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FROSINE.

(Il reprend son visage sévère.) En vérité, Monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout à fait grande. Je suis ruinée, si je le perds; et quelque petite assistance me rétablirait mes affaires. (Il reprend un air gai.) Je 5 voudrais que vous eussiez vu le ravissement où elle était à m'entendre parler de vous. La joie éclatait dans ses yeux, au récit de vos qualités; et je l'ai mise enfin dans une impatience extrême de voir ce mariage entièrement

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conclu.

HARPAGON.

Tu m'as fait grand plaisir, Frosine; et je t'en ai, je te l'avoue, toutes les obligations du monde.

FROSINE.

(Il reprend son sérieux.) Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous demande. Cela me remettra sur pied, et je vous en serai éternellement 15 obligée.

HARPAGON.

Adieu. Je vais achever mes dépêches.1

FROSINE.

Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans un plus grand besoin.

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Je mettrai ordre que mon carrosse soit tout prêt pour 20 vous mener à la foire.

FROSINE.

Je ne vous importunerais pas, si je ne m'y voyais forcée par la nécessité.

HARPAGON.

Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire malades.

FROSINE.

Ne me refusez point la grâce dont je vous sollicite.1 Vous ne sauriez croire, Monsieur, le plaisir que...

HARPAGON.

Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt.

FROSINE.

Que la fièvre te serre, chien de vilain à tous les diables! Le ladre a été ferme à toutes mes attaques; mais il ne me faut pas pourtant quitter la négociation; et j'ai l'autre côté,3 en tout cas, d'où je suis assurée de tirer bonne récompense.

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ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE

HARPAGON, CLEANTE, ÉLISE, VALÈRE, DAME CLAUDE, MAITRE JACQUES, BRINDAVOINE, LA MERLUCHE

HARPAGON.

Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt et règle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude. Commençons par vous. (Elle tient un balai.) Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous 5 commets au soin1 de nettoyer partout; et surtout prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue, pendant le soupé, au gouvernement des bouteilles; et, s'il s'en écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je 10 m'en prendrai à vous, et le rabattrai sur vos gages.

MAÎTRE JACQUES.

Châtiment politique.

HARPAGON.

Allez. Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres, et de donner à boire, mais seulement lorsque l'on aura soif, et

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non pas selon la coutume de certains impertinents de laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez2 de porter toujours beaucoup d'eau.

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Oui, quand vous verrez venir les personnes; et gardez + bien de gâter vos habits.

BRINDAVOINE.

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Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon 10 pourpoint est couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.

LA MERLUCHE.

Et moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troué par derrière, et qu'on me voit, révérence parler...5

HARPAGON.

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Paix. Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez toujours le devant au monde. (Harpagon met son chapeau au-devant de son pourpoint pour montrer à Brindavoine comment il doit faire pour cacher la tache d'huile.) Et vous, tenez toujours votre chapeau 20 ainsi, lorsque vous servirez. Pour vous, ma fille, vous

aurez l'œil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât. Cela sied bien aux filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse,1 qui vous doit venir visiter et vous mener 5 avec elle à la foire. Entendez-vous ce que je vous dis?

ΤΟ

Oui, mon père.

ÉLISE.

HARPAGON.

Et vous, mon fils le Damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire mauvais visage.

CLÉANTE.

Moi, mon père, mauvais visage? Et par quelle raison?

HARPAGON.

Mon Dieu! nous savons le train des enfants dont les pères se remarient, et de quel œil ils ont coutume de regarder ce qu'on appelle belle-mère. Mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de votre dernière fre15 daine, je vous recommande surtout de régaler d'un bon visage cette personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur accueil qu'il vous sera possible.

CLÉANTE.

A vous dire le vrai, mon père, je ne puis pas vous promettre d'être bien aise qu'elle devienne ma belle20 mère: je mentirais si je vous le disais; mais pour ce qui

est de la bien recevoir, et de lui faire bon visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre.

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