On a rapporté ces jugemens peu mesurés, parce que l'abus de la louange est aujourd'hui aussi commun que celui de la satire, et n'est pas moins dangereux. A l'égard de M. Colardeau, l'auteur de cet article, qui ne l'a jamais connu que par ses ouvrages, ne lui devait que la vérité. Il l'a toujours dite, même dans les occasions où l'on est le plus excusable d'en manquer un peu ; par exemple, dans un discours académique. Quand il fit l'éloge de M. Colardeau, auquel il succédait, il ne fit mention que de l'Epitre à Héloïse, et cependant cet éloge fut reçu avec beaucoup d'applaudissemens : c'est que la louange n'a de prix que lorsqu'elle est légitime et même sévère. Sur les fables de M. DE FLORIan. Des nombreux recueils de fables qui ont paru dans ce siècle, celui-ci me paraît le meilleur; c'est celui où il me semble qu'on a le mieux saisi le véritable esprit et le vrai ton de la fable. La morale est généralement bien choisie et bien adaptée au sujet. Il ne s'agit pas du mérite de l'invention l'auteur avoue lui-même, dans un discours préliminaire sur la fable, qu'il a emprunté d'Ésope, de Pilpay, de Gay, des fabulistes allemands, et surtout d'un poëte espagnol (Yriarté), qui lui a fourni ses apologues les plus heureux. Il a tout mis à contribution, il a bien fait; il ne s'en cache pas, et c'est encore mieux. Je ne vois là-dessus nulle chicane à lui faire; car s'il existe un fonds littéraire qui appartienne particulièrement à celui qui le fait valoir, c'est assurément l'apologue, puisque la leçon est perdue, si vous ne lui donnez pas l'agrément et l'intérêt qui la font retenir. Depuis que la vérité est nue, il lui est arrivé souvent de se morfondre honneur à celui qui sait l'habiller de manière à la produire dans le monde avec succès! Et c'est la seule vierge, en ce vaste univers, (Boufflers.) Le bon, en tous les genres, prédomine dans ce recueil vous y trouvez des fables d'un intérêt attendrissant; d'autres, d'une gaieté douce et badine; d'autres, d'une finesse piquante; d'autres, d'un ton plus élevé sans être au-dessus de celui de la fable. Le poëte sait varier ses couleurs avec les sujets; il sait décrire et converser, raconter et moraliser; nulle part on ne sent l'effort, et toujours on aperçoit la mesure. Veut-on des tableaux animés par la poésie, en voici : Sur la corde tendue un jeune voltigeur Ses tours de force, de souplesse, Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance, droit ; Hardi, léger autant qu'adroit, Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance, Et, semblable à certains oiseaux Qui rasent en volant la surface des eaux, Veut-on de l'enjouement: Contraint de renoncer à la chevalerie, Et choisir l'état de berger. Le voilà donc qui prend panetière et houlette, Jugez de la grâce et de l'air De ce nouveau Tircis! Sur sa rauque musette Prend un roquet galeux; et dans cet équipage, Dispersant son troupeau (deux moutons achetés au boucher) est un trait fort heureux : c'est l'espèce de plaisanterie douce qui convient à la fable. Voici une peinture d'une autre espèce; elle est intéressante et grave: C'est ainsi que pensait un sage, Un bon fermier de mon pays. Depuis quatre-vingts ans, de tout le voisinage Chaque mot qu'il disait était une sentence : Ce dernier vers, qui est admirable, fait voir que la fable peut quelquefois s'élever jusqu'au style sublime; mais il y faut beaucoup de réserve et de choix ce n'est guère que dans les idées morales que l'on peut aller jusque-là, parce que la morale est l'essence de l'apologue. Ici, par exemple, l'expression est d'une énergie imposante; mais l'intention et l'effet tiennent à ce respect naturel pour la vieillesse, sentiment commun à tous les hommes, qui fait de l'expérience et de la sagesse d'une longue vie une sorte de magistrature. La force et l'élévation des discours du Paysan du Danube, dans La Fontaine, tiennent aussi à ce fond de moralité; c'est le cri de l'opprimé contre la tyrannie. Mais pour peu qu'un fabuliste recherchât des traits pareils, bientôt l'ambition du style poétique ferait disparaître cette simplicité enjouée et attirante qui est le premier caractère et le charme de la fable. On reconnaît ce caractère dans une foule de différens traits dont l'auteur a semé sa narration. Voyez cette jolie fable (la dix-huitième du troisième livre) où le Rat de College juge la querelle entre le Hibou, l'Oison et le Chat, sur les Égyptiens, les Grecs et les Romains: Quand un rat, qui de loin entendait la dispute, Rat savant, qui mangeait des thêmes dans sa hutte, etc.: et celle de la Mort voulant choisir son premier ministre : Pour remplir cet emploi sinistre, Du fond du noir Tartare avancent à pas lents Tout l'enfer et toute la terre Rendaient justice à leurs talens : La Mort leur fit accueil. La Peste vint ensuite. Ce badinage simple et facile est, ce me semble, celui qui appartient à ce genre d'écrire. Je citerai encore la fable du Singe qui montre la lanterne magique, et qui n'a rien oublié, si ce n'est de l'éclairer : Voyez la naissance du monde ; Voyez....» Les spectateurs, dans une nuit profonde, Ma foi, disait un chat, de toutes les merveilles Dont il étourdit nos oreilles, Le fait est que je ne vois rien. Ni moi non plus, disait un chien. Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose; Mais je ne sais pour quelle cause Je ne distingue pas très-bien, etc. |