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Il m'a paru qu'il existoit un art de per fectionner l'homme (1), une médecine par rapport à l'ame, comme une autre par rapport au corps. S'il est vrai de dire que ni les études, ni les maîtres, ni les livres n'ouvrent par eux seuls l'esprit et les facul tés morales, quand la nature s'y oppose; il n'est pas moins certain que celle-ci, bien préparée, tient quelquefois lieu de tout le reste, jusqu'à créer par ses propres forces, les hommes les plus distingués, et allumer en eux le flambeau du génie.

Comme avant de se présenter au combat, l'on aiguise, l'on fourbit ses armes, et l'on en essaie la trempe, de même il faut étudier les moyens et les ressources qui sont en nous, pour vaincre dans le combat de la vie. Le précepte de se connoître fut attribué à un Dieu, tant il est nécessaire aux hommes, et le peu→ ple le plus ingénieux de la terre l'inscrivit au frontispice de son principal temple. S'il

(1) C'est ce que Bacon nommoit les Géorgiques de l'ame.

est quelque moyen d'atteindre cette divine élévation de génie à laquelle les anciens sont parvenus, c'est de prendre la même route qu'ils ont suivie. Quelqu'oeuvre qu'on entreprenne, comme on desire d'y réussir, celui-là y fera des progrès d'autant plus éclatans, sans comparaison, qu'il saura mieux disposer son esprit et son corps pour les fonctions qu'elle exige.

L'homme est ainsi l'étude propre de l'homme. Cette science nous montre ce que nous sommes et ce que nous pouvons être par nous-mêmes, qu'elles sont nos forces, nos dispositions, nos qualités bonnes ou mauvaises, et les relations entre l'ame et le corps. Elle enseigne comment il faut s'y prendre pour développer nos facultés intellectuelles et morales, pour remédier à nos défauts; elle forme notre caractère et nous inspire la force d'ame ou la vertu, sans laquelle l'esprit ne produit rien de grand, rien de solide. Aussi nous voyons les meilleurs esprits portés naturellement à se rendre plus parfaits et plus habiles.

Il n'est pas seulement agréable de savoir par quel art on augmente la vivacité, la pénétration, la capacité de son esprit, on échauffe ou refroidit, selon le besoin, son imagination, on fortifie sa mémoire, on excite ou calme les passions dans soi et dans les autres; il est encore nécessaire de reconnoître les caractères des hommes, soit pour s'unir aux bons, soit pour se garantir des méchans. A mesure que la société se police, les hommes composent davantage leur extérieur : il est plus difficile et par-là plus important de les pénétrer. S'il faut attendre cette instruction seulement du temps et de l'expérience, nous ne serons jamais habiles qu'à nos dépens. De plus, les dérangemens d'esprit, les divers genres de folie, le délire, l'ivresse, l'imbécillité et plusieurs dépravations morales, nous touchent plus directement que les autres maladies, parce qu'elles changent l'état de l'ame par le corps. Leurs causes et les moyens de les guérir nous éclairent sur la manière de gouverner nos facultés.

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La morale perd souvent de son utilité par ses formes. On nous la représente comme

un pédant qui, le reproche à la bouche, prêche sans cesse la raison ; il semble qu'elle s'ingère dans nos actions et nous régente en écoliers. L'amour-propre est sensible à la moindre piqûre. Sénèque n'a point adouci Néron par ses doctes préceptes sur la clémence; mais s'il avoit pu mitiger par des habitudes de douceur, par la nourriture et les autres moyens de l'hygiène, les penchans féroces de ce jeune prince, il les auroit domptés bien plus sûrement. Quoique très- utile en elle-même, une réprimande n'évacuera pas la bile qui tourmente le colérique; le timide chassera plus facilement encore ses frayeurs, un jour de bataille, par des alimens toniques et des boissons fortifiantes que par des exhortations, bien qu'elles ne soient nullement à négliger. Lorsque le philosophe Carnéade vouloit avoir plus de netteté dans l'esprit, il ne se contentoit pas de l'exercer, il prenoit de l'hellébore. S'il n'est pas donné d'atteindre à la force de Milon de Crotone,

il n'est pourtant pas inutile de diminuer sa foiblesse par des exercices. Si nous ne pouvons pas refondre entièrement notre caractère essentiel et nous rendre parfaits, cependant l'homme idiot deviendra plus capable d'intelligence et de prudence, le dépravé pourra réformer ses vicieuses habitudes, le fou reprendra sa raison bien plus heureusement, à l'aide de la médecine appropriée à leur tempérament, que par les seules maximes de la plus sublime sagesse.

L'Église n'a pas dédaigné elle-même les pratiques d'hygiène avec celles de la religion, soit pour tempérer la barbarie des mœurs, soit afin de mieux disposer les hommes à la vie spirituelle et civilisée. Elle institue des jours maigres avant ses fêtes, des jeûnes solennels comme le carême; elle prescrit dans les ordres religieux une vie austère, chaste, sobre; des veilles, des macérations, pour atténuer le corps, pour réfréner les sens et les passions; elle recommande la méditation, afin d'exercer l'ame aux pensées élevées et aux vertus pour lesquelles la seule

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