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teur, n'étaient pas sans charme à une époque confuse qui n'avait pas même le pressentiment de ce goût sobre et sévère dont les écrivains de Louis XIV allaient trouver le secret. »

CHAPITRE XXV.

PAMPHLETS ET MÉMOIRES AU XVI SIÈCLE.

PAMPHLETS CALVINISTES. - PAMPHLETS POLITIQUES; SATIRE MÉNIPPÉE.
MÉMOIRES. L'HISTORIEN DE THOU.

Pamphlets calvinistes.

La chaire des ligueurs n'avait fait qu'appliquer d'une manière plus ou moins heureuse les anciens procédés de l'éloquence; le XVIe siècle éleva aux passions oratoires une tribune inconnue à l'antiquité et mille fois plus retentissante il créa le pamphlet. Mélange admirable du discours et du livre, le pamphlet est la voix du moment, l'idée de chaque jour il naît et étincelle au choc de l'événement: c'est l'improvisation de la presse. Répandu à flots dans un peuple, il franchit les distances inabordables à la voix et se fait un seul forum d'une vaste contrée : c'est la vraie harangue des nations modernes. Le pamphlet est déjà le journal, moins la puissance créée par la répétition quotidienne des doctrines, mais aussi moins la régularité monotone des publications. Plus rare, il est mieux écouté : il arrive par accident et à l'improviste : c'est un journal qui ne paraît que quand il a quelque chose à dire. On comprend que de pareilles compositions doivent en général être peu littéraires par la forme. Ce sont des actions plutôt que des écrits. Mais aussi c'est là qu'il faut aller chercher les passions des partis, la racine des faits, la pensée intime des hommes. Ces légères feuilles recèlent la vie d'une époque, surprise tout à coup par l'immobilité qui en perpétue l'image; pareilles à ces merveilleuses peintures tracées par la lumière même, où

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l'action fugitive, arrêtée pour ainsi dire au passage, demeure à jamais fixée sur une lame fragile. Les pamphlets du XVIe siècle nous révèlent la véritable physionomie des factions rivales qui s'y choquaient. On y voit le protestantisme, grave et supérieur par la pensée et par le style, surtout au début de la lutte, donner à ses publications légères quelque chose de l'austérité pesante d'une dissertation. Henri Etienne ouvre la marche avec son Apologie d'Hérodote, où le pamphlet ne s'avoue pas encore, mais se dissimule malignement sous le masque de l'érudition. Viennent ensuite la Gaule Française (Franco-Gallia) de François Hottman, espèce de Contrat social du XVIe siècle, livre habile et érudit, où pour la première fois les doctrines démocratiques sont appliquées à notre histoire nationale, et où l'écrivain avec une grande verve de paradoxe, justifie le droit populaire par la tradition, comme remontant au berceau même de la monarchie française; les Réclamations contre les tyrans (Vindiciæ contra tyrannos) d'Hubert Languet, agression violente, mais théorique, contre la royauté. Dans ces ouvrages la langue et le style sont ceux de l'érudition: nous touchons encore à Bodin et à La Boétie. Mais peu à peu le pamphlet s'accélère dans sa marche, comme une pierre dans sa chute. Nous lisons l'Epitre au tigre de la France, espèce de catilinaire. contre le cardinal de Lorraine; la France - Turquie; le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de la reine Catherine de Médicis; les Apophthegmes, ou discours notables recueillis de divers auteurs contre la tyrannie et les tyrans; le Réveil-matin des Français et de leurs voisins; le Discours des jugements de Dieu contre les tyrans; le Politique, dialogue traitant de la puissance, autorité et devoir des princes, des divers gouvernements, jusques où l'on doit supporter la tyrannie; si, en une oppression extrême, il est loisible aux sujets de prendre les armes pour défendre leur vie et leur liberté; quand, comment, par qui et par quel moyen cela se peut faire. Ces inspirations de la Némésis calviniste s'élèvent souvent à une âpre et éloquente énergie; chaque ligne semble écrite à la pointe du glaive, avec le sang des martyrs. Toutefois il ne faut pas se laisser prendre à l'apparence et ne voir

dans les pamphlets protestants qu'un essor de la démocratie. Ils recèlent un singulier alliage des idées aristocratiques et des sentiments populaires. Le calvinisme tentait, dans un intérêt passager, d'unir l'esprit féodal aux passions démagogiques, comme la Ligue essaya ensuite d'y associer l'esprit sacerdotal. L'aristocratie était le but, la démocratie le prétexte1.

Le parti catholique saisit entre les mains de ses ennemis. le drapeau populaire et le défendit avec plus de fureur. Le principe de la Ligue c'est la démocratie sous la tutelle de l'Église les membres les plus acharnés, les plus sincères de l'Union, voulaient, selon l'expression de Palma Cayet, réduire l'Etat de France en une république soumise au pape. Mais cette pensée se complique de vingt éléments étrangers. Les pamphlets ligueurs ondoient sans cesse au souffle des intérêts espagnols, lorrains et autres : toutes ces tendances diverses se mêlent, s'agitent, s'entravent, se réduisent à l'impuissance leurs écrits renferment peu d'idées et beaucoup de passions. On y voit d'abord sous mille formes l'apologie infâme de la Saint-Barthélemy. On ne saurait lire sans horreur même les titres de tous ces pamphlets qui semblent écrits avec de la boue et du sang par des massacreurs ivres, mélange de fureurs stupides et de bouffonneries de charnier1. Plus tard nous retrouvons chez les pamphlétaires catholiques des noms déjà connus parmi les prédicateurs, Launay, Rose, Guenebrard. Le fameux Boucher se faisait tour à tour pédant et bateleur il publiait en latin un long traité Sur la juste abdication de Henri III, et en français un écrit populaire sur La vie et faits notables de Henri de Valois tout au long, sans en rien requérir, où sont contenues les trahisons, perfidies, sacriléges, exactions, cruautés et hontes de cet hypocrite et apostat. Mais traité et pamphlet se confondent quelquefois par le ton c'est dans le traité qu'il épuise les

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1. La plupart de ces pamphlets se trouvent dans les tomes II et III des Memoires de l'Etat de France sous Charles IX. On peut en voir l'analyse dans Ch. Labitte, de la Démocratie chez les predicateurs de la Ligue.

2. La plupart sont réunis dans les recueils de L'Etoile, vol. n° 2, manuscrits de la Bibliothèque nationale. Un des plus répandus, le Deluge des Huguenots, a été imprimé dans le tome VII des Archives curieuses (H. Martin, Histoire de France, 1. X, p. 389).

anagrammes qu'on peut former des noms de Henri de Valois, et y trouve tour à tour: O le Judas! - Vilain Hérodes.

Dehors le vilain! — O crudelis hyena! etc. C'est encore là qu'il glorifie l'assassinat du roi: « Voilà, dit-il, tandis que nous écrivons, tandis que la chaire, les conseils publics, l'organisation de l'armée prennent nos moments et interrompent nos méditations, voilà qu'une nouvelle se répand admirable ensemble et terrible. Un jeune homme, un autre Aod, plus courageux qu'Aod, et vraiment inspiré par le Christ, par une souveraine charité, a renouvelé l'œuvre de Judith sur Holopherne, l'œuvre de David sur Goliath. Jacques Clément n'a fait sans doute que mettre en pratique une doctrine générale; mais son courage, ce dessein si glorieusement achevé, et qu'il avait révélé d'avance à quelques-uns, tout cela mérite la reconnaissance, et a répandu la joie, une joie sainte, dans le cœur des gens de bien. Gloire à Dieu! la paix est rendue à l'Église, à la patrie, par la mort de cette bête féroce. Clément lui a fait expier sa fausse clémence. »

Le livre de Boucher, dit Ch. Labitte, est bien l'image du temps, un mélange de bouffonneries grossières, de quolibets ridicules, de subtilités scolastiques, de violences d'école, d'apostrophes de carrefour, d'arguties de légiste, d'indigeste érudition biblique, de pédantisme profane, de haines passionnées, de débris de la théocratie papale et de je ne sais quel pressentiment grossier des doctrines révolutionnaires; et au milieu de tout cela, entre une fable ridicule et un syllogisme, entre une calomnie impudente et un texte de juriste, des idées sérieuses, une passion quelquefois éloquente, une logique serrée, un incontestable talent de polémiste. La marche est vive, les raisonnements serrés, les chapitres courts, l'ensemble adroit et frappant. Tout le xvIe siècle semble s'être versé là, et le livre de Boucher est une date.... Au fond ce n'était que la manière de l'Apologie pour Hérodote, bizarrement accouplée avec la manière de Ramus; le procédé de Rabelais et celui du Maître des sentences fondus dans un même livre par un sophiste pédant et trivial'. »

4. De la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, p. 97.

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Le pamphlet le plus éloquent et le plus incendiaire qui soit sorti des presses de la Ligue, fut rédigé par l'avocat Louis d'Orléans sous le titre d'Avertissement d'un catholique anglais aux catholiques français. L'auteur y montre à ses lecteurs le danger qu'ils courent de perdre leur religion et « d'expérimenter, comme en Angleterre, la cruauté des ministres,» s'ils reçoivent en la personne de Henri IV un monarque hérétique. L'écrivain ligueur répond par des cris de mort aux paroles conciliantes du Béarnais; il loue la « saignée très-salutaire de la Saint-Barthélemy; » et évoquant, dans un énergique langage, le fantôme du peuple insurgé contre un roi maudit de Rome : « Le peuple alors, dit-il, bondirait de furie, et, comme une mer écumante, pourrait bien engloutir le patron et les matelots et le navire tout ensemble. On nous accuse d'être Espagnols. Oui! plutôt que d'avoir un prince huguenot, nous irions chercher non-seulement un Espagnol, mais un Tartare, un Moscove, un Scythe qui soit catholique. »

L'esprit de la faction ultra-catholique est tout entier dans cette œuvre de l'un des Seize : le succès en fut immense et se prolongea pendant plusieurs années'.

Pamphlets politiques; Satire Ménippée.

Cependant entre les deux factions extrêmes grandissait depuis longtemps en silence un parti modéré, dont le chancelier de L'Hôpital avait en quelque sorte tracé d'avance le programme. Le parti des politiques eut aussi ses pamphlets, et ce furent sans contredit les meilleurs. On peut remarquer à la gloire de l'esprit français que dès lors il sut mettre la plaisanterie du côté du bon sens. Les politiques trouvèrent l'idéal du genre, une raillerie fine et mordante, une raison acérée qui renverse le sophisme par la vérité et l'adversaire par le ridicule. Les protestants, austères et énergiques, avaient écrit souvent des traités éloquents; les ligueurs, violents et grossiers, avaient fait des déclamations tribuni

4. Ce pamphlet de Louis d'Orléans a été réimprimé dans le tome XI des Archives curieuses.

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