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MAÎTRE JACQUES.

Tant mieux: j'en aurai moins de peine.

HARPAGON.

Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient d'abord:1 quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot3 bien garni de marrons.

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HARPAGON.

Maintenant, maître Jacques, il faut nettoyer mon car

rosse.

MAÎTRE JACQUES.

Attendez. Ceci s'adresse au cocher. (Il remet sa casaque.) Vous dites . . .

HARPAGON.

Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tous prêts pour conduire à la foire . . .

MAÎTRE JACQUES.

Vos chevaux, Monsieur?

Ma foi, ils ne sont point du tout en état de marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière,' les pauvres bêtes n'en ont point, et 15 ce serait fort mal parler; mais vous leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux.

HARPAGON.

Les voilà bien malades: ils ne font rien.

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MAÎTRE JACQUES.

Et pour1 ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger? Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend le cœur de les voir ainsi exténués; car 5 enfin j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moi-même quand je les vois pâtir; je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche;" et c'est être, Monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.

HARPAGON.

Le travail ne sera pas grand, d'aller jusqu'à la foire.

MAÎTRE JACQUES.

Non, Monsieur, je n'ai pas le courage de les mener, et je ferais conscience de leur donner des coups de fouet, en l'état où ils sont. Comment voudriez-vous qu'ils traînassent un carrosse, eux-mêmes?

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qu'ils ne peuvent pas se traîner 15

VALÈRE.

Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard à se charger de les conduire aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le soupé.

MAÎTRE JACQUES.

Soit: j'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main 20 d'un autre que sous la mienne.

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Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs; et je vois 5 que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le bois, le sel, et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous; car enfin je me sens pour vous de la 10 tendresse, en dépit que j'en aie; et après mes chevaux, vous êtes la personne que j'aime le plus.

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HARPAGON.

Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi?

MAÎTRE JACQUES.

Oui, Monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât 15 point.

HARPAGON.

Non, en aucune façon.

MAÎTRE JACQUES.

Pardonnez-moi: je sais fort bien que je vous mettrais

en colère.

HARPAGON.

Point du tout: au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme1 on parle de moi.

MAÎTRE JACQUES.

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Monsieur,2 puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous; qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet; et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et aux chausses,3 et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers, où vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles afin de profiter des jeûnes où vous obligez votre 10 monde. L'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps des étren.nes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous fîtes assigner le chat d'un de vos 15 voisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de mouton. Celui-ci, que l'on vous surprit une nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux; et que votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna dans l'obscurité je ne sais combien de coups de bâton, 20 dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise? On ne saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces." Vous êtes la fable et la risée de tout le monde; et jamais on ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de 25 vilain et de fesse-mathieu.

HARPAGON, en le battant.

Vous êtes un sot, un maraud, un coquin et un impudent.

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MAÎTRE JACQUES.

Hé bien!1 ne l'avais-je pas deviné? Vous ne m'avez pas voulu croire: je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité.

HARPAGON.

Apprenez à parler.

SCÈNE II

MAITRE JACQUES, VALÈRE

VALÈRE.

A ce que je puis voir, maître Jacques, on paye mal votre franchise.

MAÎTRE JACQUES

Morbleu! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance, ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton quand on vous en donnera, et ne venez 10 point rire des miens.

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VALÈRE.

Ah! Monsieur maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie.

MAÎTRE JACQUES.

Il file doux. Je veux faire le brave, et s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. Savez15 vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi? et

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