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lui l'histoire s'enfonce de plus en plus dans la sécheresse et la barbarie. Cinq chroniqueurs inconnus, dont le premier et le moins mauvais a reçu, on ne sait sur quelle autorité, le nom de Frédégaire, nous conduisent jusqu'au règne de Charlemagne et à son excellent biographe Éginhard.

Monastères.

Une des institutions qui eurent le plus d'influence sur l'avenir de la civilisation chrétienne, fut celle des monastères, asiles vénérés qui conservèrent pour des jours meilleurs les débris des traditions littéraires et les manuscrits précieux de l'antiquité.

L'esprit monastique, né en Orient et antérieur au christianisme, subit en Occident une transformation décisive. Il abandonna la rêverie indépendante et l'oisive contemplation, pour une vie disciplinée et active. Saint Athanase chassé de son siége et retiré à Rome en 341, avait amené avec lui quelques moines et il célébrait les vertus et les charmes de la vie monastique. A sa voix toutes les petites îles situées sur la côte occidentale de l'Italie se couvrirent d'une multitude d'ermites. C'est de là que saint Martin, exilé de Milan, apporta dans les Gaules les traditions du monachisme oriental, lorsqu'il vint fonder vers l'an 360 le monastère de Ligugé, près de Poitiers. Dès le commencement du siècle suivant, saint Honorat établit dans une des îles de Lérins une abbaye d'où sortirent une foule d'hommes célèbres, et que saint Eucher, évêque de Lyon, nous dépeint sous les plus séduisantes couleurs. Nous transcrivons quelques-unes de ses paroles, parce qu'elles révèlent clairement. l'état moral des esprits et les causes qui appelaient tant de transfuges au désert.

« Je considère avec respect, dit-il, tous les lieux décorés par les saints qui s'y retirent; mais j'honore particulièrement ma chère Lérins, qui reçoit dans ses bras hospitaliers ceux qu'a jetés sur son sein la tempête du monde; qui introduit doucement, parmi ses ombrages, ceux qui brûlent des ardeurs du siècle pour qu'ils y respirent, et y reprennent haleine sous l'abri spirituel du Seigneur. Abondante en

fontaines, parée de verdure, couverte de vignes, agréable par son aspect et par ses parfums, elle semble un paradis à ceux qui l'habitent.

« Oh! qu'elles sont douces à ceux qui ont soif de Dieu les solitudes infréquentées! Qu'elles sont aimables à ceux qui cherchent le Christ ces retraites immenses où la nature veille silencieuse! Ce silence a de merveilleux aiguillons qui excitent l'âme à s'élancer vers Dieu, et la ravissent en d'ineffables transports; là on n'entend aucun bruit, si ce n'est celui de la voix humaine qui monte vers le ciel. Ces sons, pleins de suavité, troublent seuls le secret de la solitude, dont le repos n'est interrompu que par des murmures plus doux que le repos lui-même, les saints murmures des chants modestes. Du sein des choeurs fervents les chants mélodieux s'élèvent, et la voix de l'homme accompagne la prière presque dans les cieux. »

En lisant cette suave poésie qui semble elle-même un parfum exhalé du désert, on se croit encore en Orient, parmi ces Grecs à l'imagination aussi brillante que leur climat; on croit entendre saint Basile décrivant sa retraite de Cappadoce, ou Synésius, l'évêque philosophe de Cyrène, confiant ses aspirations de solitude et ses indépendantes rêveries à la lyre du vieillard de Téos. C'est qu'en effet avec Eucher à Lérins (430), comme avec Cassien à Marseille (410), nous sommes encore dans les idées du monachisme oriental. Mais cette espèce de quiétisme était trop incompatible avec le génie de la Gaule pour se naturaliser dans ses monastères. Ces pieuses retraites devinrent bientôt de grandes écoles de théologie et même de véritables colonies agricoles, où le travail manuel, la culture de la terre, naguère abandonnée aux esclaves, se réhabilitait par des mains libres et pieuses. Les moines ont été les défricheurs de l'Europe; ils l'ont défrichée en grand, en associant l'agriculture à la prédication1. »

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L'homme qui détermina cette direction, et assura à la civilisation moderne un instrument si puissant, fut saint

4. Guizot, Histoire de la civilisation en France, t. II, leçon xiv.

Benoit, né à Nursia en 480. C'est sur le mont Cassin, aux frontières des Abruzzes, qu'il publia une règle de vie monastique qui devint bientôt la loi générale et presque unique des moines d'Occident. « L'oisiveté est l'ennemie de l'âme, y est-il dit; et, par conséquent, les frères doivent, à certains moments, s'occuper du travail des mains; dans d'autres, de saintes lectures. »

Il ne suffisait pas de prescrire le travail, il fallait l'organiser, et pour cela l'assujettir à une direction centrale et toutepuissante. Saint Benoît, pour discipliner sa milice nouvelle, pose en principe l'obéissance passive, l'abnégation de toute propriété comme de toute volonté personnelle. Ainsi disparaît entièrement le caractère primitif du monachisme oriental, l'exaltation et la liberté. Enfin, pour cimenter son édifice et lui assurer une durée impérissable, Benoît établit les vœux perpétuels, c'est-à-dire substitue aux élans fugitifs et capricieux de la ferveur une institution positive, garantie bientôt par l'intervention de la puissance publique.

Les fruits de cette institution furent incalculables pour l'avenir, précieux déjà dans le présent. Aux écoles civiles, détruites au ve siècle par l'invasion des barbares, succédèrent çà et là quelques écoles épiscopales et monastiques; et, tandis que les premières, qui croissaient à l'ombre de l'évêché, avaient pour but exclusif de pourvoir aux besoins de l'Église et de recruter des lecteurs et des chantres pour l'office divin, les écoles formées par les moines, qui étaient entièrement laïques, avaient quelque chose de moins restreint, de moins spécial dans leur enseignement. On y donnait une plus grande place aux connaissances, qui ne se rapportaient pas directement aux besoins journaliers de l'Église. On y copiait des manuscrits, on y gardait quelques notions d'astronomie et de mathématiques; enfin on y étudiait quelque chose des philosophes anciens. Ainsi se conservaient dans l'ombre, entre les mains des chrétiens les plus zélés, et souvent en dépit d'eux-mêmes, les traditions de la civilisation antique, qui n'attendaient, pour germer de nouveau, que des jours meilleurs, un état politique moins confus. Un grand homme essaya de hâter le pas de l'histoire et de faire

à lui seul l'œuvre des siècles: Charlemagne parut, et avec lui la première renaissance, essor prématuré et par conséquent éphémère, météore brillant destiné à s'éteindre bientôt dans une nuit moins profonde toutefois que celle qui l'avait précédée.

CHAPITRE V.

CHARLEMAGNE.

PREMIÈRE RENAISSANCE. — HOMMES SAVANTS APPELÉS PAR CHARLEMAGNE.— TRAVAUX DE CHARLEMAGNE; GRAMMAIRE FRANQUE; RECUEIL DE POÉSIES POPULAIRES.—THÉOLOGIE; CAPITULAIRES.—RÉforme du clerGÉ; ÉCOLES;

MANUSCRITS.

Première renaissance.

La pensée moderne devait naître de l'union du christianisme et des mœurs germaniques avec les souvenirs savants de la Grèce et de Rome. Le premier contact de ces éléments de vie ressemble à une destruction. Sans doute l'invasion des barbares ne fut pas un fait général, simultané pour toutes les parties de l'empire, ou même de la Gaule. On ne saurait sans une certaine exagération adopter les termes de déluge et d'inondation par lesquels certains historiens se plaisent à la dépeindre. Ce fut plutôt une infiltration. Les barbares, longtemps amoncelés aux frontières, perçèrent çà et là ces digues impuissantes. Tantôt appelés par les empereurs, tantôt imposant leurs services, ailleurs courant par bandes le pays qui se refermait sur leurs traces, pillards plutôt que conquérants, ils ne subjuguaient pas la Gaule, ils la dévastaient. Le résultat n'en fut pas moins la destruction de l'empire. Toute vie centrale s'éteignit peu à peu; tout lien entre les diverses contrées fut détaché sinon rompu; tout devint local, isolé le monde semblait tomber dans le chaos. Le mélange confus, la fermentation tumultueuse des éléments d'une société nouvelle dura du ve siècle jusqu'à la fin du viir®.

Alors se manifeste la première tentative d'organisation sous la main puissante de Charlemagne. Germain de race et de mœurs, chrétien par la foi et Romain par la science, ce grand homme représente en lui-même la fusion qu'il aspire à réaliser dans l'Occident. D'une main il arrête l'invasion barbare; de l'autre il essaye de relever l'empire et de purifier l'Église. A côté de cette résurrection de la société politique, se place aussitôt, comme une conséquence, la réorganisation littéraire qui doit attirer notre attention. C'est la première des époques qu'on nomme Renaissances. Celle-ci mérita plus particulièrement ce titre : ce fut bien une renaissance, non une création; et tel est le principe de sa faiblesse. Elle fut bienfaisante, quoique passagère : elle conserva pour des époques plus heureuses la tradition antique près de s'éteindre, et interrompit la prescription de l'ignorance.

Charlemagne entreprit de relever tout ce qui s'écroulait, y compris les lettres, ce luxe impérial de l'ancienne Rome. Ses guerres mêmes furent organisatrices, et ses conquêtes défensives. Il comprit que le premier obstacle à vaincre c'était la fluctuation des peuples, la perpétuelle mobilité des races, qui entraînait nécessairement celle des institutions. Pour édifier, il affermit le sol. De là cette lutte de quarante ans contre tous les barbares, ces trente campagnes au nord et à l'est contre les Saxons, les Avares, les Thuringiens, les Slaves et les Danois, ces dix-sept expéditions au midi contre les Arabes et les Lombards. La victoire change alors de parti et de caractère : elle se retourne contre l'invasion; elle fonde au lieu de détruire.

Savants appelés par Charlemagne,

Parmi les plus utiles conquêtes de Charlemagne, il faut compter les hommes instruits qu'il s'empressa d'appeler des contrées voisines et d'associer à son œuvre de restauration. C'était le premier pas dans la carrière du progrès; il s'assurait ainsi d'indispensables instruments. L'Angleterre était alors le pays le plus civilisé de l'Occident. Sans parler de la vieille Eglise d'Irlande, dont les monastères étaient célèbres. depuis le ve siècle, l'Eglise anglo-saxonne elle-même avait été

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