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de l'année 842. Nous en transcrivons ici le texte d'après l'historien Nithard', en y joignant une traduction française.

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SERMENT DE LOUIS LE GERMANIQUE.

« Pro Deo amur, et pro christian poplo, et nostro commun « salvament, dist di en avant, in quant Deus savir et potir « me dunat, si salvara jeo cist meon fratre Karlo, et in adju«dha et in cadhuna cosa, si com om per dreit son fradra « salvar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre «Karle in damno sit. »

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TRADUCTION.

« Pour l'amour de Dieu, et pour le peuple chrétien et notre commun salut, de ce jour en avant, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je sauverai mon frère Charles, ici présent, et lui serai en aide en chaque chose (ainsi qu'un homme, selon la justice, doit sauver son frère), en tout ce qu'il ferait de la même manière pour moi, et je ne ferai avec Lothaire aucun accord qui, par ma volonté, porterait préjudice à mon frère Charles ici présent. »

DÉCLARATION DE L'ARMÉE DE CHARLES LE CHAUVE.

« Si Lodhuwigs sagrament que son fradre Karlo jurat « conservat, et Karlus meos sendra de suo part non la stanit, «< si jo returnar non lint pois; ne jo, ne neuls cui eo returnar «< int pois, in nulla adjudha contra Ludowig nun li juer. »

TRADUCTION.

« Si Louis tient le serment qu'il fait à son frère Charles, et que Charles, mon seigneur, de son côté ne le tienne pas, si je ne l'en puis détourner, ni moi ni aucun (de ceux ) que j'en pourrai détourner, ne lui donneront aucune aide contre Louis 2.

Ces textes sont de curieux monuments pour l'étude de

4. Historia Francorum, apud Duchesne, t. II, p. 274.- Roquefort, Glossaire de la langue romane, t. 1, p. 20.

2. On peut voir l'analyse raisonnée de chacun des mots qui composent ces

notre langue. On y surprend en quelque sorte sur le fait le travail de la transformation. Nous pouvons remarquer que ces lignes barbares tiennent un certain milieu entre les deux dialectes qui, comme nous l'allons dire, se partagèrent la France. La division n'a pas eu lieu encore. Il est probable que, sous la seconde race, l'unité politique maintint et conserva une espèce d'uniformité dans l'idiome corrompu, qu'on appelait langue vulgaire. Ce langage quasi-latin eut en France les mêmes prétentions et la même puissance que l'empire quasi-romain de Charlemagne. Ils tombèrent ensemble et par les mêmes causes; la langue se divisa en deux dialectes; et, pour emprunter à Cicéron une expressive image, de même que les fleuves qui prennent naissance dans l'Apennin se séparent sur ses deux versants, les uns coulant vers la mer d'Ionie, qui offre des ports sûrs et tranquilles, sous le beau climat de la Grèce, les autres allant se jeter dans la mer de Toscane qui baigne un pays barbare, hérissé d'écueils et de récifs ainsi la nouvelle langue se partagea en deux courants divers, dont l'un alla arroser les plaines riantes du midi, toutes parfumées encore du souvenir des arts et de la civilisation romaine, où la langue grecque elle-même avait laissé un harmonieux écho; l'autre, répandu au nord de la Loire, rencontrant partout des Germains, des Kymris, des Northmans, se chargea d'un sédiment barbare qui en altéra longtemps la limpidité.

du

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Les Northmans surtout exercèrent la plus grande influence sur le dialecte du nord de la France. Ces conquérants du r siècle firent comme ceux du ve ils adoptèrent la langue pays conquis, mais ils l'adoptèrent en la modifiant selon le besoin de leurs rudes organes. Les syllabes sonores s'obscurcirent les a devinrent des é; par exemple, le mot latin charitas avait donné charitat à la langue romane; les Northmans prononcèrent charité, et contribuèrent ainsi à douner au dialecte du nord une physionomie de plus en plus distincte. Les traces qu'ils y laissèrent furent d'autant plus

textes dans l'Explication de Bonamy, au quarante-cinquième volume des Mémoires de l'Académie des inscriptions (édit, in-12).

profondes qu'ils s'approprièrent plus sérieusement la langue française. Déjà sous Guillaume Ier, successeur de Rollon, on ne parlait plus à Rouen que roman. Le duc, voulant que son fils sût aussi la langue danoise, fut obligé de l'envoyer à Bayeux, où on la parlait encore. Pour les autres Gaulois, le français était un latin corrompu, un patois dédaigné; pour les Northmans barbares, ce fut presque une langue savante, qu'ils étudièrent, comme le latin, avec le plus grand soin. Bientôt les Northmans devinrent nos poëtes et nos maîtres de français, de même qu'autrefois les Gaulois avaient envoyé à Rome des maîtres de rhétorique et de grammaire latine.

Pendant ce temps-là, l'idiome méridional recevait aussi des circonstances politiques son caractère distinctif. Les provinces du sud, soumises d'abord par les Visigoths et les Bourguignons, avaient eu moins à souffrir sous ces conquérants moins barbares. Les Francs les avaient sans doute bien des fois sillonnées, mais sans déraciner aussi complétement qu'au nord les mœurs et la civilisation romaines. Devenues, après Charlemagne, le partage de quelques-uns de ses successeurs, elles s'étaient formées en royaume indépendant sous Bozon, qui prit en 879 le titre de roi d'Arles ou de Provence. Mais à la fin du x1 et au commencement du XIIe siècle, sa succession se trouva partagée entre les comtes de Toulouse et de Barcelone. L'union des Provençaux avec les Catalans acheva de jeter le dialecte du midi bien loin de l'idiome sourd et traînant des campagnons de Guillaume le Bâtard. Le provençal fut désormais une langue profondément distincte du roman wallon ou welsh (c'est-à-dire gaulois). On désigna aussi ces deux idiomes par le mot qui, dans chacun d'eux, exprimait l'affirmation oui l'un fut appelé langue d'oc (hoc); l'autre, langue d'oil (hoc illud). C'est ainsi qu'à la même époque on nommait l'italien langue de si, et l'allemand langue d'ya1.

Ce qui n'est que diversité dans la sphère des principes devient hostilité dans celle des événements. Le nord et le

4. « Il bel paese la dove il si suona. » Dante.

midi de la France ne constituèrent leur individualité qu'à condition de se haïr. Les hommes du nord étaient plus vaillants, mais aussi plus barbares; les hommes du midi plus ingénieux, mais plus amollis; ils se regardaient réciproquement les uns comme des sauvages, les autres comme des bouffons. Il faut entendre le premier cri d'étonnement et de dédain que jettent les Français du nord à leur première rencontre avec leurs frères du midi. Ce fut vers l'an 1000, alors que Constance, fille du comte de Toulouse, venait d'épouser le roi Robert, et avait amené à sa suite des courtisans de son père. « Il y a, dit le chroniqueur contemporain Glaber, autant de difformité dans leurs mœurs que dans leurs habits. Leur armure et le harnais de leurs chevaux sont d'une extrême bizarrerie. Leurs cheveux descendent à peine au milieu de leur tête, ils se rasent la barbe comme des histrions, portent des bottines indécemment terminées par un bec recourbé, des cottes écourtées, tombant jusqu'aux genoux, et fendues devant et derrière. Ils ne marchent qu'en sautillant. Querelleurs continuels, ils ne sont jamais de bonne foi. Et voilà les hideux modèles que la princesse a malheureusement offerts aux Français, la plus honnête, la plus polie de toutes les nations! >>

Ces deux éléments dont l'union harmonieuse devait constituer la nationalité française grandirent longtemps à part, hostiles et menaçants, jusqu'au jour où ils se heurtèrent dans le sang des Albigeois.

SECONDE PÉRIODE.

MOYEN AGE.

SOCIÉTÉ FÉODALE.

VÈRES.

CHAPITRE VII.

RENAISSANCE DE LA POÉSIE; JONGLEURS ET TROU-
FORMATION DES CHANTS ÉPIQUES.

Société féodale.

Vers le xre siècle sont enfin constituées les langues, c'està-dire les peuples modernes, car un peuple n'est lui-même qu'au jour où il s'est fait un langage. Alors seulement le monde latin n'existe plus, les invasions barbares sont à jamais terminées, l'Europe va commencer une période nouvelle. Les temps qui séparent la chute de l'empire d'Occident de l'ère qui vient d'éclore n'étaient qu'une fermentation laborieuse où se préparait la formation du monde catholique et féodal. Les quatre siècles que ce monde doit vivre, du xi au xv, sont l'époque que nous désignons sous le nom de moyen âge.

Elle s'ouvre avec une imposante grandeur. Après cette nuit terrible du xe siècle, ces pestes qui décimaient régulièrement la population, ces affreuses famines où l'on mangeait de la chair humaine, où l'on mêlait de la craie à la rare farine achetée au poids de l'or, ces longues épouvantes où l'on attendait à chaque instant le son de la trompette qui devait réveiller les morts, le monde se rassura enfin quand il vit expirer sans catastrophe l'an 1000 qu'une croyance générale lui avait assigné pour terme. L'humanité ressaisit avec bonheur une vie qu'elle s'était crue si près de perdre. Elle se remit à travailler, à bâtir; dans sa reconnaissance pour ce Dieu qui prolongeait ses jours, elle lui éleva de tous côtés de nouveaux temples; une architecture jusqu'alors inconnue

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