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cœur que l'esprit, l'homme s'attache plus à la raison qu'à la passion, parce que les fonc tions sensitives dominent dans la première et l'ame intelligente dans le second. S'il n'existoit en nous qu'un seul principe, le même individu ne pourroit pas réunir à une mauvaise tête un cœur plein de bonté et de vertus; car il faudroit que ses affections morales suivissent le caractère de son esprit, ou réciproquement, si tout se tenoit. Au contraire, l'homme pense d'autant plus qu'il est moins sensitif, comme dans ses méditations les plus profondes, au lieu que l'animal sent beaucoup et ne raisonne point. La raison et le sentiment naissent donc de deux sources distinctes.

De même, notre ame est opposée à notre corps; la vie de l'un fait la mort de l'autre. Trop de pensées nous affoiblissent; notre ame s'obscurcit et s'éteint en quelque sorte par une vie toute animale. En diminuant notre sensibilité, en domptant nos appétits par la tempérance, en nous soumettant à une discipline continue, notre esprit acquiert une meilleure disposition. La brute a des sens bien plus exquis que l'homme, à l'exception du tact; cependant elle ne réfléchit point, et les hommes doués d'un tact très-délicat, sont plutôt sensuels qu'intelligens. Au contraire, on n'acquiert

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plus d'esprit et de sagesse qu'en réfrénant ses sens et en mortifiant ses passions. Il y a donc en nous l'homme intérieur ou spirituel, et l'homme extérieur ou animal; par l'un nous sommes l'image de la Divinité, l'autre nous assimile aux bêtes; ce qui faisoit dire à saint Paul: Lorsque je voudrois faire ce qui est bien, je trouve en moi une loi qui s'y oppose (1). Corneille dit de César, lorsque la tête de Pompée lui étant offerte, il s'efforçoit de verser des larmes sur le sort de son rival:

Que par un mouvement commun à la nature,
Quelque maligne joie en son coeur s'élevoit,
Dont sa gloire indignée à peine le sauvoit.

Ce combat éternel que l'homme sent en luimême n'est-il pas la preuve qu'il est composé de deux natures, l'une corporelle, qui l'entraîne vers les objets des sens; l'autre que son essence immatérielle attire vers un plus noble principe? Si l'homme étoit tout matériel et d'une nature unique, pourquoi s'exposeroit-il à mourir par vertu? L'animal, avant tout, cherche sa conservation propre ; mais quelque

(1) Epist. ad Romanos, c. v11. Virgile peignant la fermeté stoïque d'un héros, dit:

Mens immota manet, lacrymæ volvuntur inanes.

chose peut nous faire mépriser le tombeau et aspirer à des biens autres que le plaisir corporel. L'ame peut agir contre le corps chez l'homme, non chez l'animal, et nous faire préférer la mort à la vie; si elle étoit corps, elle n'attaqueroit point sa propre existence et ne se détruiroit pas elle-même. Dans l'animal, rien ne combat contre lui-même, parce qu'il est un; on ne le voit ni chercher à vaincre ses appétits, ni résister à ses passions, ni courir à des actes pénibles de vertu ; il n'a point de libre arbitre, mais il est entraîné par ses sens. Il ne montre point cette confiance dans la mort, qui annonce une autre vie; il ne cherche pas volontairement les travaux, la douleur, pour acquérir de la gloire. L'homme prête aux actions des bêtes ce noble motif de vertú qui accompagne quelquefois les siennes ; il explique leurs mœurs par ses propres pensées; il se suppose en elles avec son ame; mais lui seul connoissant le bien et le mal, ne place point toute sa félicité dans son corps; l'homme possède quelque chose au-desus de l'homme, et meurt même pour conserver son honneur et son nom. Il n'est pas son tout; car il comprend qu'il y a dans lui un principe incompréhensible et infiniment supérieur à luimême. L'esprit consistant dans la connoissance

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pourroit se créer, s'il pouvoit se connoître. Or nul être ne se peut créer, puisqu'il seroit contradictoire de dire qu'une chose existe avant d'exister. Un être qui ne trouve point sa source en lui-même, ne peut se concevoir que dans son principe et son centre; la créature ne sé doit chercher que dans son créateur. Le point mathématique ne pouvant être compris que dans l'infinité, et l'instant que comme une particule de l'éternité, il faut de même que l'ame se perde dans les abîmes de la Divinité, pour se retrouver, parce que la raison est insuffisante à cet égard. L'homme traite dans un langage mortel, des objets immortels, et leur communique une partie de sa propre caducité; mais il lui est plus important de s'élever à des choses universelles, quoique difficiles à comprendre, que , que de s'attacher à des sujets moins nobles, quelle que soit leur facilité; parce qu'il doit aspirer à son origine, et chercher sa perfection.

CHAPITRE IV.

De la nature de l'ame intellectuelle ; qu'elle est un esprit pur, immortel.

DANS un sujet aussi abstrait, j'aurai besoin de réclamer de l'attention, afin que le lecteur

n'acquiesce qu'à ce qui lui paroîtra raisonnable; et de la bienveillance, afin qu'il n'impute qu'à la foiblesse de mon esprit, ce qu'il pourra rejeter.

Un principe dont l'attribut consiste à connoître, ne peut pas pénétrer lui-même dans sa nature; parce qu'être connu suppose un état passif, et l'ame est au contraire la source de toute activité. L'esprit se transformant, pour ainsi dire, en tous les objets, son essence n'est rien de particulier, mais un être uni versel. Il répand toute sa lumière au-dehors, et notre science s'exerçant sur des choses étrangères à l'ame, rien ne se réfléchit au-dedans, et rien ne peut agir sur un être qui agit sur tout. L'ame est donc comme un centre rayonnant qui fait jaillir sa lumière sur tous les objets et éblouit les regards fixés sur elle ; c'est le-soleil de l'homme ou du petit monde (1).

(1) L'ame humaine, selon la croyance de l'Eglise catholique, les conciles et les Pères, est une substance incorporelle, immortelle, qui n'est point extraite de la divine essence ou d'un domicile céleste, antérieurement à la vie, mais qui est créée de rien et multipliée selon le nombre des corps; que de plus, elle est véritablement, par elle-même, et essentiellement une forme. Concil. Brachar. 1, Lateran. sub Innocent. III, Viennens. sub Clement. v, Lateran. 3, sub Leone x, &c. Descartes a très-bien établi la distinction

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