Page images
PDF
EPUB

tions générales, prétendus principes qui ne paraissent féconds que parce qu'ils sont vagues, et ne s'appliquent à tout que parce qu'ils ne s'appliquent en effet à rien ; l'autre sur la vérité de la proposition même dont l'auteur fait son premier axiome; car, qu'est-ce que le moyen interposé entre la cause et l'effet? Est-ce un premier effet qui en produit un second? Mais alors c'est un véritable effet par rapport à sa cause, et une véritable cause par rapport à son effet. Est-ce seulement l'action de la première cause sur l'effet qu'elle produit, et pour ainsi dire, le point de contact de l'une et de l'autre? Mais cette action de la cause n'est que la cause considérée comme agissant: car, si on la considère en elle-même d'une manière absolue, elle n'est plus cause; elle ne l'est que par son action, que dans son rapport avec l'effet qu'elle produit, et, par conséquent, elle emporte l'idée de moyen, dont M. de Bonald fait un terme séparé. Mais laissons cette discussion, et, comme on disait dans l'école, accordant à notre adversaire ses demandes, voyons quel parti il en tirera; comment de ces sources il fera découler la légitimité d'un pouvoir et d'une soumission également sans limites; et comment, entre ces deux extrémités de la domination et de l'esclavage, il placera, comme moyen, ce corps intermédiaire qui doit se prosterner devant l'une, et fouler l'autre aux pieds.

« La cause, le moyen, l'effet, sont des paroles magiques avec lesquelles l'auteur métamorphose tout pour réduire tout à l'identité dont il a besoin; c'est un vrai talisman sous lequel chaque être vient prendre successivement la forme nécessaire à son système. On voit passer au premier rang Dieu, le médiateur, et l'homme; puis, dans la famille, le mari, la femme et les enfans; puis enfin, dans l'état, le pouvoir, le ministre et le sujet.

<< Tous ces différens termes se correspondent un à un, suivant le rang qu'ils occupent dans la grande, dans l'universelle catégorie; et, grâce à leur propriété commune de cause, de moyen et d'effet, ils donnent lieu aux plus belles et plus fécondes proportions algébriques : ainsi, ce que Dieu est dans l'ordre général des êtres, le mari l'est dans la famille, et le pouvoir dans l'État; les enfans et la femme, dans la société domes

[ocr errors]

tique, correspondent au sujet et au ministre dans la société politique, comme le sujet et le ministre correspondent euxmêmes à l'homme et au médiateur : cela établi, vous pouvez, suivant ce qui se pratique en algèbre, changer les termes d'une proportion à l'autre, sans changer les rapports, et dire, par exemple, que le père est le roi de la famille; Dieu, le père du monde; le roi, le dieu de l'État : ainsi les sujets sont tes enfans du pouvoir; et les enfans, les sujets du père; ainsi la femme est le ministre du mari, et le ministre.... La langue se refuse en cet endroit à ce que demanderait l'exactitude de l'équation. Que serait-ce donc si j'allais faire remonter le rapport jusqu'au médiateur? Parmi les nombreux avantages de sa méthode l'auteur n'en a-t-il jamais senti les inconvéniens? Mais poursuivons notre tâche, et descendons à des applications plus particulières. Dieu est absolu dans l'univers; rien ne borne sa puissance, ni ne peut lui demander compte de ses actions. Le père et le pouvoir seront absolus dans la famille et dans l'État, et toutes leurs volontés indépendantes, et, comme dirait la langue anglaise, incontrôlables. Il y a entre Dieu et l'homme un médiateur qui participe de la nature divine et de la nature humaine; il y aura entre le pouvoir et le sujet un pareil médiateur, sujet par rapport au pouvoir, et pouvoir par rapport au sujet; et ce médiateur sera le corps de la noblesse de même il y aura aussi dans la famille un être intermédiaire entre le père et les enfans, dans une soumission d'enfant à l'égard du père, et avec une autorité de père à l'égard des enfans; et cet autre médiateur sera la femme; et tout cela sera ainsi parce que la cause, le moyen, l'effet, embrassent l'ordre universel des êtres et de leurs rapports, et que la cause est au moyen comme le moyen à l'effet, et que Dieu, le pouvoir et le père sont des causes; le médiateur, le ministre et la femme, des moyens; l'homme (en général), le sujet, et les enfans, des effets. Et s'il se rencontre quelqu'un d'assez hardi pour révoquer en doute ces incontestables vérités, il commettra une impiété manifeste, et sera déclaré anathème, parce qu'il est évident que ces propositions sont faites avec des mots, et que les mots, n'étant pas de l'homme, mais de Dieu, qui nous les a donnés, et avec eux nos pensées comme

:

une liqueur dans le vase qui la renferme, méritent toute la confiance, et ont toute l'autorité d'une révélation positive et perpétuellement subsistante dans les langues humaines. En vérité, je commence à m'effrayer moi-même de ces sublimes équivoques, et je regrette presque celles que j'ai traitées si sévèrement dans les premières pages de cet extrait. Celles la du moins n'étaient pas aussi déplacées, et se donnaient à peu près pour ce qu'elles étaient. Comment un écrivain qui s'est montré partisan si déclaré de l'immutabilité des conditions. a-til pu se résoudre à tirer l'obscur calembourg de sa bassesse et de sa roture naturelle, pour lui donner place dans des sujets du rang le plus élevé et de la plus haute noblesse ?

((

« Sortons enfin de ces nuages éblouissans, et reposons-nous dans un langage plus simple et plus clair. Toutes nos idées et tous les objets de la nature se ressemblent plus ou moins par quelques côtés, et chacun de ces côtés est désigné par un nom particulier. Mais ce nom ne s'étend pas au-delà du rapport qu'il exprime, et il n'est pas en son pouvoir de rendre identiques des choses qui n'ont qu'un seul trait de ressemblance. De ce qu'un même terme peut s'appliquer à deux ou plusieurs idées, vous ne pouvez rien conclure que dans l'ordre d'idées auxquelles ce terme est relatif: hors de cette limite, toute induction est abus de mots et fausseté de pensée. Que Dieu et le pouvoir, considérés comme produisant quelque effet, soient désignés l'un et l'autre par le même nom de cause, il n'y a rien à dire; mais l'analogie s'arrête là, ou du moins aux conséquences directes qu'on peut tirer de leur qualité de causes. Que la rédemption de l'homme coupable se soit faite par le moyen du fils de Dieu; que le chef d'un État fasse exécuter les lois par le moyen de ses agens ou ministres; que ce soit au moyen de la femme que le mari produise les enfans (car il faut bien obéir à ce singulier langage, au risque de dire quelque sottise), je consens qu'on trouve dans ces trois choses une trèsfaible et très-vague similitude; mais partir de cette similitude pour les confondre entièrement, et leur supposer mille autres rapports dans l'univers, l'État et la famille, c'est ce qui ne peut se faire que par la plus étrange et la plus inconcevable dépravation de la langue : c'est cependant ce que fait l'auteur,

et voilà les fondemens d'un édifice où il a dépensé tant de talent.

«< Eh! ne soyons pas si sévères envers les auteurs de systè– mes, me dira-t-on, il y en a tant de faux; un de plus, un de moins, qu'importe? Oui, lorsque les conséquences de ces systèmes sont indifférentes, à la bonne heure; mais celui dont il s'agit ici place la nature humaine dans une situation abjecte. La société politique, dans les idées de M. de Bonald, me représente un troupeau où je vois un berger, des chiens et des moutons; cause, moyen et effet: le berger mange les moutons et bat les chiens (car qui peut l'en empêcher?), et les chiens se consolent en mordant les moutons. Il peut arriver, je le sais bien, que cette vengeance ne soit pas toujours du goût du berger; mais alors les chiens, battus de nouveau, n'en auront que plus de fureur contre les moutons, et les pauvres moutons finiront par être plus souvent et plus cruellement mordus. En vain l'auteur de ce système aura recours à ce premier pouvoir qu'il a placé sur la tête des puissances humaines. Si le despote est athée, quel espoir restera-t-il au peuple? Faudra-t-il donc qu'il élève au ciel les mains pour implorer une de ces grandes justices, dont il est nécessairement lui-même l'injuste instrument? Dieu aurait donc dit aux hommes, en les mettant en société : Je vous établis dans une condition qui doit vous rendre à la fois meilleurs et plus heureux; je vous donne un maître absolu qui ne devra compte qu'à moi de sa conduite envers vous; mais s'il fait votre malheur je vous rendrai coupables pour le punir. »

.........

Les principaux ouvrages de M. BONALD sont :

Législation primitive considérée dans les temps par les seules lumières de la raison, sec. édit., suivie de divers traités et de discours politiques. Paris, 1821, 3 vol. in-8°.

Mélanges littéraires, politiques et philosophiques. Paris, 1819, 2 vol. in-8o. Pensées sur divers sujets et Discours politiques. Paris, 1818, 2 vol. in-8°. Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales. Paris, 1818, 1826, 2 vol. in-8°.

M. LE BARON D'ECKSTEIN.

NÉ EN DANEMARCK VERS 1785, FIXÉ EN FRANCE DEPUIS 1815,

[ocr errors]
[ocr errors]

Ce n'est pas sans quelque embarras que nous allons parler de M. d'Eckstein. Nous ne sommes pas sûr de le bien comprendre. Il a certainement sa philosophie: car on ne fait pas ce qu'il fait, on ne publie pas de mois en mois, sur tous les sujets et dans tous les genres, des morceaux où se reproduisent sans cesse le même esprit et la même opinion, sans avoir un système, une unité d'idées, une philosophie en un mot. Mais soit qu'elle pèche par l'exposition et l'expression; soit que peut-être en ellemême elle manque de précision, et qu'à force de hardiesse elle se hasarde et tombe dans le vague; soit la nouveauté et l'étrangeté des points de vue dont elle étonne, il est certain que nous avons quelque peine à nous rendre compte des principes dont elle se compose. Ajoutons que sur beaucoup de questions, pour l'intelligence desquelles il serait nécessaire de posséder certaines connaissances historiques et philologiques, nous ne sommes pas juge compétent; il nous faudrait, pour les entendre, une érudition que nous sommes loin d'avoir. Malgré tout, cependant, nous essaierons de saisir et d'apprécier, de notre mieux, la pensée philosophique de M. d'Eckstein. Nous devons cette justice à la personne de cet écrivain : car, quoiqu'il soit étranger, et qu'à la rigueur il appartienne moins à la France qu'à l'Allemagne, comme néanmoins c'est parmi nous et dans notre langue qu'il a exposé ses idées, comme en même temps, c'est au drapeau d'une de nos écoles, celle de MM. de Maistre, de Bonald et de Lamennais, qu'il s'est rallié, nous

« PreviousContinue »