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LA MERLUCHE.

Monsieur, je vous demande pardon, je croyais bien faire d'accourir vite.

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En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon père, les honneurs de votre logis, et conduire Madame dans le jardin, où je ferai porter la collation.

HARPAGON.

Valère, aie un peu l'œil à tout cela; et prends soin, 10 je te prie, de m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.

C'est assez.

VALÈRE.

HARPAGON.

() fils impertinent, as-tu envie de me ruiner?

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plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.

ÉLISE.

Oui, Madame, mon frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour vous. Je sais les chagrins et les 5 déplaisirs que sont capables de causer de pareilles traverses; et c'est, je vous assure, avec une tendresse extrême que je m'intéresse à votre aventure.

MARIANE.

C'est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne comme vous; et je vous conjure, 10 Madame, de me garder toujours cette généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune.

FROSINE.

Vous êtes, par ma foi! de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne m'avoir point, avant tout ceci, avertie de

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votre affaire. Je vous aurais sans doute détourné1 cette inquiétude, et n'aurais point amené les choses où l'on voit qu'elles sont.

CLÉANTE.

Que veux-tu? C'est ma mauvaise destinée qui l'a 5 voulu ainsi. Mais, belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ?

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MARIANE.

Hélas! suis-je en pouvoir de faire des résolutions? Et dans la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits?

CLEANTE.

Point d'autre appui pour moi dans votre cœur que de simples souhaits? point de pitié officieuse?1 point de secourable bonté? point d'affection agissante?

MARIANE.

Que saurais-je vous dire? Mettez-vous en ma place," et voyez ce que je puis faire. Avisez, ordonnez vous15 même: je m'en remets à vous, et je vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut m'être permis par l'honneur et la bienséance.

CLÉANTE.

Hélas! où me réduisez-vous, que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux sentiments 20 d'un rigoureux honneur et d'une scrupuleuse bienséance?

MARIANE.

Mais que voulez-vous que je fasse? Quand je pourrais passer sur quantité d'égards où notre sexe est obligé, j'ai

de la considération pour ma mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez auprès d'elle,1 employez tous vos soins à gagner son esprit: vous pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence; et, s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux bien consentir à lui faire un aveu moi-même de tout ce que je sens pour

vous.

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CLEANTE.

Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir?

FROSINE.

Par ma foi! faut-il demander? je le voudrais de tout mon cœur. Vous savez que de mon naturel je suis assez humaine. Le Ciel ne m'a point fait l'âme de bronze,3 et je n'ai que trop de tendresse à rendre de petits services, quand je vois des gens qui s'entre-aiment en tout bien et en tout honneur. Que pourrions-nous faire à ceci?

CLEANTE.

Songe un peu, je te prie.

MARIANE.

Ouvre-nous des lumières."

ÉLISE.

Trouve quelque invention pour rompre ce que tu

as fait.

FROSINE.

Ceci est assez difficile. Pour votre mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être pourrait-on la gagner, et la résoudre à transporter au fils le don qu'elle veut faire au père. Mais le mal que j'y trouve, c'est que 5 votre père est votre père.

Cela s'entend.

CLÉANTE.

FROSINE.

Je veux dire qu'il conservera du dépit, si l'on montre qu'on le refuse; et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à donner son consentement à votre mariage. Il faudrait, 10 pour bien faire, que le refus vint de lui-même, et tâcher par quelque moyen de le dégoûter de votre personne.1

Tu as raison.

CLEANTE.

FROSINE.

Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudrait; mais le diantre est d'en pouvoir trouver les 15 moyens. Attendez: si nous avions quelque femme un peu sur l'âge, qui fût de mon talent, et jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marquise, ou de vicomtesse, que nous supposerions de la basse Bretagne,' 20 j'aurais assez d'adresse pour faire accroire à votre père que ce serait une personne riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant; qu'elle serait éperdument amoureuse de lui, et souhaiterait de se voir sa

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