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ÉLISE.

Finissons auparavant votre affaire, et me dites1 qui est celle que vous aimez.

CLÉANTE.

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Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quar. tiers, et qui semble être faite pour donner de l'amour 5 à tous ceux qui la voient. La nature, ma sœur, n'a rien formé de plus aimable; et je me sentis transporté dès le moment que je la vis.

Elle se nomme Mariane, et vit

sous la conduite d'une bonne femme de mère1 qui est presque toujours malade, et pour qui cette aimable fille o a des sentiments d'amitié qui ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint, et la console, avec une tendresse qui vous toucherait l'âme. Elle se prend d'un air le plus charmant du monde aux choses qu'elle fait, et l'on voit briller mille grâces en toutes ses actions; une 5 douceur pleine d'attraits, une bonté toute engageante,' une honnêteté adorable, une . . . Ah! ma sœur, je voudrais que vous l'eussiez vue.

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ÉLISE.

J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites; et pour comprendre ce qu'elle est, il me to suffit que vous l'aimez.'

CLEANTE.

J'ai découvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodées,1o et que leur discrète conduite "a de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma sœur, quelle joie ce peut être que

de relever la fortune1 d'une personne que l'on aime; q de donner adroitement quelques petits secours a modestes nécessités d'une vertueuse famille; et concev quel déplaisir ce m'est de voir que, par l'avarice d' père, je sois dans l'impuissance de goûter cette joie, de faire éclater3 à cette belle aucun témoignage de m

amour.

ÉLISE.

Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être vot chagrin.

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CLÉANTE.

Ah! ma sœur, il est plus grand qu'on ne peut croir Car enfin peut-on rien voir de plus cruel que cette rigo reuse épargne qu'on exerce sur nous, que cette séch resse étrange où l'on nous fait languir? Et que no servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'e jouir, et si pour m'entretenir même, il faut que maint nant je m'engage de tous côtés, si je suis réduit ave vous à chercher tous les jours le secours des marchand pour avoir moyen de porter des habits raisonnables Enfin, j'ai voulu vous parler, pour m'aider à sonde mon père sur les sentiments où je suis; et, si je l trouve contraire, j'ai résolu d'aller en d'autres lieu avec cette aimable personne, jouir de la fortune que Ciel voudra nous offrir. Je fais chercher partout pou ce dessein de l'argent à emprunter; et, si vos affaire ma sœur, sont semblables aux miennes, et qu'il faill que notre père s'oppose à nos désirs, nous le quitteron là tous deux et nous affranchirons de cette tyranni

où nous tient depuis si longtemps son avarice insuppor table.

ÉLISE.

Il est bien vrai que, tous les jours, il nous donne de plus en plus sujet de regretter la mort de notre mère, et 5 que...

CLEANTE.

J'entends sa voix. Éloignons-nous un peu pour nous achever notre confidence; et nous joindrehs après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur.

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Hors d'ici tout à l'heure,' et qu'on ne réplique pas. 10 Allons, que l'on détâle de chez moi, maître juré filou," vrai gibier de potence.

LA FLÈCHE.

Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction, qu'il a le diable 15 au corps.

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HARPAGON.

Tu murmures entre tes dents.6

LA FLÈCHE.

Pourquoi me chassez-vous?'

HARPAGON.

C'est bien à toi, pendard, à me demander1 de raisons! sors vite, que je ne t'assomme.'

LA FLÈCHE.

Qu'est-ce que je vous ai fait?

HARPAGON.

Tu m'as fait que je veux que tu sortes.

LA FLÈCHE.

Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre

HARPAGON.

Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à obser ver ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler.

LA FLÈCHE.

Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit?

HARPAGON.

Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes

mouchards,' qui prennent garde à ce qu'on fait? Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché?

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Non, coquin, je ne dis pas cela. (A part.) J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irais point faire courir le bruit que j'en ai.

LA FLECHE.

Hé! que nous importe que vous en ayez ou que vous 10 n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose?

HARPAGON.

Tu fais le raisonneur.

Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner un soufflet.) Sors d'ici, encore une fois.

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