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puissance d'être ; il n'est progressif et perfectible que par la société.

« L'homme est destiné à lutter contre les forces de la nature, à les dompter, à les vaincre; si, durant cette lutte pénible, il veut prendre quelque repos, c'est lui qui est dompté, qui est vaincu; il cesse, en quelque sorte, d'être une créature intelligente et morale.

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Cette lutte contre les forces de la nature est une épreuve et un emblème; le véritable combat, le combat définitif, est une lutte morale.

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« Enfin, la Providence de Dieu, qui n'a jamais cessé de veiller sur les destinées humaines, a voulu qu'elles fussent une suite d'initiations mystérieuses et pénibles pour qu'elles fussent méritoires comme foi et comme labeur.

<< Telles sont les principes dont je désire établir la convic"tion intime, affermir et fortifier le sentiment profond. En un mot, le haut domaine de la Providence sur les affaires humaines, sans que nous cessions d'agir dans une sphère de liberté ; l'empire des lois invariables régissant éternellement aussi bien que le monde physique, le monde moral, et même le monde civil et politique; le perfectionnement successif, l'épreuve selon les temps et selon les lieux, et toujours l'expiation; l'homme se faisant lui-même, dans son activité sociale, comme dans son activité individuelle, n'est-ce point ainsi que l'on peut caractériser la religion générale du genre humain, dont les dogmes, plus ou moins formels, plus ou moins observés, reposent dans toutes les croyances?

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Sans doute il ne peut m'être donné de dévoiler le plan de la Providence, son dessein sur la grande famille humaine; car ce plan est caché dans des profondeurs inaccessibles à nos yeux, et ce dessein ne nous sera complètement révélé qu'après cette vie; mais, du moins, il me sera permis de montrer qu'il y a un plan et un dessein. Ce que nous voyons nous racontera une partie de ce que nous ne voyons pas, et toujours serons-nous autorisés à croire, de toutes nos forces religieuses les plus intimes, qu'une créature intelligente et morale ne peut être destinée à subir une fin ignoble et misérable. »

Ajoutons à cette citation un morceau que nous empruntons

au Catholique de M. d'Eckstein (No. de février 1828), et dans lequel la manière de M. Ballanche, comme écrivain, nous paraît bien caractérisée :

«L'auteur anonyme de la Palingénésie est M. Ballanche, auquel on doit un remarquable Essai sur les institutions sociales, le poëme en prose d'Antigone (Paris 1819), le Vieillard et le Jeune homme, enfin, l'Homme sans nom. Un même esprit anime toutes ces compositions : c'est un mysticisme religieux, politique et philosophique, assez varié dans ses formes.

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En lisant ses ouvrages, un air de candeur, même de pureté virginale, inconnue aux écrivains depuis saint François de Sales, et que Fénélon lui-même n'a pas toujours possédée, charme et ravit la pensée. La malignité moderne d'esprits plus sévèrement rigoureux pourrait quelquefois accuser, d'une bonhomie trop naïve, cette confiance avec laquelle il croit à la magnificence des destinées futures du genre humain, cette con-` viction avec laquelle il en trace le tableau; mais la profondeur des idées religieuses qui l'inspirent est son excuse et sa force. On serait tenté, sans cela, de le classer parmi ces philanthropes si naïfs et si tendres, que leur niaiserie est devenue proverbe. Ce jugement serait inique et faux. Les écrits de M. Ballanche laissent lire le fond même de son ame, et ressemblent à ces ondes d'un pur cristal dont la limpidité laisse apercevoir les dernières profondeurs du bassin de marbre qui les contient. Rien n'est plus touchant que ce contact intime, cette parfaite connaissance du lecteur avec l'auteur. Vous étudiez M. Ballanche, et déjà vous êtes à lui. Un attrait invisible, une séduction insensible vous enlacent, quand vous croyez le soumettre à votre critique. Telle la magie puissante de la beauté d'une femme, du parfum d'une fleur, le sourire angélique d'un enfant. La raison, droit imprescriptible de la nature humaine, fait entendre sa voix; elle gronde, mais doucement: elle craint d'effrayer par un accent trop mâle une ame si tendre. A moitié désarmée par la pureté de la pensée de l'écrivain, et cherchant à se défendre contre ses séductions, elle est prête à inscrire ces mots sur le frontispice de l'ouvrage nouveau de M. Ballanche : Livre des erreurs et de la vérité.

« De la profondeur alliée à de la grâce, un style pur et

onduleux, semblable à l'onde sinueuse dont le doux murmure baigne la racine des fleurs; des vues souvent d'une grande portée, surtout un défaut de vigueur moins dans la forme que dans le fond de la pensée, tels sont les avantages et les défauts de ses écrits. Jamais il ne plane sur son sujet, jamais il ne pénètre dans ses plus intimes profondeurs ; il se l'identifie, et, dans son transport plein d'ardeur, il s'égare dans sa propre pensée, pour se relever ensuite riche d'idées généreuses et hautes. »

SAINT-MARTIN.

(PHILOSOPHE Inconnu.)

NÉ EN 1743, ET MORT EN 1803.

Voici un nom que nous avions omis dans notre première edition; nous croyons aujourd'hui devoir le rétablir, afin de rendre plus complet l'examen auquel nous nous livrons. Il est au reste difficile en parlant de Saint-Martin de le rattacher avec analogie à l'une ou l'autre des écoles dont il est question dans cet Essai: c'est à peine un philosophe, ce n'est surtout pas un philosophe d'une école ou même d'une secte; il y a quelque chose en lui de singulier, de retiré, de bizarre, qui l'isole, et le sépare de tous; s'il appartient à quelque centre c'est plutôt à une initiation, à une société secrète de métaphysique, qu'à une philosophie publique. Rien de moins patent, rien de moins avoué que le système dont on peut suivre de loin en loin la trace cachée dans ses ouvrages. Néanmoins quand à travers le mysticisme, et le secret volontaire dont il enveloppe sa pensée, on parvient à la saisir et à la réduire en abstraction, on reconnaît que la doctrine dont elle paraît s'éloigner le moins est celle de l'école théologique. Voilà pourquoi nous le plaçons à la suite des écrivains que nous classons dans cette école. Il n'est pas un d'entre eux : ce n'est ni un catholique, ni même précisément un chrétien, dans le sens vulgaire du mot, mais il a des dogmes communs avec les chrétiens et les catholiques. Peut-être que si l'on remontait loin dans le passé, ét qu'on recherchât dans toute sa suite la tradition d'idées dont il est l'interprète, on trouverait qu'il se rat

tache à une de ces religions philosophiques qui, préparées et venues en même temps que le christianisme, sans se confondre avec lui, eurent pourtant de son esprit, et en ont retenu, jusqu'à nos jours, quelques traits et quelques principes. Peutêtre arriverait-on au gnoticisme, ou à quelque doctrine du même genre, dont l'histoire montrerait la transmission et la perpétuité. Quoi qu'il en soit, Saint-Martin n'a certainement nulle part ailleurs une place plus convenable qu'à côté des théologiens (1).

(1) Voici comment M. de Maistre s'explique sur les Illuminés en général, et sur Saint-Martin en particulier; il peut être curieux de voir ce qu'il en pense. << En premier lieu, je ne dis pas que tout illuminé soit franc-maçon ; je dis seulement que ceux que j'ai connus, en France surtout, l'étaient; leur dogme fondamental est que le christianisme, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'est qu'une véritable loge-bleue faite pour le vulgaire ; mais qu'il dépend de l'homme de désir de s'élever de grade en grade jusqu'aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers chrétiens, qui étaient de véritables initiés. C'est ce que certains Allemands ont appelé le christianisme transcendental. Cette doctrine est un mélange de platonisme, d'origénianisme, et de philosophie hermétique sur une base chrétienne.

<< Les connaissances surnaturelles sont le grand but de leurs travaux et de leurs espérances; ils ne doutent point qu'il ne soit possible à l'homme de se mettre en communication avec le monde spirituel, d'avoir un commerce avec les esprits, et de découvrir ainsi les plus rares mystères.

<< Leur coutume invariable est de donner des noms extraordinaires aux choses les plus connues sous des noms consacrés: ainsi, un homme pour eux est un mineur, et sa naissance, une émancipation. Le péché originel s'appelle le crime primitif; les actes de la puissance divine ou de ses agens dans l'univers s'appellent des bénédictions, et les peines infligées aux coupables, des patimens, Souvent je les ai tenus en pátiment lorsqu'il m'arrivait de leur soutenir que tout ce qu'ils disaient de vrai n'était que le catéchisme couvert de mots étranges.

« J'ai eu l'occasion de me convaincre, il y a plus de trente ans, dans une grande ville de France, qu'une certaine classe de ces illuminés avait des grades supérieurs inconnus aux initiés admis à leurs assemblées ordinaires, qu'ils avaient même un culte et des prêtres qu'ils nommaient du nom hébreu Cohen. « Ce n'est pas, au reste, qu'il ne puisse y avoir et qu'il n'y ait réellement, dans leurs ouvrages, des choses vraies, raisonnables et touchantes, mais qui sont trop rachetées par ce qu'ils y ont mêlé de faux et de dangereux, surtout à cause de leur aversion pour toute autorité et hiérarchie sacerdotales. Ce caractère est général parmi eux: jamais je n'y ai rencontré d'exception parfaite parmi les nombreux adeptes que j'ai connus.

Le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes modernes, Saint-Martin, dont les ouvrages furent le code des hommes dont je parle, participait cependant à ce caractère général. Il est mort sans avoir voulu recevoir

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