Page images
PDF
EPUB

» au contraire, agravant sans cesse l'ame d'ali» mens et de boissons, la fait redescendre dans » les sens et les parties sexuelles, comme pour » là fixer sur la terre par autant d'attaches; il » l'amortit par le sommeil, ou la dépense toute » à voir, entendre, sentir les choses jour» nalières. Distraite et tiraillée de tous côtés, >> les bouillonnemens du sang et des humeurs » la poussent, la secouent par diverses pas»sions; les maladies altèrent ses fonctions, » jusqu'à ce que la fermentation de la vie dimi » nuant avec l'âge, lui laisse reprendre sa direc>>tion naturelle.

>> Cependant, renfermée dans cette sorte de » boîte corporelle, l'ame communique avec » d'autres ames et avec le monde par les ouver>>tures des sens; elles se joignent par des amours » terrestres, oublient dans ces voluptés leur origine céleste, et s'attachant à cette prison » comme à leur demeure, elles s'appliquent à la » fortifier. Enfin, s'enfonçant de plus en plus

>>

[ocr errors]

dans le sépulcre du corps, amourachées des » biens matériels, elles rabaissent tous leurs » regards sur la terre, soit pour arracher l'or >> de ses entrailles, soit pour y enfouir des tré»sors. Telles que des bêtes brutes qui courbent » leurs têtes vers le sol, comme étant leur lieu » natal, elles gravitent vers le royaume des

» enfers. Quelquefoisles amess'évaporent toutes » au-dehors, les corps se sentent vides au-dedans >> d'eux-mêmes; dans leur abattement, rien ne » peut combler l'abîme de leur cœur, et ils » ressemblent à ces mausolées magnifiques qui » ne contiennent que des cadavres.

» Mais lorsque détrompées de leurs illusions » par les vicissitudes perpétuelles de la terre, » et telles que des prisonniers échappés des » fers, nos ames reprennent la voie sacrée, elles » se replient sur elles-mêmes, ferment toutes » les issues par lesquelles elles se dissipoient, » et se mettent à l'unisson du grand Esprit » qui fait mouvoir toute la nature (1). Sans

(1) Ceux qui ont regardé les ames humaines comme des portions extraites de la substance divine se fondoient sur ce qu'il est écrit dans la Génèse que Dieu souffla l'esprit de vie sur la face d'Adam; et qu'il est dit dans le Pseaume 81,

.6: Vous êtes des Dieux, vous êtes tous enfans du TrèsHaut. Cette opinion, rejettée comme nous l'avons dit, avoit été remplacée par l'hypothèse d'un intellect agent, qui, semblable à une lumière, illumine tout esprit venant au monde; de même que la lumière éclaire tout œil. Cette supposition d'Aristote a donné lieu à Averroës d'imaginer qu'il n'y avoit qu'un seul entendement commun à tous les hommes, chacun selon la capacité de son cerveau. Il expliquoit par-là l'uniformité d'action de tous les soldats d'une armée, mue par un seul mot du général. Mais outre que ce sentiment est condamné, comme privant l'homme d'une

[ocr errors]

>> cesse environnées de la Divinité, elles puisent » dans cette source d'intelligence les semences >> de toutes leurs pensées. Elles réfléchissent » comme un miroir la lumière de toute con» noissance. Toutefois l'homme ne peut rece>> voir ces idées que d'une manière déterminée » par la forme de ses organes; si leur structure » est altérée, il reçoit des sensations et des » images désordonnées en même proportion. » Pour aspirer dans toute sa pureté cette science >> divine, l'ame bien réglée abandonne les sens; » elle s'épanouit dans l'étendue céleste, et » s'échauffe aux rayons de la lumière immortelle; elle ne revoit plus son corps que comme » un lieu d'exil; elle est sur la terre comme n'y >> étant point; elle en ignore les affaires incon>> stantes pour s'attacher aux objets immortels » comme les seuls réels. Tels sont ces hommes simples comme des enfans, qui, privés d'esprit dans la société de leurs semblables, incapables d'acquérir ou de conserver des » richesses, indifférens à tout, sans s'affliger » de l'adversité ni se réjouir de la prospérité,

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

ame en propre et responsable de la moralité de ses actions, il y a une si grande diversité dans les intelligences humaines, qu'aucune ne ressemble à l'autre entièrement, non plus que les corps. Nous expliquons comment les ames peuvent agir ensemble. Liv. 3, sect. 2, part. 1, ch. 1.

[ocr errors]

» vivent sans inquiétude au travers des dan»gers; car ils savent que le monde passe. >> Soumettant leur corps et le macérant par des » austérités, ils amincissent le voile au travers » duquel l'ame n'apperçoit que les ombres passagères d'un autre Univers ».

[ocr errors]

CHAPITRE VII..

De la forme essentielle de l'ame, comment elle connoît naturellement le vrai et le beau.

DAN'S les sujets indifférens que nous comprenons clairement, comme dans une opération d'arithmétique ou une démonstration de géométrie, nous jugeons tous également bien. Les idées de raison, de rectitude sont naturelles dans tous les esprits qu'aucune passion et aucun intérêt particulier ne font pencher en un sens. Qui donne aux sauvages, aux enfans, des idées de justice si vives, si présentes, que l'injustice les révolte encore plus que nous en qui la vue continuelle du mak affoiblit ce sentiment? L'ame est ainsi formée que tous les hommes, d'un commun consentement, sans, instruction, sans convention, jugent bien d'une pièce de théâtre, d'un discours ou de tout autre ouvrage, s'ils les com

prennent bien. Le sens commun est, dans tous, une sorte de moule général qui n'admet que les formes qui s'y rapportent. Sans ce germe inné de vérité, nous n'inventerions rien, nous ne saurions que des choses apprises, et resterions toujours au même point comme les animaux. Au contraire, à l'aide de cette lumière naturelle, un géomètre pénètre de lui-même plus profondément dans la science. L'idée d'un Dieu, sans être immédiatement empreinte en nous, est produite par la réflexion de l'esprit sur son origine; l'ouvrage reconnoît l'ouvrier; aussi cette idée se rencontre parmi toutes les nations du monde, bien que diversement. modifiée par plusieurs religions locales. De même, quand on tiendroit au fond d'un désert, un jeune homme dans l'ignorance la plus absolue sur l'amour, la nature ne laisseroit pas de parler à son cœur; de nouvelles idées germeroient d'elles-mêmes dans sa tête et lui révéleroient ce qui manque à son état.

Malgré sa dégradation, l'ame ne perd pas tout: un sentiment incorruptible subsiste même dans les scélérats. Néron, monstre accoutumé aux crimes, ne put reposer une seule nuit tranquille après le meurtre de sa mère. La voix terrible du sang redemande le sang; les forfaits se punissent eux-mêmes au défaut d'une autre

« PreviousContinue »