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et Durand saupoudrèrent le tout de leurs vers pleins de sel. Rien de plus mordant que ces discours de ligueurs où chacun, comme forcé par une maligne et invincible puissance, révèle naïvement toute la vérité de son caractère et de sa position. Les voilà tous qui, au lieu de se renfermer dans l'hypocrite décorum de leur rôle, viennent nous faire confidence de leurs folles ambitions ou de leur honteuse vénalité. Pour comble de malice, chaque écrivain parodie habilement la manière véritable du chef qu'il fait parler. Le duc de Mayenne expose avec son ton de spadassin dévotieux la sainte ambition qu'il éprouve de ruiner la France; le légat félicite en italien les Français d'être plus catholiques que le pape (più cattolici che i medesimi Romani ), et proclame à grands cris son évangélique mission guerre! guerre! guerre! Le recteur Rose qui passait pour n'avoir pas la tête bien saine, débute pédantesquement par Thé mistocle et Miltiade, argumente en Baroco et Baralipton, frappe à droite et à gauche sur ses amis politiques; et après avoir constaté que les prétendants au trône « sont trop de chiens à ronger un os,» il prétend les mettre d'accord et donne sa voix à « Guillot Fagotin, marguillier de Gentilly, bon vigneron et prud'homme, qui chante bien au lutrin et sait tout son office par cœur. » Jusqu'à la harangue d'Aubray, la Satire Menippée est une ironie admirable. Cette harangue, plus admirable encore, est un modèle de bon sens, de dialectique et parfois d'éloquence. « L'extrémité de nos misères, dit le député du tiers état, c'est qu'entre tant de malheurs et de nécessités, il ne nous est pas permis de nous plaindre, ni demander secours.... Il faut qu'ayant la mort entre les dents, nous disions que nous nous portons bien, que nous sommes trop heureux d'être malheureux pour une si bonne cause. O Paris, qui n'es plus Paris, mais une spélunque de bêtes farouches, une citadelle d'Espagnols, Wallons et Napolitains, un asile et sûre retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité et te ressouvenir qui tu as été, au prix de ce que tu es? Ne veux-tu jamais te guérir de cette frénésie qui pour un légitime et gracieux roi, t'a engendré cinquante

roitelets et cinquante tyrans? Te voilà aux fers, te voilà en l'inquisition d'Espagne, plus intolérable mille fois et plus dure à supporter aux esprits nés libres et francs, comme sont les Français, que les plus cruelles morts. Tu n'as pu supporter une légère augmentation de tailles et d'offices et quelques nouveaux édits qui ne t'importaient nullement ; mais tu endures qu'on pille tes maisons, qu'on te rançonne jusqu'au sang, qu'on emprisonne tes sénateurs, qu'on chasse et qu'on bannisse tes bons citoyens et conseillers, qu'on pende, qu'on massacre tes principaux magistrats. Tu le vois et tu l'endures! Tu ne l'endures pas seulement, mais tu l'approuves et le loues, et n'oserais et ne saurais faire autrement!» La langue française ne s'était pas encore élevée dans la prose noble à d'aussi purs accents. On sent que nous touchons à la fin du xvre siècle, et que bientôt va cesser le divorce que nous avons constaté si souvent entre la forme et la pensée. On peut remarquer également ici dans un autre ordre d'idées, un symptôme non moins frappant de l'époque d'harmonie et d'unité qui s'approche. C'est dans la bouche de la bourgeoisie que se place naturellement l'expression de ces sentiments royalistes. L'alliance sympathique du peuple et de la monarchie va bientôt constituer l'unité nationale.

Mémoires.

L'absence de maturité littéraire se manifeste surtout dans les productions historiques du xvIe siècle. L'histoire est un fruit de l'automne, ou tout au moins de l'été des peuples: les mémoires en sont comme la fleur1. Le xvIe siècle n'eut guère que des mémoires, mais le nombre en est aussi grand que le mérite. De la seconde moitié de ce siècle, depuis la mort de François Ier, jusqu'à la soumission de Paris (15471594), il nous reste vingt-six ouvrages de ce genre, écrits par des contemporains, qui presque tous ont pris part aux affaires qu'ils racontent; tandis que le siècle tout entier n'a

4. Le plus ingénieux auteur de ce genre, Marguerite de Valois, compare ses mémoires à de petits ours qui vont vers l'historien, en masse lourde et difforme, pour y recevoir leur formation.

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produit qu'un véritable historien, encore porte-t-il au front, d'une manière éclatante, la tache originelle de son époque : la forme manque à sa noble pensée de Thou a écrit en latin.

La longue série des mémoires du xvIe siècle s'ouvre par ceux du Chevalier sans paour et sans reproche, écrits par son Loyal serviteur dont la modestie nous a dérobé le nom. Homme d'une autre époque comme son héros, dévoué à son seigneur avec l'abnégation d'un preux du moyen âge, l'auteur anonyme pense comme Joinville, et écrit presque comme Amyot.

Ensuite s'avance dans la carrière le compagnon d'enfance de François Ier, Fleurange, dit le Jeune adventureux, fils du fameux Sanglier des Ardennes, Robert de La Marck. Prisonnier dans la citadelle de l'Écluse, voulant « passer son temps plus légèrement et n'être oiseux, » Fleurange s'est mis à écrire ses mémoires. Aussi chevaleresque dans son style que dans son surnom et ses exploits, il nous a laissé un récit plein d'intérêt et d'originalité, mais dont l'exagération involontaire doit souvent exciter notre défiance. C'est un soldat au bivouac qui raconte ses campagnes.

L'un des principaux charmes qu'offre la lecture de cette vaste collection de mémoires, c'est la variété de physionomies des auteurs qui la composent. On croit voir une scène mobile où s'agitent dans la diversité infinie de leurs costumes et de leurs rôles une foule d'acteurs remarquables. Le même événement, raconté par plusieurs écrivains, prend tour à tour des nuances diverses et se colore du reflet de tant de caractères, de préjugés et de passions. L'histoire s'anime ainsi de la vie individuelle de l'homme. Et quand les guerres de religion jointes à l'anarchie politique viennent partager la France en deux camps, alors augmente encore l'intérêt des mémoires avec leur multiplicité. C'est une bataille de témoignages, une mêlée de styles et de récits. Là c'est le terrible Blaise de Montluc, catholique farouche, intrépide Gascon, plein de verve et de franchise, le plus coloré de nos chroniqueurs, qui, pour imiter César, donnait le titre de Commentaires à ses mémoires, que Henri IV appe

queur

lait la Bible du soldat. Ici c'est le vieux maréchal de Vieilleville, représenté par son secrétaire Carloix, homme aussi calme que brave, qui résiste à l'influence des passions contemporaines, et conserve, au milieu des fureurs des partis, la modération, la douceur et la générosité. Plus loin nous trouvons les deux Tavannes; Jean, rédacteur des mémoires de leur père Gaspar, et Guillaume qui écrit ses propres souvenirs, l'un frondeur et satirique, boudant la cour avec une fierté toute féodale; dur guerrier, inflexible sectaire, vainà Jarnac et à Montcontour sous le nom du duc d'Anjou (Henri III), il fait partie des deux conseils qui précèdent l'affreuse journée de la Saint-Barthélemy et meurt tranquille, sans remords, sans repentir; Guillaume, esprit doux et modeste, fidèle à ses rois et résigné dans une injuste disgrâce, combattant son propre frère, qu'il aime et sert sans blesser l'austérité de ses devoirs : âme pleine de grandeur simple, physionomie antique. Ses mémoires ont quelque chose de son caractère, aussi bien par leur sujet que par leur style: ils embrassent modestement un épisode secondaire des événements contemporains, l'histoire spéciale de la Bourgogne. La même pureté d'âme avec plus d'héroïsme distingue, dans le parti opposé, le brave et irréprochable La Noue, une des gloires de la France, le Bayard des huguenots, le Catinat du XVIe siècle. « C'était un grand homme de guerre, disait Henri IV, et encore plus un grand homme de bien. » Coligny avait aussi écrit des mémoires. « L'amiral ne passa pas un seul jour, dit Brantôme, que devant que se coucher, il n'eût écrit de sa main, dans son papier-journal les choses dignes de mémoire, qui étaient arrivées dans les troubles. Il fut trouvé, à sa mort, un très-beau livre qu'il avait lui-même composé.... Il fut apporté au roi Charles IX, qu'aucuns trouvèrent très-beau et très-bien fait et digne d'être imprimé; mais le maréchal de Retz en détourna le roi ét le fit brûler.... envieux de la mémoire de cet illustre personnage. » Grâce à ce vandalisme, il ne nous reste de Coligny que le Discours sur le siége de Saint-Quentin (1557), composé, comme les mémoires du Jeune aventureux, dans la forteresse de l'Écluse. On y trouve une précision toute militaire, l'amour de

l'exactitude historique et une certaine façon de dire qu'on peut appeler la naïveté de l'héroïsme.

Un autre protestant, moins célèbre dans l'histoire, plus remarquable comme écrivain, c'est Régnier de La Planche, sectaire passionné, mais plein de verve et très-bien informé. Son livre de l'État de la France sous François II est un des ouvrages les plus remarquables de l'époque qui nous occupe.

Comme contraste piquant à la franchise passionnée de ces auteurs, on rencontre, dès l'entrée du xvIe siècle, les frères du Bellay, pleins de prudence, de retenue, et dont les mémoires portent quelquefois le caractère d'un récit officiel ; les diplomates d'Ossat et du Perron, le grave président Jeannin; puis le discret Chaverny, timide dans ses récits par réserve diplomatique, comme Palma Cayet par convenance et par modération. Tout à coup la scène change, et vous avez devant vous le courtisan Brantôme, impartial par corruption, indifférent au vice et à la vertu, dont il n'a jamais compris la différence; excellent témoin des turpitudes du xvr siècle, il n'a ni la pudeur qui les dissimule, ni l'indignation qui les exagère. Voici Pierre de L'Estoile, conseiller du roi et grand audiencier en la chancellerie de France, qui nous apporte ses précieux journaux, si dignes de foi par leurs contradictions mêmes. Ici ce n'est plus l'homme qui parle les événements de chaque jour viennent parcelle à parcelle se déposer sur ce livre que l'auteur se contente de leur ouvrir. » L'Estoile, dit M. Saint-Marc Girardin, annaliste badaud, écrit chaque soir, avec une régularité scrupuleuse, ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu dire, mêlant les affaires de son ménage avec les affaires de l'État; indifférent en religion et spectateur minutieux des processions et des cérémonies.

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Pour qu'aucune nuance ne manque à cet ensemble, une femme vient pour ainsi dire couronner la collection par son esprit, sa finesse d'observation, sa grâce égoïste et légère: Marguerite de Valois, première femme de Henri IV, ne parle guère que d'elle-même dans ses mémoires. « Le moi domine dans son livre; mais, comme tous les égoïstes de génie ou d'esprit, elle intéresse à ce moi et le fait aimer. Et puis, sous

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