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ne possédions auparavant que des extraits très-imparfaits de cet ouvrage. Cette hypothèse explique les transpositions, les obscurités et les phrases tronquées qui y sont si fréquentes; et celles qui se trouvent même dans le manuscrit palatin font soupçonner qu'il n'est lui-même qu'un extrait plus complet. Cette opinion est en outre confirmée, pour ce manuscrit comme pour les autres, par une formule usitée spécialement par les abréviateurs, qui se trouve au chapitre xi et au chapitre XIX. (Voyez la note 9 du premier et la note 2 du second de ces chapitres.) Cependant les difficultés qui se rencontrent particulièrement dans les additions viennent surtout de ce qu'elles ne nous sont transmises que par une seule copie. Tous ceux qui se sont occupés de l'examen critique des auteurs anciens savent que ce n'est qu'à force d'en comparer les différentes copies qu'on parvient à leur rendre jusqu'à un certain point leur perfection primitive.

(2) D'après une correction ingénieuse de M. Siebenkees, le manuscrit du Vatican ajoute, « dans une source. » Cette ablution était le symbole d'une purification morale. Le laurier dont il est question dans la suite de la phrase passait pour écarter tous les malheurs de celui qui portait sur soi quelque partie de cet arbuste. (Voyez les notes de Duport, et, sur ce Caractère en général, le chap. xxì d'Anacharsis.) J'ai parlé, dans la note 14 du Discours sur Théophraste, des opinions religieuses de ce philosophe, et d'un livre écrit sur le présent chapitre en particulier. Il me parait que la religion des Athéniens avait été surchargée de beaucoup de superstitions nouvelles depuis la décadence des républiques de la Grèce, et surtout du temps de Philippe et d'Alexandre. Voyez chapitre XXV, note 3.

(3) Une eau où l'on avait éteint un tison ardent pris sur l'autel ou f'on brûlait la victime: elle était dans une chaudière à la porte du temple; l'on s'en lavait soi-même, ou l'on s'en faisait laver par les prètres. (La Bruyère). Il fallait dire, asperger: « Spargens rore levi et ramo fe« licis olivæ, » dit Virgile, .Eneid. lib. VI, v. 229; et, au lieu d'ajouter << sort du temple, »il fallait traduire simplement, « après s'être aspergé "d'eau sacrée, etc. »>

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(4) Le manuscrit du Vatican porte : « Voit-il un serpent dans sa mai<< son; si c'est un paréias, il invoque Bacchus; si c'est un serpent sa‹cré, il lui fait un sacrifice, » ou bien « il lui båtit une chapelle. >> L'espèce de serpent appelée paréias, à cause de ses mâchoires très-grosses, était consacrée à Bacchus on portait de ces animaux dans les processions faites en l'honneur de ce dieu; et l'on voit dans Démosthène, pro Corona, page 313, édit. de Reiske, que les superstitieux les éle vaient par-dessus la tète en poussant des cris bachiques. L'espèce appelée sacrée était, selon Aristote, longue d'une coudée, venimeuse et velue; mais peut-être ce mot, qui a empêché les naturalistes de la reconnaître, est-il altéré. Aristote ajoute que les espèces les plus grandes fuyaient devant celle-ci.

(5) Le grec dit, « des pierres ointes ; » c'était la manière de les consacrer, usitée même parmi les patriarches. (Voyez Genèse, XXVIII.)

(6) D'après une ingénieuse correction d'Étienne Bernard, rapportée par Schneider: « il rend le sac, en expiant ce mauvais présage par un sa« crifice. » Cicéron dit, de Div., liv. II, chap. xxvu: « Nos autem ita 32 LA BRUYÈRE.

« leves atque inconsiderati sumus, ut si mures corroserint aliquid, « quorum est opus hoc unum, monstrum putemus. »

(7) Le manuscrit du Vatican ajoute : « en disant qu'Hécate y a exercé << une influence maligne, » et continue : « Si en marchant il voit une «< chouette, il en est effrayé, et n'ose continuer son chemin qu'après << avoir prononcé ces mots, Que Minerve ait le dessus! » On attribuait a l'influence d'Hécate l'épilepsie et différentes autres maladies auxquelles bien des gens supposent encore aujourd'hui des rapports particuliers avec la lune, qui, dans la fable des Grecs, est représentée tantôt par Diane, tantôt par Hécate. Les purifications dont parle le texte consistaient en fumigations. (Voyez le Voyage du jeune Anacharsis, chap. xxi.)

(8) Le manuscrit du Vatican ajoute : « en disant qu'il lui importe de ne pas se souiller; » et continue : « Les quatrièmes et septièmes jours << il fait cuire du vin par ses gens, sort lui-même pour acheter des bran«< ches de myrte et des tablettes d'encens, et couronne en rentrant les «< hermaphrodites pendant toute la journée. » Les quatrièmes jours du mois, ou peut-être de la décade, étaient consacrés à Mercure. (Voyez le scol. d'Aristoph., in Plut. v. 1127.) Le vin cuit est relatif à des libations ou à des sacrifices, et les branches de myrte appartiennent au culte de Vénus. Les hermaphrodites sont des hermès à tête de Vénus, comme les hermérotes, les herméraclès, les hermathènes, étaient des hermès à tête de Cupidon, d'Hercule, et de Minerve. (Voyez Laur. de Sacris gent. Tr. de Gronov., tome VII, page 176; et Pausanias, livre XIX, II, où il parle d'une statue de Vénus en forme d'hermès.)

(9) « Vous ne réfléchissez pas à ce que vous faites étant éveillés, disait Diogène à ses contemporains; mais vous faites beaucoup de cas des « visions que vous avez en dormant. »>

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(10) Instruire de ses mystères. (La Bruyère.) On ne se faisait pas initier tous les mois, mais une fois dans la vie, et puis on observait certaines cérémonies prescrites par ces mystères. (Voyez les notes de Casaubon.)

Il faut observer que les mystères d'Orphée sont ceux de Bacchus, et ne pas les confondre avec les mystères de Cérès. Toute la Grèce célébrait ces derniers avec la plus grande solennité; au lieu que les prêtres d'Orphée étaient une espèce de charlatans ambulants, dont les gens sens és ne faisaient aucun cas, et qui n'ont acquis de l'importance que vers le temps de la décadence de l'empire romain. ( Voyez Anacharsis, chap. AXI; et le savant mémoire de Fréret sur le culte de Bacchus.)

(11) Le manuscrit du Vatican ajoute ici une phrase défectueuse, que, d'après une explication de M. Coray, appuyée sur les usages actuels de la Grèce, il faut entendre: « Il va quelquefois s'asperger d'eau de la mer; et si alors quelqu'un le regarde avec envie, il attache un ail « sur sa tête, et va la laver, etc. » Cette cérémonie devait détourner le mauvais effet que pourrait produire le coup d'œil de l'envieux. On trouvera plusieurs passages anciens sur l'influence maligne qu'on attribuait à ce coup d'œil, dans les commentateurs de ce vers des Bucoliques de Virgile (égl. II, V. 103):

Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.

L'eau de mer était regardée comme la plus convenable aux purifica

tions. (Voyez Anacharsis, chap. xxi; et Duport, dans les notes du commencement de ce chapitre.

(12) Espèce d'oignon marin. (La Bruyère.) Le traducteur a inséré dans le texte la manière dont il croyait que cette expiation se faisait; mais il parait que le chien sacrifié n'était que porté autour de la personne qu'on voulait purifier, et la squille était vraisemblablement brûlée.

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(13) Le grec ajoute, même dans l'ancien texte : « ou un homme dont l'esprit est aliéné. »

CHAPITRE XVII.

De l'esprit chagrin.

L'esprit chagrin fait que l'on n'est jamais content de personne, et que l'on fait aux autres mille plaintes sans fondement (1). Si quelqu'un fait un festin, et qu'il se souvienne d'envoyer un plat (2) à un homme de cette humeur, il ne reçoit de lui pour tout remercîment que le reproche d'avoir été oublié. Je n'étais pas digne, dit cet esprit querelleur, de boire de son vin, ni de manger à sa table. Tout lui est suspect, jusques aux caresses que lui fait sa maîtresse. Je doute fort, lui dit-il, que vous soyez sincère, et que toutes ces démonstrations d'amitié partent du cœur (3). Après une grande sécheresse, venant à pleuvoir comme il ne peut se plaindre de la pluie, il s'en prend au ciel de ce qu'elle n'a pas commencé plus tôt. Si le hasard lui fait voir une bourse dans son chemin, il s'incline. Il y a des gens, ajoute-t-il, qui ont du bonheur; pour moi, je n'ai jamais eu celui de trouver un trésor. Une autre fois, ayant envie d'un esclave, il prie instamment celui à qui il appartient d'y mettre le prix ; et dès que celui-ci, vaincu par ses importunités, le lui a vendu (4), il se repent de l'avoir acheté. Ne suis-je pas trompé 2 demande-t-il; et exigerait-on si peu d'une chose qui serait sans défauts? A ceux qui lui font les compliments ordinaires sur la naissance d'un fils et sur l'augmentation de sa famille, Ajoutez, leur dit-il, pour ne rien oublier, sur ce que mon bien est diminué de la moitié (5). Un homme chagrin, après avoir eu de ses juges ce qu'il demandait, et l'avoir emporté tout d'une voix sur son adversaire, se plaint

encore de celui qui a écrit ou parlé pour lui, de ce qu'il n'a pas touché les meilleurs moyens de sa cause; ou lorsque ses amis ont fait ensemble une certaine somme pour le secourir dans un besoin pressant (6), si quelqu'un l'en félicite et le Convie à mieux espérer de la fortune: Comment, lui répond-il, puis-je être sensible à la moindre joie, quand je pense que je dois rendre cet argent à chacun de ceux qui me l'ont prêté, et n'être pas encore quitte envers eux de la reconnaissance de leur bienfait?

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NOTES.

(1) Si l'on voulait traduire littéralement le texte corrigé par Casaubon, cette définition serait : « L'esprit chagrin est un blame injuste de ce << que l'on reçoit; » et d'après le manuscrit du Vatican, corrigé par Schneider, une disposition à blåmer ce qui vous est donné avec bonté. »> (2) Ç'a été la coutume des Juifs et d'autres peuples orientaux, des Grecs et des Romains. (La Bruyère.) Il fallait ajouter, « dans les repas << donnés après des sacritices. » (Voyez chapitre XII, note 5.) Au lieu d'un plat, il y a dans le texte, « une portion de la victime. »

(3) Littéralement : « Comblé de caresses par sa maîtresse, il lui dit : « Je serais fort étonné si tu me chérissais aussi de cœur. »

(4) Au lieu de ces mots, « et dès que celui-ci, etc., » le texte dit, « et s'il a eu un bon marché. » M. Barthélemy, qui a inséré quelques traits de ce caractère dans son chapitre xxvII, rend celui-ci de la manière suivante: «< Un de mes amis, après les plus tendres sollicitations, con«sent à me céder le meilleur de ses esclaves. Je m'en rapporte à son «<estimation: savez-vous ce qu'il fait? il me le donne à un prix fort audessous de la mienne. Sans doute cet esclave a quelque vice caché. Je << ne sais quel poison secret se mêle toujours à mon bonheur. »

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(5) Le grec porte : « Si tu ajoutes que mon bien est diminué de moitié, "tu auras dit la vérité. >>

(6) Voyez chapitre 1, note 3.

CHAPITRE XVIII.

De la défiance.

L'esprit de défiance nous fait croire que tout le monde est capable de nous tromper. Un homme défiant, par exemple, s'il envoie au marché l'un de ses domestiques pour y acheter des provisions, il le fait suivre par un autre, qui doit lui rap

porter fidèlement combien elles ont coûté. Si quelquefois il porte de l'argent sur soi dans un voyage, il le calcule à chaque stade (1) qu'il fait, pour voir s'il a son compte. Une autre fois, étant couché avec sa femme, il lui demande si elle a remarqué que son coffre-fort fût bien fermé, si sa cassette est toujours scellée (2), et si on a eu soin de bien fermer la porte du vestibule; et bien qu'elle assure que tout est en bon état, l'inquiétude le prend, il se lève du lit, va en chemise et les pieds nus, avec la lampe qui brûle dans sa chambre, visiter lui-même tous les endroits de sa maison; et ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'il s'endort après cette recherche. Il mène avec lui des témoins quand il va demander ses arrérages (3), afin qu'il ne prenne pas un jour envie à ses débiteurs de lui dénier sa dette. Ce n'est pas chez le foulon qui passe pour le meilleur ouvrier qu'il envoie teindre sa robe, mais chez celui qui consent de ne point la recevoir sans donner caution (4). Si quelqu'un se hasarde de lui emprunter quelques vases (5), il les lui refuse souvent; ou s'il les accorde, il ne les laisse pas enlever qu'ils ne soient pesés: il fait suivre celui qui les emporte, et envoie dès le lendemain prier qu'on les lui renvoie (6). A-t-il un esclave qu'il affectionne et qui l'accompagne dans la ville (7), il le fait marcher devant lui, de peur que, s'il le perdait de vue, il ne lui échappât et ne prît la fuite. A un homme qui, emportant de chez lui quelque chose que ce soit, lui dirait, Estimez cela, et mettez-le sur mon compte, il répondrait qu'il faut le laisser où on l'a pris, et qu'il a d'autres affaires que celle de courir après son argent (8).

NOTES.

(1) Six cents pas. (La Bruyère.) Le stade olympique, avait, selon M. Barthélemy, quatre-vingt-quatorze toises et demie. Le manuscrit du Vatican porte, « et s'assied à chaque stade pour le compter. »

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(2) Les anciens employaient souvent la cire et le cachet en place des serrures et des clefs. Ils cachetaient même quelquefois les portes, et surtout celles du gynécée. (Voyez entre autres les Thesmoph. d'Aristoph., v.422.)

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