques à ce, qu'il soit tardé de délibérer sur la vérification d'icelui; cependant recevoir leur opposition formelle contre la teneur et exécution, et leur en décerner acte; conclusions de l'avocat général du roi.

«Et sur ce délibéré, a été arrêté que ledit édit sera représenté aux gens des trois Estats de ce pays en leur prochaine assemblée, pour eux ouïs, et lesdits habitants de Nantes, Rennes, Saint-Malo et Hennebon, être ordonné ce qu'il appartiendra. Ce pendant, ledit procureur des Estats et ceux desdites communautés pourront prendre communication et copie dudit édit, par les mains du greffier.

« Fait en parlement, à Rennes, le 15 mars 1627.

« MONNERAYE. »

Après avoir dressé subrepticement toutes ces oppositions de clocher, le parlement renvoya, d'après le droit public de la province, l'édit du Morbihan aux États qui se réunirent de nouveau à Nantes, sur la fin de l'année suivante, espérant qu'ils l'enterreraient pour lui. Mais ceux-ci, trompant son attente, arrêtèrent, après en avoir délibéré :

<< 1° Que par leurs députés Sa Majesté seroit très-humblement remerciée de l'établissement désigné audit Morbihan, et suppliée qu'en continuant ses bienfaits à la Bretagne, pour y autoriser

d'autant plus le commerce, de leur donner déclaration, par laquelle unissant d'effet, comme de situation, la communauté de Morbihan aux droits de la province, il fût dit que la communauté seroit obligée d'assister à la tenue des États par ses députés, et représentée pour une des communautés de ladite province;

« 2o Que les cent associés ne pourront prétendre aucun commerce prohibitif aux autres villes et habitants de la province, soit de denrées ou de lieu, dedans ou dehors le royaume;

« 3° Que les défenses de commerce qu'il plaira faire à Sa Majesté, selon les occurrences, seront publiées et observées audit Morbihan, tout ainsi qu'aux autres ports et havres du royaume;

<< 4° Que la juridiction spirituelle demeurera à l'évêque diocésain, et la juridiction temporelle des terres concédées auxdits associés, outre l'enclos dudit Morbihan, demeurera sujette aux juges ordinaires, dont les choses relèvent; et, pour l'appel, au présidial de Vannes et parlement de Rennes, comme il est accoutumé. Et pour l'enclos des faubourgs de la ville, distrait par l'édit de la juridiction ordinaire, les juges dont ils relevoient en seront indemnisés par Sa Majesté, ou lesdits associés;

« 5o Que, lors de l'établissement, les originaires de la province seront préférés, voulant être du nombre des associés portés par l'édit, sans que néanmoins aucuns des non-originaires de ladite province en puissent être exclus, après y avoir été admis lors dudit établissement;

« 6° Et M. le cardinal de Richelieu supplié, au nom de la province, qu'ainsi qu'il a contribué ses conseils et ses soins pour ledit établissement de Morbihan, dont il sera très-humblement remercié, qu'il lui plaise faciliter l'obtention de la présente déclaration. Fait en l'assemblée des États, le 27 janvier 1628 (1). ›

DUGAST-MATIFEUX.

(La suite prochainement.)

(1) Le Mercure françois, t. XIV, p. 140-42.

DE SAINT VINCENT DE PAUL

SUR SA CAPTIVITÉ A TUNIS (1).

Il est peu de noms aussi populaires que celui de saint Vincent de Paul. Son portrait se voit partout, et ses traits vénérables, empreints d'une bienveillance si douce, sont gravés dans tous les cœurs. Les siècles n'ont point attiédi le sentiment universel de gratitude et de respect qu'éveille sa mémoire; il n'a fait, au contraire, que grandir depuis le jour de sa mort. Le secret de cette popularité fut son amour sans bornes et son dévouement pour ses semblables. Fils d'un pauvre paysan (2), élevé par le seul éclat de ses vertus jusqu'aux conseils des rois, sans que sa modestie en souffrît la moindre atteinte, la règle de sa vie entière se résume en ce seul mot: charité; et cette charité miséricordieuse lui servit de guide dans le milieu de luttes politiques et religieuses où il se trouva jeté. S'il ne fut pas sans broncher sur la route épineuse qu'il eut à suivre, s'il lui arriva de subir l'influence des idées du temps, ce fut avec une bonne foi entière, qui l'absoudra toujours aux yeux de l'avenir. Quant à la solution du grand problème de l'assistance publique qu'il tenta, tout en étant un progrès réel, elle ne s'éleva guère, si ce n'est pour les enfants trouvés, au-dessus de ce qui se pratiquait avant lui. Mais cet essai n'en est pas moins digne de la plus profonde estime, et la postérité, autrement juste que certains critiques, lui tiendra surtout compte de sa bonne volonté et des difficultés qu'il eut à surmonter.

(1) Les documents publiés dans cet article sortent du cercle ordinaire de cette Revue; mais nous avons cru que nos lecteurs nous sauraient gré de faire une exception, pour leur fournir des détails inédits complets sur un épisode intéressant de la vie de l'un des hommes que la France se glorifie le plus de compter parmi ses enfants. Les originaux étant, du reste, en la possession d'une personne de la Vendée, leur publication dans notre recueil est toute naturelle. ARMAND GUÉRAUD.

(2) Il naquit à Pouy, dans le diocèse de Dax, le 24 avril 1576, et fut d'abord berger. Sa mort arriva le 27 septembre 1660. Béatifié par Benoît XIII, le 13 août 1729, Clément XII le canonisa le 16 juin 1737.

Tout ce qui rappelle saint Vincent de Paul a donc une valeur exceptionnelle et mérite d'être recueilli avec soin. C'est ce qui m'engage à publier une de ses plus précieuses lettres, adressée à M. de Commet, avocat à Dax, pour lui annoncer sa délivrance de l'esclavage de Tunis. Cette lettre, bien connue de tous les biographes, par les extrails qu'en a donnés Abelly, existe en original entre les mains de ma tante, Mme Joseph Fillon, de Fontenay-Vendée. Elle est reliée dans un curieux album où se trouve également un autre billet écrit à un membre de la même famille, en lui envoyant une miniature qui se voit au feuillet précédent du volume. Voici ce beau document, qui ne comprend pas moins de trois pages in-4° d'une écriture très-fine.

<< Monsieur,

« L'on auroyt jugé, il y a deux ans, à voir l'aparence des favorables progrez de mes affaires, que la fortune ne s'estudioyt, contre mon mérite, qu'à me rendre plus envié qu'inimité; mais, hélas! ce n'estoyt que pour présenter en moy sa vicissitude et inconstance, convertissant sa grace en disgrace et son heur en malheur.

« Vous avez peu sçavoir, Monsieur, comme trop adverty de mes affaires, comme je trouvis, à mon retour de Bourdeaux, un testament faict à ma faveur par une bonne fame vieille de Tholose; le bien de laquelle concistoyt en quelques meubles et quelques terres, que la chambre my-partie de Castres luy avoyt adjugé pour trois à quatre cens escus qu'un méchand mauvais garnement luy devoyt. Pour retirer partie duquel, je m'acheminis sur le lieu, pour vendre le bien, comme conceillé de mes meilleurs amis et de la nécessité que j'avais d'argent pour satisfaire aux debtes que j'avais faict, et grande dépense que j'apercevois qu'il me convenoyt faire à la poursuite de l'affaire que ma témérité ne me permet de nommer. Estant sur le lieu, je trouvis que le galand avoyt quité son pays, pour une prinse de corps que la bonne fame avoyt contre luy pour les mesme debtes, et feus adverty comme il faisoyt bien ses affaires à Marceille, et qu'il y avoyt de beaux moyens. Surquoy mon procureur conclud, comme aussy à la vérité la nature des affaires le requeroyt, qu'il me faloyt acheminer à Marceille, estimant que, l'ayant prisonnier, j'en pourrois avoir deux ou trois cens escus. N'ayant point d'argent pour expédier cela, je vendis le cheval que j'avois prins de louage à Tholose, estimant le payer au retour, que l'infortune fist estre aussi retardé que mon deshonneur est grand pour avoir laissé mes affaires si embrouillez; ce que je n'aurois faict si Dieu m'eust donné aussi

beureux succez en mon entreprinse que l'apparence me le promectoyt. Je partis donc sur cest advis, atrapis mon homme à Marceille, le fis emprisonner et m'acordis à trois cens escuz qu'il me bailla

content.

« Estant sur le poinct de partir par terre, je fus persuadé par un gentilhomme avec qui j'estois logé de m'embarquer avec luy jusques à Narbonne, veu la faveur du temps qui estoit ; ce que je fis pour plustôt y estre et pour espargner, ou, pour mieux dire, pour n'y jamais estre et tout perdre. Le vent nous feust aussi favorable qu'il faloyt pour nous rendre ce jour à Narbonne, qui estoyt faire cinquante lieues, si Dieu n'eust permis que trois brigantins turcqs, qui costoyoient le goulfe de Léon pour atraper les barques qui venoyent de Beaucaire, où il y avoyt foire que l'on estime estre des plus belles de la chrestienté, ne nous eussent donnez la charge et ataquez si vivement que, deux ou trois des nostres estant tuez et le reste blessés, et mesmes moy, qui eus un coup de flèche qui me servira d'horloge tout le reste de ma vie, n'eussions été contrainctz de nous rendre à ces félons et pires que tigres. Les premiers effects de la rage desquelz furent de hacher nostre pilote en cent mile pièces, pour avoir perdeu un des principalz des leurs, outre quatre ou cinq forsatz que les nostres leur tuèrent. Ce faict, nous enchainèrent, après nous avoir grossièrement pensez, poursuivirent leur poincte, faisant mille voleries, donnant néanmoingt liberté à ceux qui se rendoyent sans combattre, après les avoir volez, et, enfin, chargez de marchandise, au bout de sept ou huict jours, prindrent la route de Barbarie, tanière et spélongue de voleurs sans adveu du Grand Turcq, où estant arrivez, ils nous exposèrent en vente, avec procèsverbal de notre capture, qu'ilz disoyent avoir esté faicte dans un navire espagnol, parceque, sans ce mensonge, nous aurions esté délivrez par le consul que le Roy tient de là pour rendre libre le commerce aux François. Leur procédeure à nostre vente feust qu'après qu'ils nous eurent despouillez tout nudz, ils nous baillèrent à chascun une paire de brayes, un hocqueton de lin, avec une boucle, nous promenèrent par la ville de Thunis, où ils estoyent veneuz pour nous vendre. Nous ayant faict faire cincq ou six tours par la ville la chaine au col, il nous ramenèrent au bateau, affin que les marchands vinssent voir qui pouvoyt manger et qui non, pour monstrer que nos playes n'estoyent point mortelles. Ce fait, nous rame

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