Page images
PDF
EPUB

zarres et vains qui la mènent à la folie, ou aux travaux excessifs qui l'épuisent et la dérèglent? par la liberté qu'elle y applique. En possession de son esprit, elle n'en fait pas sans doute tout ce qui plairait à son ambition; elle n'en use que dans certains termes, et ne le gouverne que d'après certaines lois; mais malgré tout, elle le maîtrise assez pour en obtenir tous les bons effets qu'elle a intérêt de s'assurer. Il dépend d'elle jusqu'à un certain point, au moyen de bonnes méthodes, de le tirer de l'ignorance, du préjugé et de l'erreur, de le récréer par des distractions, de lui ménager des repos, de le diriger en un mot de manière à le préserver des principaux vices auxquels il est sujet. En sorte qu'elle a le moyen de former sa raison par la recherche de la vérité, et de faire servir la vérité à l'amendement de ses affections.

Plus simplement : il y a pour toute ame qui jouit de son activité et en a le libre usage certaines habitudes à prendre, certains exercices à pratiquer, que la psychologie seule peut enseigner. Le moral même ne fût-il qu'un phénomène de l'organisme, il y aurait encore de ce phénomène, à partir de son principe jusqu'à son complet développement, une science propre et spéciale, de laquelle seule se déduiraient les règles. de l'éducation et du perfectionnement moral. Fût-il aussi vrai qu'il l'est peu, que la passion, l'intelligence et la liberté sont des propriétés physiologiques, comme ces propriétés alors même auraient leur caractère particulier et leur loi à elles, il y aurait toujours, pour en bien user, à en faire une étude expresse, et cette étude au fond ne serait que de la psychologie. Seulement alors la psychologie, au lieu d'être une science distincte, serait une branche de la physiologie; ce qui n'empêcherait pas qu'elle ne dût être faite par l'unique façon dont elle peut l'être, par l'observation intime, par la conscience, ou, pour parler comme M. Broussais, par la perception intracrânienne. Dans cette hypothèse, on ne cesserait pas d'être dans l'obligation de connaître les facultés morales de l'homme, si on voulait travailler à les corriger et à les rendre meilleures; ce serait comme pour toutes les fonctions de la vie : avant d'y appliquer la pratique, il faudrait en voir la théorie, et en être le physiologiste avant d'en être le médecin; ce serait une physio

logie et une médecine à part, ce serait réellement de la psychologie et de la morale. Que si nous nous replaçons dans le vrai, il est encore plus évident que l'ame, pour se bien conduire, a besoin de se bien connaître, et que le Nosce te ipsum est l'expression comme le principe de toute philosophie et de toute sagesse.

Ainsi les études morales, loin de mettre obstacle à rien, loin de rien retarder, éclaircissent des questions qu'elles seules peuvent éclaircir, et ces questions sont autrement graves que celles des sciences physiques et naturelles; car il s'y agit de ce qu'il y a en nous de plus élevé et de plus divin: il s'agit de nos affections, de nos idées et de nos volontés, il s'agit de la vraie vie, du but qu'elle doit atteindre, et des pratiques qu'elle impose. Cela vaut bien la peine qu'on y regarde.

LE DOCTEUR GALL.

NÉ EN 1758, ET MORT EN 1828,

M. GALL a certainement sa place parmi les philosophes de notre époque; mais où faut-il la lui donner? ce n'est ni dans l'école théologique, avec laquelle il n'a point de rapport, ni avec l'école éclectique, dont il diffère par tant de points. Pour la commodité de la classification, plus que par une complète analogie, nous le rattacherons de préférence à la doctrine sensualiste: il y tient en effet par un principe fondamental, par le principe que toutes les facultés dérivent de l'organisme; mais, si c'est là une raison pour le ranger à côté des philosophes sensualistes, il importe de remarquer que, passé ce principe, il n'a plus leur système, il a le sien; il a son opinion sur la physiologie et la psychologie. Il pense avec eux que le cerveau est l'agent producteur de toutes nos facultés; mais au lieu de le regarder comme un organe unique, comme uniques et d'un seul genre les facultés qu'il lui attribue, il conçoit dans le sujet et dans les qualités, dans la cause et dans l'effet, pluralité, spécialité, divisions et distinctions; en sorte qu'il ne partage ni l'hypothèse du centre cérébral, ni celle de l'unité des facultés ; il a même point de départ que les matérialistes, mais il ne fait pas même chemin.

Nous ne prétendons pas entrer dans la discussion de la théorie physiologique particulière à M. Gall; nous ne pourrions le faire avec avantage, faute de connaître les matières comme elles demandent à être connues. Nous l'admettrons simplement, déterminé à y croire par les raisons que donne l'auteur et par l'autorité des hommes de l'art. Il n'y a qu'une réserve à mettre à une telle adhésion: c'est que, comme nous le montrerons et comme nous l'avons déjà montré, i il n'est pas

vrai que le cerveau, par là même qu'il est matière, et surtout s'il est matière à organes multiples, puisse être la cause et le principe des facultés de l'ame. Il en est, si l'on veut, la condition, le siège; l'ame y tient, elle vit, elle y exerce son activité; modifiée et comme définie par les dispositions qu'elle y trouve, elle y prend nécessairement certaines habitudes et certains penchans; mais elle n'en naît pas, n'en vient pas ; elle y vient plutôt, avec son énergie, şa vie, son mouvement propre et naturel.

A cette idée près, qui n'est pas celle de M. Gall, nous admettons dans le cerveau sa pluralité d'organes; et pour ne pas contester, nous prenons sa liste sans contrôle. Il en compte un certain nombre, nous comptons le même nombre: c'est pour nous sans conséquence; notre question n'est pas là: elle est psychologique, et non anatomique; elle tombe sous la conscience, et non sous le scalpel.

Or, voici la psychologie que l'auteur joint à son système : outre les organes ordinaires auxquels on attribue communément le sentiment et la perception, il en est d'autres plus ignorés, qui, cachés à l'intérieur et distribués dans le cerveau, ont également ces propriétés; ils sentent et perçoivent tout aussi bien que l'œil, l'ouïe ou le toucher; ce sont d'autres organes, et voilà tout. Il ne leur manque rien de ce qui fait les sens; et de même que l'oeil, l'ouïe et le toucher ont chacun leur manière propre de percevoir et de sentir, chacun leurs facultés (1), de même eux, ils ont aussi leurs modes d'exercice et leurs facultés. Il y a autant de facultés que d'organes; si l'on en compte un certain nombre, c'est que le cerveau renferme en lui un nombre égal d'appareils. L'homme n'en a tant que parce que, chez lui, la tête comprend dans son volume plus de capacités différentes que celle d'aucune espèce; elle est la tête par excellence : c'est pourquoi elle a les facultés par excellence. A-t-elle toutes celles qu'on lui suppose? n'en a-t-elle pas qu'on pourrait réduire? celles qu'elle a ne seraient-elles pas susceptibles d'une classification plus exacte? c'est ce qui

(1) Par facultés, M. Gall entend ces dispositions, ces penchans naturels et primitifs que détermine en nous l'organisation: nous avons pris le mot dans le même sens,

importe assez peu. L'essentiel est qu'en général on reconnaisse des facultés qui soient distinctes entre elles, comme les organes cérébraux auxquels elles correspondent. Or, on ne saurait le mettre en doute, et l'observation psychologique le vérifie à chaque instant, il n'y a pas d'individu qui n'ait ses goûts et ses penchans, son talent et son caractère, ses facultés en un mot. Rien de plus sûr; et il ne l'est pas moins qu'il les a naturellement, si l'on veut même physiquement, du moins en pre⚫nant la chose comme nous l'avons expliquée plus haut. Il y a donc de la vérité dans cette vue de M. Gall; il peut y en avoir plus ou moins, selon les cas et les applications; mais, dans la généralité, il y en a certainement, et cette vue a ses conséquences. Puisque toutes ces facultés sont des modifications par ticulières que reçoivent les organes (1), le sentiment et la perception sont le fonds commun des facultés; toutes se composent à la fois d'affection et de connaissance, de passion et de pensée, d'amour de soi et d'intelligence. Elles ont donc toutes pour élémens l'émotion et l'idée ; c'est-à-dire que d'une part elles sont susceptibles de joie et de douleur, d'amour et de haine, de désir et de répugnance, et que de l'autre elles sont capables de voir, de revoir, de prévoir et d'imaginer, d'exercer, en un mot, tous les actes de la pensée: ainsi, par exemple, l'amour paternel a ses peines et ses plaisirs, ses idées et ses fantaisies. Il en est de même de l'ambition, de la ruse, de la rapacité, de la pugnacité, de l'aptitude à la musique ou aux mathématiques; toutes ont leur intelligence et en même temps leur passion. C'est comme les sens proprement dits: ils peuvent tous avoir toutes les nuances de l'affection et de la pensée : en sorte que la sensibilité et la connaissance ne sont pas dans notre constitution des attributs distincts, des facultés spéciales, mais des propriétés communes aux diverses facultés ; et qu'il ne faut pas leur chercher, comme l'ont fait quelques philosophes, des sièges ou des organes; elles n'en ont pas, ou les ont tous, elles se reproduisent dans tous, elles n'en affectent aucun en particulier. La mémoire, par exemple, n'a pas son lieu "comme la musique; elle est partout où se développe quelque

(1) Auxquels, par hypothèse, on prête le sentiment et la perception.

« PreviousContinue »