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au bras; le vieux Pedro, ce domestique qui se sauva avec moi du naufrage.

MARIANE.

Hélas!1 à vos paroles je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez2 point; et tout ce que vous dites me fait connaître clairement que vous êtes mon frère.

Vous, ma sœur?

VALÈRE.

5

MARIANE.

Oui. Mon cœur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche; et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre famille. Le Ciel ne nous fit point aussi3 périr dans ce 10 triste naufrage; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté; et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté, et nous retournâmes 15 dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes, où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession qu'on avait déchirée;* et de là, fuyant la barbare injustice de ses parents, elle 20 vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une vie languissante.

ANSELME.

O Ciel! quels sont les traits de ta puissance! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des

miracles!

Embrassez-moi, mes enfants, et mêlez tous

deux vos transports à ceux de votre père.

VALÈRE.

Vous êtes notre père?

MARIANE.

C'est vous que ma mère a tant pleuré?

5

ANSELME.

Oui, ma fille, oui, mon fils, je suis Dom Thomas d'Alburcy, que le Ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une1 douce et sage personne la 10 consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu pour ma vie à retourner à Naples, m'a fait y renoncer pour toujours; et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les 15 chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de

traverses.

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Je vous prends à partie,' pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés.

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Oui: voilà Monsieur le Commissaire qui a reçu sa déposition.

VALÈRE.

Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche?

5

HARPAGON.

Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent. 19

SCÈNE VI

CLEANTE, VALÈRE, MARIANE, ÉLISE, FROSINE, HARPAGON, ANSELME, MAITRE JACQUES, LA FLÈCHE, LE COMMISSAIRE, SON CLERC

CLEANTE.

Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous dire que, si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vous 5 sera rendu.

Où est-il?

HARPAGON.

CLÉANTE.

Ne vous en mettez point en peine: il est en lieu1 dont je réponds, et tout ne dépend que de moi. C'est à vous de me dire à quoi vous vous déterminez; et vous 10 pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de perdre

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Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à 15 celui de sa mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix entre nous deux.

MARIANE.

Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement, et que le Ciel, avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père dont vous avez à m'obtenir.

ANSELME.

Le Ciel, mes enfants, ne me redonne1 point à vous 5 pour être contraire à vos vœux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune personne tombera sur le fils plutôt que sur le père. Allons, ne vous faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre, et consentez ainsi que moi à ce double hyménée.

10

HARPAGON.

8

Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma

cassette.

CLEANTE.

Vous la verrez saine et entière.

HARPAGON.

Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes enfants.

ANSELME.

Hé bien! j'en ai pour eux; que cela ne vous inquiète point.

HARPAGON.

Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages?

15

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