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(5) D'après une autre leçon, « de séparer des gens qui se querellent. » (6) Il y a dans le grec, « pour le surlendemain. >>

(7) La Bruyère a suivi la version de Casaubon; mais M. Coray a prouvé par d'excellentes autorités qu'il faut traduire simplement : « Dire qu'on << lui en donne, pour essayer de le guérir par ce moyen. »

(8) Formule d'épitaphe. (La Bruyère.) Par cela même elle n'était d'usage que pour les morts, et devait déplaire aux vivants auxquels elle était appliquée. On regardait même en général comme un mauvais augure d'être nommé dans les épitaphes; de là l'usage de la lettre V, initiale de vivens, qu'on voit souvent sur les inscriptions sépulcrales des Romains devant les noms des personnes qui étaient encore vivantes quand l'inscription fut faite. (Visconti).

CHAPITRE XIV.

De la stupidité.

La stupidité est en nous une pesanteur d'esprit (1) qui accompagne nos actions et nos discours. Un homme stupide, avait lui-même calculé avec des jetons une certaine somme, demande à ceux qui le regardent faire à quoi elle se monte. S'il est obligé de paraître dans un jour prescrit devant ses juges, pour se défendre dans un procès que l'on lui fait, il l'oublie entièrement et part pour la campagne. Il s'endort à un spectacle, et ne se réveille que longtemps après qu'il est fini, et que le peuple s'est retiré. Après s'être rempli de viandes le soir, il se lève la nuit pour une indigestion, va dans la rue se soulager, où il est mordu d'un chien du voisinage. Il cherche ce qu'on vient de lui donner, et qu'il a mis lui-même dans quelque endroit où souvent il ne le peut retrouver. Lorsqu'on l'avertit de la mort de l'un de ses amis afin qu'il assiste à ses funérailles, il s'attriste, il pleure, il se désespère, et prenant une façon de parler pour une autre, A la bonne heure, ajoutet-il; ou une pareille sottise (2). Cette précaution qu'ont les personnes sages de ne pas donner sans témoins (3) de l'argent à leurs créanciers, il l'a pour en recevoir de ses débiteurs.On le voit quereller son valet dans le plus grand froid de l'hiver, pour ne lui avoir pas acheté des concombres. S'il s'avise un jour de faire exercer ses enfants à la lutte ou à la course, il ne

leur permet pas de se retirer qu'ils ne soient tout en sueur et hors d'haleine (4). Il va cueillir lui-même des lentilles (5), les fait cuire, et, oubliant qu'il y a mis du sel, il les sale une seconde fois, de sorte que personne n'en peut goûter. Dans le temps d'une pluie incommode, et dont tout le monde se plaint, il lui échappera de dire que l'eau du ciel est une chose délicieuse (6); et si on lui demande par hasard combien il a vu emporter de morts par la porte Sacrée (7) Autant, répond-il, pensant peut-être à de l'argent ou à des grains, que je voudrais que vous et moi en pussions avoir.

NOTES.

(1) Littéralement, « une lenteur d'esprit. » La plupart des traits de ce Caractère seraient attribués aujourd'hui à la distraction, à laquelle les anciens paraissent ne pas avoir donné un nom particulier.

(2) Le traducteur a beaucoup paraphrasé ce passage. Le grec dit seulement : « Il s'attriste, il pleure, et dit, A la bonne heure. »

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(3) Les témoins étaient fort en usage chez les Grecs, dans les payements et dans tous les actes. (La Bruyère.) « Tout le monde sait, dit « Démosthène, contra Phorm., qu'on va emprunter de l'argent avec peu « de témoins, mais qu'on en amène beaucoup en le rendant, afin de faire «< connaître à un grand nombre de personnes combien on met de régu larité dans ses affaires. >>

(4) Le texte grec dit : « Il force ses enfants à lutter et à courir, et leur << fait contracter des maladies de fatigue. » Théophraste a fait un ouvrage particulier sur ces maladies, occasionnées fréquemment en Grèce par l'excès des exercices gymnastiques. Voyez le traité de Meursius sur les ouvrages perdus de Théophraste.

(5) Le grec dit : « Et s'il se trouve avec eux à la campagne, et qu'il « leur fasse cuire des lentilles, il oublie, etc. »

(6) Ce passage est évidemment altéré dans le texte, et la Bruyère n'en a exprimé qu'une partie en la paraphrasant. Il me semble qu'une correction plus simple que toutes celles qui ont été proposées jusqu'à présent serait de lire tò άotpovoμíεtv, et de regarder les mots qui suivent comme le commencement d'une glose, inséré mal à propos dans le texte; car dans le grec il n'est dit nulle part dans ce chapitre ce que disent ou font les autres. D'après cette correction, il faudrait traduire :

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Quand il pleut, il dit : Ah! qu'il est agréable de connaitre et d'obser«ver les astres! » La forme du verbe grec pourrait être rendue iittéralement en français par le mot astronomiser. Il faut convenir cependant que le verbe grec ne se trouve pas plus dans les dictionnaires que le verbe français, et que la forme ordinaire du premier est un peu différente; mais en grec ces fréquentatifs sont très-communs, et quelques manuscrits donnent une leçon qui s'approche beaucoup de cette correc

tion. Le glossateur a ajouté, « lorsque d'autres disent que le ciel est noir "comme de la poix. >>

(7) Pour être enterrés hors de la ville, suivant la loi de Solon. (La Bruyère.) Du temps de Théophraste, les morts étaient indifféremment enterrés ou brûlés, et ces deux cerémonies se faisaient dans les champs céramiques; mais ce n'était pas par la porte Sacrée, ainsi nommée parce qu'elle conduisait à Éleusis, qu'on se rendait à ces champs. Il me parait donc qu'il faut adopter la correction Erias, la porte des tombeaux.

CHAPITRE XV.

De la brutalité.

La brutalité est une certaine dureté, et j'ose dire une férocité qui se rencontre dans nos manières, d'agir, et qui passe même jusqu'à nos paroles. Si vous demandez à un homme brutal, Qu'est devenu un tel ? il vous répond durement, Ne me rompez point la tête. Si vous le saluez, il ne vous fait pas l'honneur de vous rendre le salut : si quelquefois il met en vente une chose qui lui appartient, il est inutile de lui en demander le prix, il ne vous écoute pas; mais il dit fièrement à celui qui la marchande, Qu'y trouvez-vous à dire (1)? Il se moque de la piété de ceux qui envoient leurs offrandes dans les temples aux jours d'une grande célébrité. Si leurs prières, dit-il, vont jusques aux dieux, et s'ils en obtiennent les biens qu'ils souhaitent, l'on peut dire qu'ils les ont bien payés, et qu'ils ne leur sont pas donnés pour rien (2). Il est inexorable à celui qui, sans dessein, l'aura poussé légèrement, ou lui aura marché sur le pied ; c'est une faute qu'il ne pardonne pas. La première chose qu'il dit à un ami qui lui emprunte quelque argent (3), c'est qu'il ne lui en prêtera point: il va le trouver ensuite, et le lui donne de mauvaise grâce, ajoutant qu'il le compte perdu. Il ne lui arrive jamais de se heurter à une pierre qu'il rencontre en son chemin, sans lui donner de grandes malédictions. Il ne daigne pas attendre personne, et si l'on diffère un moment à se rendre au lieu dont l'on est convenu avec lui, il se retire. Il se distingue toujours par une grande singularité (4) ; ne veut ni chanter à son tour, ni réci

ter (5) dans un repas, ni même danser avec les autres. En un mot, on ne le voit guère dans les temples importuner les dieux, et leur faire des vœux ou des sacrifices (6).

NOTES.

(1) Plusieurs critiques ont prouvé qu'il faut traduire ce passage : "S'il met un objet en vente, il ne dira point aux acheteurs ce qu'il en vou«drait avoir, mais il leur demandera ce qu'il en pourra trouver. »

(2) La Bruyère a paraphrasé ce passage obscur et mutilé d'après les idées de Casaubon : selon d'autres critiques, il est question d'un présent ou d'une invitation qu'on fait au brutal, ou bien d'une portion de victime qu'on lui envoie (voyez chap. XII, note 5, et chap. XVII, note 2); et sa réponse est, « Je ne reçois pas de présents » ou : « Je ne voudrais pas même goûter ce qu'on me donne. >>

(3) « Qui fait une collecte. » (Voyez chap. I, note 3.)

(4) Ces mots ne sont point dans le texte.

(5) Les Grecs récitaient à table quelques beaux endroits de leurs poëtes, et dansaient ensemble après le repas. Voyez le chapitre du Contre-temps. (La Bruyère.) (Chapitre XII, note 7.)

(6) Le grec dit simplement : «< Il est capable aussi de ne point prier les <<< dieux. >>

CHAPITRE XVI (1).

De la superstition.

La superstition semble n'être autre chose qu'une crainte mal réglée de la Divinité. Un homme superstitieux, après avoir lavé ses mains (2), s'être purifié avec de l'eau lustrale (3), sort du temple, et se promène une grande partie du jour avec une feuille de laurier dans sa bouche. S'il voit une belette, il s'arrête tout court; et il ne continue pas de marcher que quelqu'un n'ait passé avant lui par le même endroit que cet animal a traversé, ou qu'il n'ait jeté lui-même trois petites pierres dans le chemin, comme pour éloigner de lui ce mauvais présage. En quelque endroit de sa maison qu'il ait aperçu un serpent, il ne diffère pas d'y élever un autel (4); et dès qu'il remarque dans les carrefours de ces pierres que la dévotion du peuple y a consacrées (5), il s'en approche, verse

dessus toute l'huile de sa fiole, plie les genoux devant elles, et les adore. Si un rat lui a rongé un sac de farine, il court au devin, qui ne manque pas de lui enjoindre d'y faire mettre une pièce; mais, bien loin d'être satisfait de sa réponse, effrayé d'une aventure si extraordinaire, il n'ose plus se servir de son sac, et s'en défait (6). Son faible encore est de purifier sans fin la maison qu'il habite (7), d'éviter de s'asseoir sur un tombeau, comme d'assister à des funérailles, ou d'entrer dans la chambre d'une femme qui est en couche (8); et lorsqu'il lui arrive d'avoir, pendant son sommeil, quelque vision, il va trouver les interprètes des songes, les devins et les augures, pour savoir d'eux a quel dieu ou à quelle déesse il doit sacrifier (9). Il est fort exact à visiter, sur la fin de chaque mois, les prêtres d'Orphée, pour se faire initier dans ses mystères (10) il y mène sa femme; ou, si elle s'en excuse par d'autres soins, il y fait conduire ses enfants par une nourrice (11). Lorsqu'il marche par la ville, il ne manque guère de se laver toute la tête avec l'eau des fontaines qui sont dans les places quelquefois il a recours à des prêtresses qui le purifient d'une autre manière, en liant et étendant autour de son corps un petit chien, ou de la squille (12). Enfin, s'il voit un homme frappé d'épilepsie (13), saisi d'horreur, il crache dans son propre sein, comme pour rejeter le malheur de cette rencontre.

NOTES.

(1) Ce chapitre est le premier dans lequel on trouvera des additions prises dans les manuscrits de la bibliothèque palatine du Vatican, qui contient une copie plus complète que les autres des quinze derniers chapitres de cet ouvrage. M. Siebenkees, sur les manuscrits duquel on a publié cette copie, doutait de l'authenticité de ces morceaux nouveaux; mais ses doutes sont sans fondement, et il parait ne les avoir conçus que par la difficulté d'expliquer l'origine de cette différence entre les manuscrits. M. Schneider a levé cette difficulté, et a démontré toute l'importance de ces additions, lesquelles nous donnent non-seulement des lumières nouvelles sur plusieurs points importants des mœurs anciennes, mais dont la plupart complètent et expliquent des passages inintelligibles sans ce secours. Ce savant a observé qu'elles prouvent que nons

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