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E ne fais point de dou-
te que l'on ne s'eftonne
de ma hardieffe, d'a-
voir ofé entreprendre
de traduire Plutarque,

que

aprés Amiot; & je çay bien quelques raifons que j'en rende, je ne contenteray pas tout le monde. Ce n'est pas que beaucoup de perfonnes n'ayent entendu dire qu'il y a une infinité de fautes dans ce Traducteur, & n'en croyent encore plus qu'il n'y en a; mais c'est que Ja reputation eft fi bien établie, que l'on regarde tousjours fon Ouvrage de la mefme maniere que confidere les chofes les plus réverées. C'est pourquoy il y a eu quelque temerité à moy, je l'avoue, d'ofer entreprendre d'encherir fur un chef

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d'œuvre, & encore plus de me hazarder, aprés cinq ou fix des plus Illuftres de ce fiecle, qui ont abandonné le deffein qu'ils avoient fait d'une nouvelle traduction. L'ori

ginal difficile, obfeur & plein de fautes, m'en devoit effectivement rebuter, & l'eftime où est & où fera, avec justice, fa premiere traduction me devoit donner mauvaife opinion de la mienne : Mais confiderant que je ne pouvois m'exercer fur un Autheur où il y ait plus à profiter que celuy-là. Et voyant que noftre langue estoit fi fort changée depuis un demy fiecle, je me fuis imaginé, qu'un ftyle nouveau donneroit quelques graces à Plutarque, que la premiere traduction n'avoit plus. Ce n'est pas pour parler fincerement de fon premier Traducteur, qu'il ne merite

d'eftre

d'eftre mis au deffus de tous ceux qui ont écrit devant les Malherbes, les Coëffeteaux, & les Balzacs. Certes, dans le deffein qu'il a de fuivre fervilement, & de glozer prefque fon original ; il eft incomparable d'avoir confervé une fi grande uniformité de ftyle, il a beaucoup de jugement & d'industrie, & l'on doit louer fon adreffe, quand il faut fortir d'un mauvais pas. Il palle en effet de bien loin les premiers, &les derniers traducteurs Latins du mefme Autheur: je ne parle point des Italiens, ny des Efpagnols, qui ont fuivy la traduction Latine, & encore moins de l'Anglois, qui a tra duit la traduction Françoife. J'avoue que fans fes vers les vieux mots (dont pourtant il feroit injuste de le blâmer) fes periodes un peu longues & obfcures, & qui ne font par

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là que trop femblables à leur origi nal, on ne luy fçauroit rien reprocher. Cependant tout cela enfemble a dégoufté les Lecteurs, & parmy les gens de Cour, nous n'en voyons gueres qui n'ayment mieux lire des Romans, dont le profit eft de perdre a greablement quelques heures, que de s'occuper utilement à lire les vies des plus Grands Hommes du Monde, en ce vieux langage, Aurefte je pourrois en quelque façon me promettre, que la nouvelle maniere de traduire. j'entens celle qui n'eft ny trop licen cieufe, ny trop fervile, me donner a quelque avantage fur celuy qui m'a precedé. Car bien que je ne pretende pas que mon style foit aufi longtemps bon que le fien, je pourray au moins me vanter que mes mots ne choqueront point les oreilles, & que mes periodes, par leur longueur, ne

met

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