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M. AzAïs se classe mal: il n'est d'aucune école. Si nous le rangeons dans le sensualisme, c'est surtout par nécessité, car nous savons que son systême n'est pas celui de la sensation. Il n'est disciple de Condillac ni comme Cabanis, ni comme M. de Tracy, ni enfin comme M. la Romiguière; il ne l'est d'aucune façon; sa doctrine est à lui. Seulement, comme, à la prendre sous son point de vue moral, elle est, en ce qui regarde l'ame, très-nettement matérialiste, nous croyons pouvoir, par cette raison, l'exposer à la suite de doctrines dont la plupart ont avec elle ce rapport commun; elle y est mieux que sous un autre titre.

Nous l'exposerons, disons-nous, mais nous ne la discuterons pas ; et notre motif n'est pas le dédain: nous respecterons toujours une pensée qui se développe avec suite et constance, avec force et étendue; c'est une lutte généreuse de l'esprit contre la vérité, de l'homme contre l'univers. Fût-elle mal conduite, malheureuse, et portât-elle à faux, encore serait-ce un travail qui, comme exercice d'intelligence, mérit rait à bon droit notre estime et nos égards. Mais dans le système de M. Azaïs il y a une partie toute physique que les physiciens doivent juger, et qu'ils ont jugée, nous le craignons; nous la laissons, faute de science, notre critique s'en tirerait mal. Et quant à la question morale, et surtout psychologique, l'auteur, nous le répétons, est si net en son opinion, qu'il dispense ses lecteurs de se mettre en frais d'examen ; ils n'ont qu'à dire oui ou non. L'ame est-elle un tout, les faits de l'ame des parties de ce tout? L'esprit est-il un corps, et les idées des corpuscules? L'intelligence a-t-elle étendue, forme,

figure, etc.? Voilà tout ce qu'on a à décider: car ce sont là les termes mêmes auxquels on peut, d'après l'auteur, ramener toute la question. Or, les choses ainsi réduites, il n'y a pas grande difficulté à arriver à une solution, du moins pour ceux qui, comme nous, s'en rapportant à la conscience, pensent que l'ame et tous ses faits ne se perçoivent pas comme la matière: le problème est alors si simple, qu'il n'y a pas à le dis· cuter; il n'y a qu'à le proposer.

Nous nous bornerons donc à un exposé des idées de M. Azaïs, et, pour plus de fidélité, nous le lui emprunterons à lui-même. Nous remarquerons seulement que ce n'est là qu'un texte, qu'une série de propositions, sans aucune démonstration, que l'auteur, dans ses écrits, et mieux encore dans ses leçons, développe avec une facilité, une fécondité d'aperçus, un art, une souplesse et une sorte de grâce philosophique, qui répandent sur ses discours le plus vif intérêt : c'est un improvisateur, avec un système auquel il croit de toute son ame.

On se rappelle, sans doute, quel succès de vogue il obtint sous l'Empire, et quels brillans auditoires se pressaient dans les salons où il donnait son enseignement: c'était, autant qu'il nous en souvient, en 1808 et 1809, et alors il se faisait en France trop peu de philosophie pour qu'on ne saisît pas avidement l'occasion qui se présentait d'entendre sur ces matières un homme qui s'annonçait avec une Explication universelle, et qui la faisait valoir avec un talent remarquable d'élocution et de discussion.

Revenons à l'exposé dont nous avons parlé : nous le prenons dans le Journal des Débats du 5 novembre 1824:

« L'univers est l'ensemble des êtres et de leurs rapports: ces êtres, ainsi que leurs rapports, changent et se renouvellent sans cesse : une action est donc nécessaire à l'existence et à la conservation de l'univers.

» La matière, substance des êtres, est le sujet passif de l'action universelle. Dieu imprime l'action, la matière obéit. >> L'action universelle a reçu du Créateur un mode unique d'exercice à cette condition seule, elle pouvait être source d'ordre en même temps que de production.

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c'est-à-dire que tout être matériel, par cela seul qu'il existe, est pénétré, dans tous les points de sa substance, d'une action intime qui tend sans cesse à le dilater, à le diviser, à augmenter indéfiniment l'espace qu'il occupe, par conséquent à le dissoudre.

>>

Ainsi, un être matériel, d'un genre quelconque, s'il pouvait un moment être seul dans l'espace, si, pendant un moment, il formait à lui seul l'univers, n'aurait besoin que de ce moment pour entrer en dissolution éternelle et absolue:

» Mais chaque être matériel, d'un genre quelconque, et occupant dans l'espace une place quelconque, est environné d'êtres matériels semblables ou différens, qui tous sont pénétrés comme lui d'une force d'expansion continue, qui répriment ainsi ou modèrent sa dissolution, en luttant contre elle; et l'expansion indéfinie de chacun de ces corps est elle-même réprimée, retardée, modérée, par l'expansion concurrente de tous les corps dont il est environné; en sorte que, généralement, dans l'univers, l'acte de répression, de conservation, est le fruit immédiat de l'expansion universelle.

Chaque corps isolé dans l'espace, chaque étoile, chaque planète est donc un foyer continu de projection expansive, qui se compose de la réunion et de la somme de toutes les projections faites par l'expansion de toutes leurs parties, mais qui, à cause de la répression environnante, se réduit à un rayonnement dont la matière, plus ou moins atténuée, émane principalement du centre de chaque corps; en sorte que chaque corps, quelles que soient sa place, ses formes, ses dimensions, ne cesse de se dissoudre par ses parties centrales, et transpire sans cesse.

» La transpiration des étoiles, ou soleils, est cette rayonnance éclatante qui les rend visibles à nos yeux. La transpiration des planètes est de même nature; mais comme toute planète, comparée à une étoile, est d'une masse très-petite, par conséquent d'une surface très-grande, les produits de son expansion intestine trouvent, pour s'écouler, des issues en très-grand nombre; ils se partagent, pour cette raison, en faisceaux beaucoup plus atténués que ceux qui passent à travers les enveloppes des étoiles; au lieu de former de la

lumière visible, ils ne forment que la lumière subtile, invisible, du calorique, du fluide magnétique, de l'électricité.

>> Comme chacun des corps particuliers qui composent une étoile ou une planète, transpire sans cesse les produits de son expansion intestine, il se donne sans cesse, et indépendamment de tout secours étranger, une température, une électricité; un magnétisme; mais il est des circonstances qui précipitent cette expansion intestine: c'est ce qui a lieu surtout pendant les actes de combustion.

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Toute étoile, toute planète, en un mot, tout globe isolé, tourne constamment sur lui-même: c'est le fruit général de l'effort qu'il fait constamment pour se dissoudre : ce mouvement de rotation donne à chaque globe deux pôles et un équateur; et il favorise, dans le sens de cet équateur, l'action expansive. Par compensation, la force répressive exerce la plus grande puissance sur les pôles de chaque globe; et, de là, elle va en décroissant jusqu'à l'équateur.

>>

Chaque globe ne cessant de faire effort pour se dissoudre, et n'en étant empêché que par la résistance des globes environnans, il est nécessaire que chaque globe soit environné d'autres globes, que, par conséquent, il n'y ait point de globes extrêmes: aussi, Pascal avait défini l'univers : centre partout, circonférence nulle part. C'était une vue de génie : si l'univers avait des limites, il ne serait, quelle que fût son étendue, qu'un point environné d'un espace vide et infini : un moment suffirait pour qu'il entrât en dissolution éternelle.

Ainsi, le Créateur remplit l'infini de l'espace, non-seulement par son action et sa présence, mais encore par son ouvrage.

Tous les globes de l'univers ne cessant de projeter, par voie de transpiration, leur substance intime, les intervalles qui les séparent sont constamment traversés par la matière de ⚫ cette transpiration universelle. Celle-ci se croise en tous sens, mais en cherchant sans cesse sa distribution uniforme, ou son équilibre: c'est ce qui fait qu'elle frappe avec une convergence uniforme tout globe isolé. De cette convergence, ou pression uniforme, résulte la pesanteur de toutes les parties de chaque globe vers son centre de masse, et la pesanteur réciproque de

tous les globes assez rapprochés les uns des autres pour troubler respectivement, sur chacun, l'équilibre de pression environnante.

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Cette même pression environnante, qui fait la pesanteur de toutes les parties de chaque globe, produit aussi dans chaque globe tous les phénomènes d'agrégation, de densité, de combinaison, de cohérence; tandis que, de son côté, l'expansion propre et essentielle à chaque globe fait en lui tous les phénomènes de dilatation, de ressort, de dispersion, de température. Ces deux ordres de phénomènes, qui comprennent tous les actes physiques et physiologiques, sont constamment en échange et en balance mutuelle dans le sein de chaque globe; ils se font toujours compensation.

» Et il est nécessaire que le volume de chaque globe, sa densité, sa température générale, et la distance qui le sépare des globes environnans, se fassent aussi compensation rigoureuse; à cette condition seule un globe peut exister : l'équilibre par compensation est la loi universelle.

» De même qu'il n'y a dans l'univers qu'un principe de mouvement, l'expansion, réglée par une seule loi, l'équilibre, il n'y a qu'un sujet du principe, l'élément : je veux dire que toute la matière est identifique. Chaque élément simple est égal de forme et de grosseur à chacun des autres; chacun des autres passe alternativement par l'état d'agrégation au sein d'un être quelconque, et par l'état d'isolement au sein de l'espace; toute la matière de l'univers change sans cesse de situation et de rôle, sans jamais être différente d'elle-même par sa situation et ses propriétés.

» Les divers états dont un même corps est susceptible sont déterminés par la diversité des rapports que suivent, à son égard, l'expansion intérieure et la répression extérieure: sur un bloc de glace, par exemple, la répression extérieure est plus énergique que l'expansion qui le sollicite à se dissoudre;" nous disons de ce corps qu'il est dans l'état solide; nous disons qu'il passe à l'état liquide lorsque son expansion intérieure et la répression extérieure sont, à son égard, d'une puissance exactement égale. L'état de vapeur commence lorsque l'expansion intérieure commence à vaincre la répression extérieure ;

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