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les autres le recours à la force tel est l'ordre de la société, l'ordre de ce monde selon Dieu, tel il subsiste, abstraction faite du christianisme, tel il subsistait antérieurement à la venue du Christ.

« Nous espérons que nos paroles traduisent exactement la doctrine de M. de Lamennais; nous ne pourrions l'altérer sans manquer à notre propre foi. Quelques uns ont prétendu retrouver dans cette doctrine la souveraineté du peuple : il y ạ vraiment en ce monde des esprits spécialement destinés à ne point comprendre. Mais passons.

De cette doctrine haute et pure, que déduit M. de Lamennais? Est-ce le gouvernement libre qui en sortirait naturellement? Non, sans doute; et ici la division commence entre lui et nous. Depuis l'évangile, l'église, héritière de tout ce qu'il y avait de vrai ou de divin dans les croyances humaines, dépositaire et interprète de la loi morale et suprême, a remplacé ce souverain invisible qui avait jusque-là régné du sein d'un nuage, partout présent et invoqué, bien que sans cesse méconnu et désobéi. Or, l'église subsiste par son chef, réside dans son chef; le pouvoir de l'église ou le pouvoir spirituel, c'est le pape (voyez pour les preuves l'ouvrage même); et ainsi le pape est le représentant, l'organe de la loi des lois ; il est le souverain des souverains; il est la règle en personne, la loi incarnée, Dieu sur la terre. Ces expressions n'outrent point la pensée de M. de Lamennais; on en trouverait chez lui l'équivalent; et dans son intention comme dans sa doctrine elles ne contiennent ni exagération ni blasphème.

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L'église universelle, concentrée dans le chef de l'église romaine, a donc été substituée à cette loi universelle, une, perpétuelle, qui dominait auparavant le genre humain, à cette loi déjà catholique dans le pur sens du mot, et c'est pour cela que l'église a retenu ce nom. En conséquence, tout homme, toute secte qui se sépare d'elle, sort de la loi morale; toute église particulière qui réclame des droits hors de l'église romaine se place précisément dans la même position que ceux qui, avant le christianisme, ambitionnaient ou soutenaient un pouvoir affranchi de la loi universelle, un pouvoir illimité.

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*

«En un mot, toute Église qui se dit, en tout ou en partie, indépendante, nie la loi en tout ou en partie, puisque la loi est une, perpétuelle, universelle : c'est dire qu'elle nie Dieu en tout ou en partie, puisque Dieu est la loi même. D'où il suit que les gallicans sont tout au moins athées en politique.

« La déduction est exacte; mais les prémisses pourraient être bien fausses, nous les abandonnons aux gallicans. Laissons-leur le soin de prouver que le pape n'est pas l'Église universelle, ou que l'Église n'est pas Dieu; et tenant quelques instans pour accordé tout ce qu'affirme un peu gratuitement le hardi théologien, sommons-le de s'expliquer nettement sur les conséquences politiques qu'il en prétend inférer. Les voici telles qu'elles nous apparaissent: il voudra bien nous dire s'il les rejette ou s'il les avoue. Étant donné qué le pouvoir spirituel ou papal représente la loi universelle, comme avant lui cette loi réglait les rapports des gouvernemens et des sujets, comme elle seule fondait et limitait l'autorité des premiers et l'obéissance des seconds, comme il est de la nature de cette loi que tout ce qui se fait contre elle est nul de soi, il suit que le pouvoir spirituel ou le pape doit jouer le même rôle, occuper la même place, revêtir les mêmes attributions; que de lui seul émane la légitimité et l'illégitimité des pouvoirs politiques; il suit enfin que les rois relèvent du Saint-Siège. Oui, assurément, dira M. de Lamennais, et je crois, toute l'Église avec lui, ils en relèvent spirituellement. Soit; mais la restriction que semble exprimer ce dernier mot n'est-elle pas vaine? D'après les définitions précédentes, le nom de pouvoir spirituel ne désigne plus uniquement le pouvoir compétent en matière de dogme ou de liturgie, c'est évidemment le pouvoir qui connaît et juge de tout ce qu'il y a de spirituel dans l'homme. La loi morale à laquelle ce pouvoir a succédé, ou plutôt dont il n'est qu'une image visible, statuait sur tout autre chose encore que les questions purement théologiques. Le bien et le mal, le juste et l'injuste, et, en politique, la légitimité ou l'illégitimité des actes et des pouvoirs, voilà aussi, ce me semble, le spirituel de la société; voilà donc la matière de la juridiction du pouvoir spirituel :

or, maintenant je demande ce qui reste au temporel? Que M. de Lamennais réponde.

« Je ne lui tends point de pièges. S'il répond qu'il ne peut parler, la réponse est bonne, et je me tais avec lui; mais s'il accepte la discussion, force lui sera de marquer où s'arrête la juridiction du Saint-Siège, c'est-à-dire, du pouvoir spirituel sur le spirituel du gouvernement et de la société, en d'autres termes, sur les questions de légitimité en matière de commandement et d'obéissance. Force lui sera de nous dire si un pouvoir, juge souverain de l'action des autres pouvoirs, ne l'est pas de leur existence; et, dans le cas où il serait juge également de leur existence et de leur action, s'il n'est pas le pouvoir, souverain, par conséquent, le pouvoir unique de la société humaine. Par quel art conciliera-t-il ces inductions, qui ne nous semblent pas forcées, avec les derniers ménagemens que, dans son livre, il garde envers les pouvoirs politiques? Dira-t-il encore que le pouvoir spirituel ne dispose pas des couronnes, mais seulement prononce sur les hautes questions de droit public; que, consulté par toute la chrétienté, il déclare simplement qui a tort ou raison, quel prétendant est fondé, quel pouvoir existe ou agit légitimement, décide enfin si la loi est ou n'est pas violée, cette loi contre laquelle tout ce qui se fait est nul de soi? Mais comme le droit est la règle du fait, comme force est due à la justice, la décision est apparemment obligatoire, et alors il est vrai que le pape ne dispose pas matériellement des couronnes, c'est-à-dire qu'il n'a ni soldats ni canons pour les donner ou les reprendre, mais qu'enfin sa parole seule confère au gouvernement le droit de régner, aux sujets le devoir d'obéir. M. de Lamennais opposera-t-il à ces conséquences les mots de l'Écriture, omnis potestas à Deo? et placera-t-il sur la même ligne les pouvoirs politiques et le pouvoir spirituel? Je ne puis le penser : la contradiction serait par trop manifeste. Allèguera-t-il que le pouvoir politique statue sur d'autres matières que le pouvoir spirituel? Cela est vrai quant aux apparences; mais laquelle des volontés du pouvoir politique est dépourvue de moralité ? laquelle peut n'être ni légitime, ni illégitime? laquelle, par conséquent, échappe au contrôle du pouvoir spirituel? Dire que le pouvoir politique

est souverain dans sa sphère, comme le pouvoir spirituel dans la sienne, c'est dire que le pouvoir politique est un souverain purement matériel; c'est dire qu'il est souverain dans tout ce qui est hors de la raison et de la conscience: il n'est plus alors qu'une force brute; autant l'appeler le génie du mal. »

M. DE BONALD.

NÉ VERS 1762.

EN plaçant dans la même école MM. de Maistre, de Lamennais et de Bonald, nous n'avons pas voulu dire qu'il y eût entre eux identité expresse de principes: ce ne serait pas la vérité. Animés du même esprit, ils se proposent comme objet commun de leurs travaux la défense et la restauration des

doctrines de l'Église, mais, du reste, chacun a son point de vue et son système. Ainsi, on ne doit pas s'attendre à retrouver dans M. de Bonald les mêmes opinions que dans les deux autres : ils ont tous trois des idées qui leur sont propres, tous trois ils sont maîtres à leur manière dans l'école dont ils sont les chefs.

Quelque étude que l'on ait faite de M. de Bonald, il est douteux que l'on n'éprouve pas toujours quelque embarras à le comprendre. La faute en est, ce me semble, d'abord à son style: il écrit, on ne peut pas dire trop bien, mais avec une habileté trop visible; il y a trop d'art dans son expression: cela trompe et donne le change. On voudrait en vain, en le lisant, se borner à saisir sa pensée : on ne peut s'empêcher de regarder la phrase, cette phrase si savante et d'un mécanisme si curieux ; on se prend aux mots; on suit à la trace cette plume ingénieuse et brillante, dont on aime à ne perdre aucuns traits, et on néglige les idées; on oublie les raisonnemens; on ne lit plus en philosophe, mais en rhéteur. L'auteur lui-même ne serait-il pas la dupe de son propre artifice? et, tout occupé à écrire, ne lui arriverait-il pas aussi de laisser les choses pour les mots; de dire par plaisir, avec la seule précaution d'éviter les termes contradictoires et absurdes, de faire, en un mot, comme un peintre qui prodiguerait à l'envi les effets de son

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