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désir, un sentiment et un amour 1. » A cette inspiration panthéistique, qui était celle de Goethe, et que nous retrouvons si souvent en France chez les poëtes contemporains, se joignit chez les lakists, comme conséquence naturelle, une certaine affectation de simplicité dans le choix des sujets. Pour eux aussi, comme pour le poëte allemand, il n'est pas de matière étrangère à la poésie. Les héros qu'ils chantent, les circonstances où ils les placent n'ont rien qui s'éloigne de la classe la plus commune. Ils recherchent dans l'expression les nuances les plus familières et fuient avec soin la phraséologie réputée poétique. Si quelque chose manque à l'école des Lacs, c'est l'énergie dans la passion, la netteté et la précision dans le dessin. Les lakistes sont des poètes passifs, des échos mélodieux de la nature qu'ils répètent sans réagir sur elle.

Tout autre est le caractère de Byron. Il est poëte surtout par ses émotions personnelles, mais ces émotions sont celles de tout un siècle. Si le jour où les peuples détruisent est ur jour d'imprudente confiance et de funeste ivresse, le lendemain est un jour de tristesse et d'effroi; quand, jetant les yeux sur les croyances et les institutions de leurs pères, ils n'aperçoivent plus que des ruines, et au delà un vide affreux. Alors, pareils à ces morts que Jean-Paul réveille dans leurs tombeaux et qui cherchent en vain le Christ dans un ciel désert, les peuples, dépossédés de leur foi, se replient sur eux-mêmes avec un sombre désespoir. Ils demandent à tout l'univers ce Dieu qu'ils ont perdu, ils le cherchent avec douleur dans la nature impassible, qu'ils animent de leur propre vie, qu'ils échauffent de leur amour. Tel fut l'état général des esprits vers la fin du xviu siècle et le commencement du nôtre. Schiller, dans ses Brigands, Goethe surtout, dans son Werther, en furent un jour la puissante expression. Goethe, l'artiste philosophe, qui a

The sounding cataract

Haunted me like a passion; the tall rock,

The mountain, and the deep and gloomy wood,
Their colours and their forms, were then to me
An appetite, a feeling and a love.

Wordsworth, Tintern Abbey.

a

conscience de tout ce qu'il fait, nous déclare lui-même que Werther fut une étincelle jetée sur une nine fortement chargée: c'était l'expression du malaise général; l'explosion fut donc rapide et terrible. Mais ces deux grands poëtes ne firent que traverser la région des orages et s'élevèrent bientôt dans le temple serein de la Sagesse. Ils devinrent, comme disait Schiller mourant, toujours mieux, toujours plus tranquilles. Byron resta et vécut dans la tempête ce fut là son élément. Dans tous ses sujets, sous vingt noms divers, sous les traits de Childe-Harold, du Corsaire, de Lara, de Manfred, c'est toujours lui-même, toujours la même souffrance qu'il nous présente. Son œuvre tout entière ressemble à un de ces drames primitifs d'Eschyle, qui ne sont que l'expression d'une seule idée, d'un seul sentiment, d'une seule situation, et qui excitent toutefois dans l'âme une émotion toujours croissante, qui vous retiennent frappé de stupeur, à la vue de ces formes majestueuses, de ces proportions gigantesques que le poëte sait prêter à la nature humaine. C'est Prométhée sur le Caucase, sanglant et enchaîné, immobile mais terrible. Le vide de l'âme, le tourment d'une vie sans but, d'une activité sans objet, telle était la maladie de l'époque: Byron eut, dans son esprit et dans son cœur, les mêmes souffrances. Des émotions générales de ses contemporains, sa destinée avait fait pour lui des émotions personnelles. Pour qu'il sentit mieux ce vide de l'esprit, elle lui avait donné une vaste intelligence; pour qu'il souffrit davantage de ce vide du cœur, elle lui avait donné un cœur aimant. Puis, comme à dessein et par un jeu cruel, arrachant la vérité à cette intelligence, enlevant tout digne. objet à ce cœur passionné, elle l'avait condamné à rouler éternellement sur lui-même, à se nourrir de sa propre substance, à être ainsi l'image la plus vraie et la plus infortunée de ce siècle qu'il devait peindre. Aussi l'impiété et même l'ironie de Byron ont-elles un caractère bien différent de celles de nos encyclopédistes. Elles laissent percer une émotion vive et douloureuse, une poétique aspiration vers une vérité inconnue mais adorée. Byron, incrédule par l'esprit, est profondément religieux par le cœur.

Nous venons de reconnaître, sans entrer encore en France, les principaux caractères de la littérature française sous la restauration; nous pouvons les résumer en quelques mots insurrection contre les lois arbitraires et quelquefois légitimes de la poétique; besoin douloureux d'une croyance; retour vers le moyen âge, époque de la foi ancienne; amour passionné de la nature, où quelques-uns espèrent trouver une foi nouvelle. C'est en France maintenant que nous allons étudier les mêmes tendances.

CHAPITRE XLV.

RENAISSANCE DE LA POESIE.

ESPRIT LITTÉRAIRE DE LA RESTAURATION. — LA MUSE FRANÇAISE; L'OPPOSITION. PREMIÈRES ODES DE M. VICTOR HUGO; M. DE LAMARTINE. — CASIMIR DELAVIGNE; M. DE BÉRANGER,

Esprit littéraire de la restauration.

Les premières années de la restauration furent aussi peu favorables à la littérature que l'avait été l'époque impériale. Les intérêts politiques, l'établissement du régime constitutionnel absorbaient toutes les forces des intelligences. Rien ne semblait présager à la poésie une régénération prochaine. Les partis politiques, divisés sur tout le reste, ne s'entendaient que dans leur attachement superstitieux aux anciennes formes littéraires. Les royalistes y voyaient une autorité, une tradition; la littérature de Louis XIV leur semblait le complément de sa monarchie. Les libéraux s'y attachaient en souvenir de Voltaire. Ils aimaient dans cette littérature l'instrument de leur victoire et le garant de la liberté.

Cependant les circonstances, plus fortes que les préjugés, préparaient un changement dans les lettres. Les grands écrivains dont nous avons parlé dans notre avant-dernier

chapitre, Chateaubriand et Mme de Staël, continuaient leur glorieuse carrière. Persécutés par Napoléon, leur talent semblait triompher de sa chute. Les salons élégants leur pardonnaient facilement leurs hérésies littéraires en faveur de leur hostilité contre l'usurpateur et de leurs tendances religieuses. La piété était chez plusieurs un besoin, chez beaucoup une mode. On se fit catholique sous la restauration de Louis XVIII, comme les Anglais s'étaient faits libertins sous celle de Charles II, par réaction politique. La monarchie légitime cherchait des droits dans le passé; la littérature y trouva des inspirations. Les études historiques se réveillèrent. Le moyen âge fut l'objet d'un culte nouveau, qui eut même plus d'une fois sa superstition et ses travers. On fit des maisons de campagne et des meubles gothiques. Marchangy croyait marcher sur les traces de Chateaubriand en écrivant la Gaule poétique et Tristan le voyageur. M. le vicomte d'Arlincourt commençait à composer des romans historiques avec un style qui, Dieu merci, n'appartient qu'à

lui.

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La Muse française; l'Opposition.

Bientôt il se forma, dans des boudoirs aristocratiques, une petite société d'élite, une espèce d'hôtel de Rambouillet adorant l'art à huis clos, cherchant dans la poésie un privilége de plus, rêvant une chevalerie dorée, un joli moyen âge de châtelaines, de pages et de marraines, un christianisme de chapelles et d'ermites'. » Cette élégante coterie. commença par se constituer à l'état de public: « Maintenant, disait l'un de ses plus brillants écrivains, la popularité n'est plus distribuée par la populace; elle vient de la seule Source qui puisse lui imprimer un caractère d'immortalité ainsi que d'universalité, du suffrage de ce petit nombre d'esprits délicats..... qui représentent moralement les peuples civilisés. Les littératures étrangères trouvaient dans

4. M. Sainte-Beuve a décrit d'une manière charmante ce premier cénacle de 4823, dans un de ses articles sur M. V. Hugo.

2. V. Hugo, dans la Muse française, t. I, p. 33. (Il n'avait alors que vingt et un ans.)

cette société le plus favorable accueil. On y goûtait particulièrement Walter Scott. Outre l'admiration légitime que devait inspirer un grand talent, on éprouvait une sympathie secrète pour les opinions de l'écrivain tory. « Nous aimons à retrouver chez lui, disait encore le jeune critique 1, nos ancêtres avec leurs préjugés, souvent si nobles et si salutaires, comme avec leurs beaux panaches et leurs bonnes cuirasses. »

Le recueil périodique intitulé la Muse française servit de centre et de tribune à ce petit monde littéraire. Là, toute pièce de vers était sûre d'être reçue avec enthousiasme, pourvu qu'elle fût écrite par une main amie; mais on avait surtout un faible pour la poésie sentimentale. André Chénier avait fait le Jeune malade, qui est un chef-d'œuvre; on s'empara de cette veine et l'on fit successivement la Jeune malade, la Sour malade, la Jeune fille malade, la Mère mourante, etc.; et la critique bienveillante trouvait que ces diverses élégies, « malgré l'uniformité apparente du sujet, n'avaient entre elles que celle du talent. A la fin pourtant la Muse elle-même se fâcha, toute muse qu'elle était, quand elle vit arriver l'Enfant malade; elle affirma « qu'à partir de ce jour l'exploitation des agonies était interdite pour longtemps au commerce poétique.» Un de ses critiques osa même provoquer,« pour la clôture définitive de toutes les poésies pharmaceutiques, la publication d'une « élégie intitulée : L'oncle à la mode de Bretagne en pleine convalescence3. »

Toutefois, plusieurs des pièces publiées dans la Muse française sont déjà signées de noms illustres. On y trouve, par exemple, les V. Hugo, les Alfred de Vigny, les Émile Deschamps; « des femmes mêmes, à qui les hommes ont pardonné leur gloire (Mme Desbordes-Valmore, Mme Tastu, Mme Sophie Gay), et de jeunes Corinnes, ajoute l'avant-propos galant, qui ont déjà besoin du même pardon (Mlle Delphine Gay). »

1. Muse francaise, t. I, p. 34.

2. Ibidem., t. II, p. 348.

3. Un poëte d'athénée vient presque de réaliser ce programme. Nous avens entendu annoncer hier, dans une séance académique, la Convalescence d'un enfant.

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